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15 jours à bord d’un bateau qui sauve les migrants en Méditerranée

Nous avons passé deux semaines à bord du Sea Watch 2. Sa mission : recherche, sauvetage et secours des migrants en perdition dans la Méditerranée et la mer Égée.
Photo par Fabian Melber et Ruben Neugebauer.

VICE News regroupe ses articles sur la crise migratoire mondiale sur son blog «Migrants »


Il y a les traumatismes visibles, et ceux qui le sont moins. Tzenna est une jeune nigériane de 22 ans. Après avoir été secourue, elle a dormi profondément pendant plusieurs heures. Elle se réveille et attire l'attention de l'équipage du Sea Watch 2. « Où est ma soeur ? » demande-t-elle paniquée. Ils la rassurent. « Tout le monde a été sauvé, ne t'en fais pas, on la cherche » On parcourt le bateau pendant une demi-heure, à la recherche de « Juliette ». On passe le mot sur les autres bateaux. Personne n'en a entendu parler.

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Une autre jeune fille nigériane s'approche : « Elle était seule, il n'y avait personne avec elle, ni en Libye, ni sur le bateau pneumatique. » Tzennia se met à pleurer. « Ce n'est pas vrai, elle a été sauvée par un bateau vert. » Elle s'allonge à nouveau sur le sol et elle dort pendant plusieurs heures. Quand elle se réveille, elle ne se souvient de rien. Cela peut être l'expression d'un stress post-traumatique : tachycardie, cauchemars, hallucinations.

Sandra, une membre de l'équipage, à l'arrivée d'un pneumatique. (Photo par Fabian Melber, Ruben Neugebauer)

Nous avons passé deux semaines en juillet à bord du Sea Watch 2. Il est géré par une ONG allemande du même nom. Sa mission : recherche, sauvetage et secours des migrants en perdition dans la Méditerranée et la mer Égée. Le navire construit en 1968 fait 32 mètres de long pour 7,2 de large. Il doit couvrir une zone de 19 miles nautiques sur 15 (30km sur 24). L'espace a été établi par le Centre de coordination du sauvetage en mer de Rome.

En deux semaines, le Sea Watch 2 va sauver 6 500 personnes. Certaines resteront à bord pendant plusieurs heures, d'autres passeront directement sur des navires plus grand.

Le 22 juillet, 1 128 migrants sont secourus par le Sea Watch 2. Le 28, ils sont 3 400. Cela a été la journée la plus intense avec 34 opérations différentes : 28 pneumatiques et six embarcations en bois.

Lucas, le mécanicien navigant intervient dans la salle des machines. Il est habitué au bruit assourdissant des turbines et a une solide expérience à bord de cargos et de porte-containers.. (Photo par Francesco Floris)

Il n'y a pas d'excitation ou de précipitation pendant une opération de recherche et de secours. Cela peut commencer à 4h00 du matin, et se terminer à 8h00 du soir.

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S'il faut attendre un bateau de secours en renfort, on peut devoir surveiller un pneumatique pendant cinq heures sous un soleil de plomb, faire attention à ce qu'il ne se perce pas ou se renverse. On communique avec une dizaine de pays pour savoir qui a un navire disponible, avec des vivres à bord dans le meilleur des cas.

Il faut aussi convaincre les migrants qu'on ne va pas les remmener à Sabratha, à une trentaine de kilomètres à l'ouest de Tripoli. Là-bas, de nombreux migrants ont été victimes d'abus.

Joe, le chef de la mission. (Foto di Fabian Melber, Ruben Neugebauer)

Le radar peut scanner les environs jusqu'à 130 miles nautiques, mais cela ne sert à rien : les petits pneumatiques qui tracent dans la Méditerranée, depuis plusieurs années maintenant, se confondent avec les vagues ou les filets de pêche.

Les meilleurs outils pour les repérer, ça reste l'oeil humain et les jumelles. La nuit on peut voir des petits flashs de lumière. « Ce sont les réservoirs d'essence », nous explique Reinhart, le capitaine du bateau sur lequel nous avons embarqué.

Sur l'écran noir du radar apparaissent des petits points vers. On peut lire les noms, les routes et les vitesses des autres bateaux qui patrouillent dans les environs. Il y a une flotte soutenue par Médecin Sans Frontières. On trouve le Sea Eye allemand, le Phoenix des Maltais de MOAS, l'Aquarius de SOS Méditerranée. Il y a encore les Espagnols de Proactiva Open Arms, et beaucoup d'autres.

D'autres bateaux appartiennent à la flotte d'EUNAVFOR MED, qui dispose des moyens militaires des opérations Sophia et Mare Sicuro. On trouve par exemple les navires de haute mer des Gardes-côtes italiens : le Fiorillo ou le l.Datillo.

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La journée sur le Sea Watch 2 est marquée par des contrôles divers à bord : outils de communication, moteurs. On envoie régulièrement des nouvelles au centre de commandement. Toutes les quatre heures on relève la personne qui est de garde sur le pont.

Douche à bord, après le sauvetage. (Foto di Francesco Floris)

« La météo, c'est la seule chose que tu ne peux pas contrôler », nous explique Joe, le chef de la mission Sea Watch. Il est étudiant en technologie maritime à Stockholm.

Joe lit le bulletin météo alors que la nuit tombe en ce mois de juillet. L'équipage est frustré. Il n'y a pas d'embarcations de migrants en vue. Ils ne savent pas si c'est une bonne ou une mauvaise nouvelle. Une mauvaise nouvelle parce que des embarcations de fortune ont probablement pris la mer, mais elles n'ont pas réussi à quitter les eaux territoriales de Libye, là où l'on ne peut pas naviguer sans risque de voir des hommes armés monter à son bord.

Un mois auparavant, des militaires libyens ont tiré des coups de feu, avant de monter à bord du Sea Watch 2. Le Bourbon Argos de Médecins Sans Frontières a lui aussi eu des hommes en armes sur son pont, comme le raconte le Guardian.

Après l'incident, le Sea Watch 2 est rentré au port à Malte pour mettre au point une pièce sécurisée en cas d'attaque.

Le matin, on se réveille à 3h45 du matin, pour éviter d'être réveillé en sursaut à l'aube par l'alarme qui prévient de l'arrivée d'un pneumatique surchargé de migrants, comme on peut le voir dans cette vidéo que nous avons tournée à bord :

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(Video par Francesco Floris)

Tous les jours, on sort les quatre paires de jumelles et les 585 gilets de sauvetage qu'il faut désinfecter et remettre dans leur sac.

On ne compte pas en revanche le nombre de bouteilles d'eau, les serviettes et les couvertures de survie qui réchauffent ceux qui ont passé une nuit à la merci de l'eau et du vent, les médicaments contre le mal de mer, les petits ballons pour divertir les enfants, et les kilos de riz.

(Photo par Fabian Melber, Ruben Neugebauer)

On n'a pas attendu longtemps avant d'être confrontés à la mort. 15 corps de migrants sont retrouvés entassés dans une embarcation de bois. Ils ont étouffé à cause de la chaleur et du manque d'oxygène.

Le drapeau du Sea Watch 2 est mis en berne « en signe de solidarité avec les morts de Méditerranée », explique Brendan, un ancien médecin militaire qui a fait l'Afghanistan. Il est aujourd'hui pompier à Newcastle.

« On est frustrés et en colère : ces personnes sont mortes après avoir payé 1 000 euros. Et elles sont mortes pour une seule raison : parce qu'on ne les a pas laissées payer 500 euros pour un billet d'avion ou de ferry. »

(Foto par Fabian Melber, Ruben Neugebauer)

Les médecins du Cisom, le Corps italien de secours de l'Ordre de Malte, sont en charge du bilan médical des malades secourus. Maurizio monte à bord du Sea Watch 2, dans sa combinaison de protection biologique. Il veut s'assurer de l'état d'une femme enceinte.

« J'ai besoin de la température corporelle, le niveau de sucre dans le sang, hypothermie, hyperthermie. Vous avez relevé les infections ? Les autres femmes sont-elles enceintes, de beaucoup de mois ? » Maurizio demande qu'on le traduise en anglais. « Toute la journée je parle trois langues, je suis épuisé. »

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Reinhart, le capitaine du bateau, 64 ans. (Photo par Fabian Melber, Ruben Neugebauer)

Welf, membre de l'équipage. (Photo par Fabian Melber, Ruben Neugebauer)

(Photo par Francesco Floris]

Arne passe ses journées à scruter l'horizon. (Photo par Fabian Melber, Ruben Neugebauer)

Le dernier jour, le 30 juillet, une nouvelle victime. C'est une jeune fille qui a entre 16 et 18 ans. On ne connaît ni son nom, ni son origine. Elle est morte après son sauvetage. C'est le soleil qui l'a tuée. 600 autres personnes seront sauvées le même jour.


Suivez Francesco sur Twitter : @FraFloris

Photos et vidéo par Francesco Floris, Ruben Neugebauer, Fabian Melber