Poussière, nids-de-poule et grosse chaleur : bienvenue sur le Tour du Faso
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Poussière, nids-de-poule et grosse chaleur : bienvenue sur le Tour du Faso

Un an après une annulation à cause du virus Ebola, l'une des plus grandes courses du cyclisme africain a recommencé la semaine dernière. On vous raconte.

Le soleil cogne très fort ce samedi à Ziniaré, commune située à une vingtaine de kilomètres de Ouagadougou, capitale du Burkina Faso. Affalé sur une chaise en ferraille, le jeune homme au dossard numéro 6 est en souffrance. Depuis quelques minutes, il s'efforce de reprendre son souffle et ses esprits. Sur ses mollets, des gouttes de sueur slaloment entre ses veines saillantes. Autour de lui, une assemblée de journalistes et de badauds l'observent. Personne ne dit mot devant le corps meurtri de Mathias Sorgho. Le regard vague, il ressasse l'épilogue de cette deuxième étape du Tour du Faso. Aujourd'hui, le Burkinabé aurait pu créer l'exploit et s'illustrer devant son public. Mais dans la dernière ligne droite, le cycliste n'a jamais réussi à rattraper les deux coureurs marocains. À quelques mètres de là, le speaker attitré du tour harangue la foule. Et prononce les mots qui font mal : « Le Tour du Faso, c'est plus de 340 millions de téléspectateurs ! Le Tour du Faso, c'est l'événement sportif le plus important du continent après la Coupe d'Afrique des Nations ! ». Et ça, Mathias Sorgho ne le sait que trop bien.

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Annulée l'an dernier à cause de l'épidémie d'Ebola qui a menacé la région, le 30 octobre 2015 sonnait le come-back de la course la plus attendue du cyclisme africain. Dix équipes, dont huit africaines, étaient au départ d'un des tours les plus importants du continent. Pourtant, le Tour du Faso ne peut se targuer d'un parcours vraiment diversifié. Inscrit au calendrier de l'Union Cycliste Internationale depuis 2005, la course représente 1310,2 kilomètres de routes souvent rectilignes, un très faible dénivelé et quelques chemins non-goudronnés. C'est à peu près tout. Mais l'essentiel est ailleurs. Et pour comprendre l'engouement suscité par le Tour, il suffit de regarder le bord des routes, où se rassemblent des dizaines de milliers de personnes à chaque édition.

À 97 km de Ouagadougou, deux militaires longent l'axe qui traverse la ville de Yako. Matraque à la main, les deux hommes font comprendre à la foule venue en masse de ne pas trop s'approcher de la route. Dieudonné Combéré ne lâche pas l'horizon du regard. Cela fait plus d'une heure et demie que la ville s'est arrêtée de respirer. « Je ne connais pas une seule personne du village qui ne vienne pas voir les coureurs passer, affirme le jeune homme. C'est comme aller au stade. Et c'est gratuit ». D'un coup la rumeur enfle. On aperçoit enfin les cyclistes arriver, avec à leur tête, le Burkinabé Abdoul Aziz Nikiema, vainqueur de la dernière édition du Tour. La foule éclate de joie. Elle réservera le même accueil tonitruant aux 115 autres cyclistes qui suivront.

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Pour Laurent Bezault, directeur de la course, cet engouement est exceptionnel sur le continent. « Une ambiance comme celle-ci, tu n'en trouves pas sur tous les tours africains, assure-t-il. Également conseiller UCI Afrique, cet ancien coureur professionnel sait de quoi il parle. « Au Burkina, le tour fait partie du patrimoine. Après le football, c'est le deuxième sport du pays. Il y a une culture cycliste développée, avec des courses régulières, des clubs et de véritables supporters. » Et des supporters des plus hardcores. En juillet 2015, après les championnats nationaux, certains sont allés jusqu'à la menace de mort. La cible ? Rasmané Ouédraogo, un cycliste qui, d'un coup de coude, aurait renversé le champion en titre Salfo Bikienga à quelques mètres de la ligne d'arrivée. Il aura fallu l'intervention du Mogho Naba, roi des Mossis et autorité morale du pays, pour calmer le jeu entre les deux hommes. Au pays des hommes intègres, on ne blague pas avec le vélo.

À l'image du cyclisme africain, le Tour du Faso est encore loin du niveau professionnel. Seule la Tropicale Amissa Bongo, qui a lieu au Gabon, peut se vanter d'attirer quelques équipes de haut niveau comme Europcar. Il n'empêche que le Tour jouit d'une renommée qui lui permet de faire venir quelques-unes des meilleures nations du continent comme le Maroc, l'Algérie ou l'Erythrée. Mais avant la ferveur populaire, ce sont les points de classement de l'UCI Africa Tour, qui regroupe la trentaine de courses qui ont lieu sur le continent, que les équipes viennent chercher. « Aujourd'hui, L'objectif est de participer aux Jeux Olympiques l'année prochaine », traduit Hamza Malek, directeur sportif de l'Algérie, première du classement des nations. Même chose du côté de son homologue marocain dont l'équipe se place en deuxième position du classement. « C'est une course qui est inscrite au calendrier de l'UCI, nous ne pouvons pas nous permettre de ne pas y participer, indique Bilal Mohamed. Nous sommes déjà sûrs de pouvoir envoyer des coureurs aux J.O. Mais le Tour du Faso est l'un des derniers de la saison, et on veut conserver notre place sur le podium. »

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Si les coureurs burkinabés ne trustent pas le haut du classement, ils restent les plus titrés sur l'épreuve. Pour eux, réussir sur le Tour est aussi un moyen d'obtenir davantage de visibilité dans le monde du cyclisme. Pour y arriver, Abdoul Aziz Nikiéma, vainqueur du cru 2013, a suivi des formations à l'extérieur du pays, notamment dans les centres de formation de l'UCI en Suisse et en Afrique du Sud. « Les coureurs africains sont obligés de passer par ces centres s'ils veulent devenir plus performants ». Cet été, il a aussi effectué un stage en Bretagne. « Là-bas, je courais dans des courses de première catégorie et en élite. C'était très dur de tenir sur chaque course. Mais c'est aussi en se confrontant à des coureurs d'un niveau supérieur qu'on s'améliore. »

Quand il rentre courir au pays, Nikiema ne cache pas son plaisir à voir les Européens trimer sous le soleil burkinabé. Joscha Weber, de l'équipe allemande, une des deux seules teams européennes avec la Suisse, préfère en rire : « Il fait trop chaud, les étapes sont super longues et les routes dans un sale état ! Si on arrive à finir le Tour ce sera déjà très bien. » Journaliste, Joscha réalise un sujet pour une chaîne de télévision allemande. Et admet être impressionné par l'engouement de la population qu'il croise sur les routes. « C'est hallucinant, à chaque village tu vois les enfants sortir en courant des écoles pour t'applaudir. En tant que journaliste, j'en ai vu des courses. Mais des comme celle-ci, jamais. »

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Et cette année, le Tour du Faso a une saveur encore plus particulière. En un an, une insurrection populaire a chassé un président assis au pouvoir depuis 27 ans, Blaise Compaoré, et un coup d'Etat avorté a reporté les élections présidentielles et législatives. Alors pour certains, ce Tour a des vertus extra-sportives. « Le Tour du Faso nous permet enfin de respirer et de nous changer les idées », explique Nestor Ouédraogo, venu suivre la deuxième étape. À Ziniaré, Mathias Sorgho a repris son souffle et retrouvé la parole. «Ces derniers temps, les Burkinabés ont vécu des épreuves difficiles, murmure le cycliste. Aujourd'hui je n'ai peut-être pas remporté la course, mais si j'ai pu apporter un peu de joie au public, c'est déjà ça.»

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