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FRANCE

« 1 an après » : Charlie Hebdo se souvient de l’attaque de sa rédaction

Il est 7h10 ce mercredi matin place de la République, dans le centre de Paris. Simon, kiosquier de 55 ans ouvre sa boutique.
VICE News / Etienne Rouillon

Il est 7h10 ce mercredi matin place de la République, dans le centre de Paris. Simon, kiosquier de 55 ans, ouvre sa boutique. Dans son magasin de journaux on trouve des cartes postales, des petits drapeaux français — qui se vendent bien depuis les attaques du 13 novembre — et d'autres souvenirs de Paris pour touristes. Mais ce matin les clients encore mal réveillés posent tous la même question : "Vous avez le Charlie Hebdo ?" Quasiment un an après jour pour jour, le magazine se souvient dans un numéro spécial de l'attaque terroriste qui l'a frappé le 7 janvier, tuant douze personnes.

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« J'en ai déjà vendu cinq », nous explique Simon, dix minutes après l'ouverture. L'année dernière à la même heure, le 14 janvier, devant les quatre kiosques qui se trouvent autour de cette place devenue lieu d'hommage et de commémoration des attaques de janvier et novembre, il y avait foule. On voyait se dessiner des queues de dizaines de personnes espérant mettre la main sur le numéro des survivants, sorti par une rédaction décimée une semaine après l'attentat.

Cette fois, pas de queue, mais un intérêt indéniable pour ce numéro de 32 pages vendu au prix habituel. Il part plus vite que la semaine précédente, nous confirme Simon alors qu'il demande « 3 euros s'il vous plaît » à un lecteur. Le kiosquier pioche de nouveau un numéro en couverture duquel on trouve le dessin dévoilé ce week-end : un homme barbu affichant les caractéristiques d'un dieu monothéiste, avec en plus une Kalashnikov en bandoulière dans le dos et des taches de sang sur sa toge blanche. Le titre dit : « 1 an après : L'assassin court toujours ». Un dessin de Riss, caricaturiste et directeur de l'hebdomadaire.

À lire : Un dieu assassin « court toujours » en Une du numéro spécial de Charlie Hebdo

Un lecteur de Charlie Hebdo sort d'un kiosque le numéro spécial en main. (VICE News / Etienne Rouillon)

Simon a prévu le coup, il a reçu 150 numéros pour ce mercredi, contre 20 à 25 habituellement. À 7h30, il nous dit que tout partira dans la journée. On fait un rapide tour des autres kiosques de la place encore vide — mis à part des policiers qui surveillent l'endroit — ils donnent le même son de cloche : cela se vend bien et plus vite que d'habitude. Cette fois, Simon n'a pas eu de demandes de réservation d'exemplaires, mais il précise que d'autres kiosquiers en ont bien eu pour ce numéro spécial. Le Charlie Hebdo post-attaque avec sa couverture « Tout est pardonné », s'était lui écoulé à plus de 1 000 exemplaires le jour de sa sortie, pour ce seul kiosque.

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Les ventes du journal se sont stabilisées cette année, autour des 100 000 exemplaires par numéro en moyenne (30 000 avant l'attaque) — auxquelles s'ajoutent 183 000 abonnements.

À lire : Comme tous les mercredis, Charlie Hebdo est sorti

Baptiste se faufile entre les présentoirs de cartes postales et demande un Charlie Hebdo. Simon replonge dans sa pile et tend un numéro à cet employé de magasin de 28 ans. Baptiste nous explique qu'il achète régulièrement Charlie Hebdo, pas toutes les semaines. Il le lisait aussi avant les attaques de janvier. Depuis, « Le journal a changé. On le sent, dans les pages il y a… » Baptiste hésite longtemps avant de choisir le mot : « Il y a de l'abattement. » Il explique aussi le changement de ton par le fait qu'évidemment ce ne sont plus les mêmes derrière les dessins, qu'il est difficile de remplacer ceux qui ont été tués ou qui ont quitté le journal, dans cette année marquée par des polémiques éditoriales et financières au sein d'une rédaction en recomposition. Simon, qui lui n'a jamais été un lecteur assidu du journal, opine du chef : « C'est ce que me disent les lecteurs, ça a changé. »

Baptiste, 28 ans, achète le numéro spécial de Charlie Hebdo (Etienne Rouillon / VICE News) 

En ouvrant les pages de ce numéro anniversaire, on retrouve pourtant les grandes lignes de ce qui fait l'ADN éditorial de Charlie Hebdo. Il y a là les habituels tirs groupés sur toutes les religions, de la provoc potache visant divers interdits, une critique au vitriol de différentes figures politiques autoritaires, une caricature d'un personnage qui n'est pas identifié clairement mais qui pourrait être le Prophète : assis devant un chevalet il se dessine en disant « Je me suis mis à l'autoportrait », le surtitre exlique « Un an après, les mentalités changent ! »

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D'autres choses détonnent et témoignent de ce que Luz, dessinateur survivant de l'attaque de la rédaction (il a annoncé son départ depuis), nous expliquait en interview en janvier de l'année dernière : le journal est devenu une icône malgré lui de la liberté d'expression, derrière le mot d'ordre « Je suis Charlie » . Un statut qui s'accompagne d'incompréhensions et de raccourcis que le journal démonte dans ce numéro anniversaire. Un statut toutefois renforcé dans ces mêmes pages, avec l'apparition de petits textes de soutien en quatrième de couverture, signés de personnalités du monde du spectacle, ou celle surprenante de la ministre de la Culture et de la Communication qui écrit « Charlie c'est l'insolence érigée en vertu et le mauvais goût en principe d'élégance. »

Sur cette quatrième de couverture — où l'on retrouve habituellement les « couvertures auxquelles vous avez échappé » (c'est ici que des caricatures de la mort du petit Aylan ont fait polémique à la mi-septembre) — le journal moque également les élans de solidarité dont il a fait l'objet. Ainsi on trouve des militants de l'organisation terroriste État islamique annonçant « On va quand même se réabonner », sous le titre « Le beau geste de Daech en perte de moyens financiers. »

Une pile d'exemplaires du numéro spécial dans un kiosque parisien (Etienne Rouillon / VICE News)

À l'intérieur, le numéro s'ouvre avec un récit poignant et méticuleusement détaillé : celui de l'attaque. Il est livré par les membres de la rédaction qui se sont retrouvés face aux terroristes, les miraculés, les blessés. Il est illustré par un dessin de l'équipe de la rédaction de l'époque, calqué sur "La Cène" de Léonard de Vinci. On y voit Charb, ancien directeur de la rédaction de Charlie Hebdo tué le 7 janvier, qui annonce « En vérité je vous le dis : on va se marrer encore longtemps ensemble. » Un plan des locaux, avec la place de chacun au moment de l'attaque ferme le dossier avant un éditorial au vitriol de Riss, nouveau patron du journal, qui accompagne ce texte (connu depuis quelques jours) par un dessin de tank aux couleurs du magazine roulant sur un terroriste.

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Le reste du journal prend la forme de double-pages avec des textes d'invités, des reportages, enquêtes et dessins de la rédaction, consacrés à différents sujets liés aux événements de janvier de l'année dernière. Il y a d'abord la manière dont Charlie Hebdo a été salué, souvent par des institutions qu'il critique. Un titre dit : « 2015 "Charlie Hebdo" rate le Panthéon d'un cheveu.» Viennent ensuite des pages sur la laïcité et sa fragilité, les dessins d'enfants envoyés à la rédaction, la manière dont le discours politique s'est focalisé sur les écoles au lendemain des attaques de Charlie Hebdo, de Montrouge et de l'Hyper Cacher. Des textes sur la radicalisation des jeunes français. On y critique aussi la couverture médiatique des attaques et les prises de paroles de la classe politique, résumées par la formule « Tout savoir et ne rien comprendre ». Enfin on trouve des articles sur la difficulté de rire et de critiquer le pouvoir de la religion dans le monde, et un regard pessimiste sur la capacité de produire un discours et des réponses intelligentes aux drames de janvier et de novembre à Paris.

Il y a encore un cahier central, où l'on retrouve des citations, des textes et bien sûr des dessins faits par ceux qui ont été tués, dont Wolinski qui croque une femme de dos portant un tee-shirt très court sur lequel on lit « Loi 1905 » (la loi de séparation des Églises et de l'État en France), juste au-dessus d'un tatouage sur ses fesses disant « Ni Dieu, ni maître. »

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Des caméras se pressent autour du kiosque de Simon, il dit qu'il a l'habitude de voir les journalistes. Après avoir travaillé dans un kiosque gare d'Austerlitz il s'est installé ici le 5 janvier, deux jours avant l'attaque de Charlie Hebdo. Il était ouvert quasi tous les jours en 2015, alors que l'endroit devenait un lieu de mémoire après les attentats de janvier et novembre. Ce dimanche, une grande commémoration aura lieu, juste derrière son kiosque.


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