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Afghanistan

L’Afghanistan continue un peu plus chaque jour de sombrer dans le chaos

Dans le pays, aucun endroit n'est sûr, personne n'est en sécurité, et aucune solution n'est en vue.
Un homme afghan réagit à la vue du lieu de l’explosion à Kaboul, Afghanistan, le 31 mai 2017. REUTERS/Omar Sobhan

Le briefing matinal du président afghan Ashraf Ghani venait de se terminer mercredi dernier, quand les fenêtres du palais présidentiel ont volé en éclats. La cause : un attentat massif au camion piégé perpétré à moins de 1 000 mètres du palais, en plein milieu du trafic et pendant l'heure de pointe à Kaboul, la capitale.

Au moins 150 personnes ont été tuées, et presque 500 blessées, des civils pour la plupart.

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L'explosion, qui a laissé derrière elle un cratère de plus de 20 mètres de large, a retenti dans la « Diplomatic Zone », supposément la plus sécurisée d'Afghanistan. Deux jours plus tard, alors que des milliers d'Afghans descendaient dans les rues pour manifester contre les talibans et le gouvernement, quatre personnes, dont un garçon de huit ans, ont été tuées par balle par la police.

Le lendemain, au moins sept personnes sont mortes dans un attentat suicide pendant l'enterrement de l'un des manifestants.

En quelques années, ces attaques sont devenues monnaie courante et Kaboul, refuge d'autrefois, est maintenant un champ de bataille où s'enchaînent des massacres de civils, aussi réguliers qu'aléatoires, qui rappellent la guerre civile dans ses heures les plus sombres.

Ce dernier carnage montre que, bien que déjà désastreuse, la situation du pays peut encore empirer. Depuis décembre 2014, lorsque l'armée américaine a passé la main aux forces afghanes en tout ce qui concerne la sécurité, le gouvernement afghan a perdu le contrôle de nombreux territoires au profit des talibans qui aujourd'hui « contrôlent ou contestent » 40 pour cent du pays (une étendue record depuis le renversement de 2001.)

Aucun endroit n'est sûr, personne n'est en sécurité, et aucune solution n'est en vue.

Les États-Unis (qui continuent de conseiller, d'assister et de financer le gouvernement afghan et ses forces de sécurité) ont demandé le renforcement des troupes américaines au sol afin de « sortir de l'impasse ». Mais les dirigeants concernés n'ont, au fil des années, jamais défini un objectif réaliste ou souhaitable. On croyait auparavant pouvoir, en utilisant la force, pousser les talibans à négocier. Mais aujourd'hui en pleine progression, ils ont peu d'intérêt à coopérer.

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Sans solution politique ou victoire militaire en vue, la stratégie actuelle semble uniquement destinée à éviter la catastrophe absolue.

Assis sur le toit de la base policière dans la capitale provinciale Lashkar Gar, le Capitaine Mahmoud Noorzai, Chef de la Sécurité pour la province de Helmand, étudie des cartes sur son téléphone. La ville a été encerclée de tous côtés par les talibans. Il y a seulement quelques jours, une autre base a été victime d'un attentat à la voiture piégée, qui tua le chef de police du district et blessa plusieurs autres hommes. (Photo de Frederick Paxton)

Mais même cette triste mission semble de moins en moins réalisable. Bien que les attaques lâches telles que le dernier attentat génèrent déjà des unes de journaux déprimantes, la guerre des campagnes est bien pire. L'effondrement total de l'Afghanistan se ressent encore plus dans des provinces comme Helmand, Paktia, Kandahar, Kunduz, et Khost, où les talibans sont capables non seulement de mener des attaques spectaculaires, mais aussi de prendre et défendre du terrain, en s'emparant souvent d'importantes quantités d'armes fournies par les Américains.

En novembre dernier, je me suis rendu dans plusieurs provinces où les talibans avaient fait des progrès considérables afin de constater moi-même à quel point la situation avait empiré.

Depuis Helmand

Zia Bardar est tapi dans un fossé d'irrigation tout en continuant de traîner en travers de la route son long bâton de bambou muni d'un crochet à son extrémité. Il cherche l'un des six engins explosifs improvisés (IED) placés là. Il porte un uniforme de police trop ample, mais aucun matériel de protection.

Nous sommes à Lashkar Gah, la capitale de la province de Helmand. Les talibans ne sont pas loin et tirent sur Bardar et ses collègues. Juste un peu plus loin, l'épave d'un pousse-pousse continue de brûler ; plus tôt ce matin l'engin avait roulé sur un autre IED, tuant la famille de six personnes qui était à son bord. Selon la police, cette famille avait fui son domicile et il ne lui restait seulement à parcourir moins d'un kilomètre afin d'entrer dans la zone encore sous le contrôle du gouvernement.

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Les policiers tentaient d'atteindre une base de l'armée encerclée depuis quatre jours, afin de récupérer le corps d'un soldat et de lui offrir une sépulture digne. La mission n'avait aucun intérêt tactique, mais elle permettrait de rendre une situation épouvantable un peu moins insupportable.

Des soldats chargent le corps d'un collègue à l'arrière d'un Humvee. (Photo de Frederick Paxton)

Rapidement Bardar se met à plat ventre, et inspecte les gravats à mains nues. Pour ma part, je reste à côté d'un Humvee blindé qui avance lentement pendant que Bardar tente de localiser les explosifs. La police n'a qu'un véhicule de cette envergure et au moins trois balles l'ont déjà atteint depuis que j'observe le travail de Bardar. Il trouve immédiatement deux des IEDs et sépare délicatement les détonateurs des larges jerricans jaunes remplis de poudre explosive. Je demande alors au commandant s'il avait été formé en désamorçage d'IEDs.

« Pas vraiment, » dit-il. « C'est lui le vrai héros ».

Bardar finit par trouver et désarmer cinq IEDs et la police atteint la base, où le corps du soldat est chargé à l'arrière du Humvee.

La vie de Bardar, comme celles de beaucoup de policiers afghans, a pris une tournure tragique. Deux semaines avant que je l'observe désamorcer un IED à mains nues, sa femme avait été tuée par son propre oncle parce qu'elle avait épousé un policier, quelqu'un qui « travaillait pour les infidèles. »

« Ma famille est détruite» me dit alors Bardar. « Il ne reste que moi. »

Deux jours après que Bardar ait enlevé les IEDs, les talibans se sont emparés de la zone entourant la route. Personne n'accepta de prendre position pour défendre ce territoire à la suite de querelles entre unités.

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Deux jours plus tôt, et seulement 15 kilomètres plus loin, un Humvee gouvernemental volé (ou très possiblement vendu) et rempli d'explosifs était rentré à l'intérieur d'une base de police ; l'explosion a tué le chef ainsi qu'au moins 14 autres hommes. Tout a été joliment filmé par un drone des talibans. Ce genre d'effronterie est maintenant devenue routine.

Les talibans contrôlent aujourd'hui la quasi-totalité de Helmand, dont les districts de Marjah, Sangin, Gereshk, et Garmsir, pour lesquels les Marines américains se sont battus pendant des années. Ici, des milliers de jeunes Américains ont perdu leurs vies ou leurs membres. Mis à part quelques routes en tarmac, on ne pourrait pas deviner aujourd'hui qu'Helmand est la province afghane ayant perçu le plus de ressources et de dollars américains.

Les actions de l'armée nationale afghane et de la police ne consistent en ce moment en rien de plus que des tentatives désorganisées et souvent désespérées de limiter les dégâts. Seule la ville de Lashkar Gah, la capitale de la province de Helmand, est restée sous contrôle gouvernemental et, pendant que j'étais là-bas, elle était régulièrement attaquée de tous les côtés.

Pas d'amélioration en vue

Cette année, ce scénario sinistre continue. Le 19 avril, dix hommes déguisés en soldats conduisant des véhicules de l'armée ont envahi la principale base militaire de Mazar-i-Sharif et tué 144 soldats (la plupart non armés) alors qu'ils étaient en train de déjeuner ou de prier. Selon les talibans, quatre des attaquants étaient d'anciens soldats qui connaissaient bien la base.

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Ces attaques ont fait augmenter le taux de défections et désertions, qui atteignait déjà des niveaux écrasants. L'an dernier, 6 800 soldats et policiers avaient été tués, une augmentation de 35 pour cent par rapport à 2015. Il est déjà évident que cette tendance se reproduira sûrement cette année, et la « saison des combats » vient seulement de commencer.

Les forces de sécurité nationale afghanes n'ont aucune chance de gagner, et elles ne parviennent à défendre les grandes villes comme Lashkar Ghah que grâce à l'augmentation des frappes aériennes et opérations spéciales américaines. Mais cette stratégie de triage militaire n'a toujours pas augmenté les chances de paix. Les campagnes tombent et les centres de populations clés sont coincés dans une série d'impasses sanglantes qui promettent de durer pour encore des années et de coûter des milliers de vies.

Des Personnes Déplacées (IDP) qui ont fui leurs domiciles après la prise de Kunduz par les talibans pour la seconde fois en 13 mois montent un camp. Alors que le gouvernement est incapable d'apporter de l'aide, ce camp de fortune a été mis en place grâce aux dons provenant de riches amis du gouverneur. Takhar, Afghanistan. (Photo de Frederick Paxton)

James Mattis, le secrétaire à la Défense des États-Unis (qui auparavant était brigadier général à la tête de la « One Marine Expeditionary Force » en Afghanistan) a, il semble, présenté un bilan similaire à celui-ci à Dexter Filkins du New Yorker. « Dans des pays où l'on prône la terreur comme l'Irak ou l'Afghanistan, ou bien la Somalie et le Yémen, » écrit Filkins, « Mattis dit que son but est de limiter la violence à des niveaux raisonnables. "Je veux en arriver à un point où les pertes soient minimales." À ce point-là, dit-il, il sera probablement suffisant pour les États-Unis d'intervenir seulement sporadiquement, afin de contenir les éruptions de violence. »

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L'honnêteté de Mattis pourrait être rafraîchissante, s'il ne décrivait pas un échec qui prendra des générations à réparer. N'oublions pas qu'il ne parle pas seulement d'États faillis comme le Yémen ou la Somalie, où les États-Unis ne se sont que très peu investis, mais aussi de l'Afghanistan et l'Irak, où les États-Unis ont dépensé un total de cinq mille milliards de dollars et perdu plus de 6 000 hommes, et où au moins 200 000 civils ont été tués.

Selon un récent rapport de l' « U.S. Worldwide Threat Assessment », la sécurité en Afghanistan devrait encore empirer, avec ou sans soutien international continu.

Le rapport contient aussi une liste de détails déconcertants :

  • « Le dysfonctionnement politique et l'inefficacité du gouvernement de Kaboul seront sûrement les plus gros obstacles à la stabilité. »

  • « Les performances des forces de sécurité nationale afghanes (ANSF) vont probablement baisser à cause des attaques des talibans, du bilan humain des ANSF, des désertions, d'un support logistique médiocre, et de la faiblesse des dirigeants. »

  • « L'ANSF va presque certainement rester lourdement dépendante de l'aide militaire et financière internationale afin de survivre et éviter l'effondrement. »

  • « Les combats vont continuer de menacer le personnel américain, les alliés, et les partenaires, particulièrement à Kaboul et dans les zones urbaines. »

  • « Bien qu'ils ne soient pas parvenus à envahir la capitale provinciale en 2016, les talibans ont réussi à opérer un deuxième changement de leader en deux ans, à la suite de la mort de leur précédent chef, Mansour, et il est probable qu'il gagne plus de terrain en 2017. »

Des résultats incroyables pour la guerre la plus longue menée par les États-Unis.


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