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24 heures à Calais

Il n’y a jamais eu autant de migrants à Calais. Entre le surnombre, les violences policières et les pluies verglaçantes, nombreux décrivent cet hiver comme l’un des pires pour les candidats à la traversée illégale vers l’Angleterre.
VICE News / Mélodie Bouchaud

« Jungle » de Tioxide, en périphérie de Calais. Photo de Mélodie Bouchaud / VICE News.

« La police ici n'est pas sympa, elle est dure. Elle nous frappe. Elle a cassé la jambe d'un autre migrant qui vit dans ce camp, et la main de mon ami, » nous raconte à notre arrivée à Calais, jeudi dernier, Mahamed Salemen, un Soudanais de 36 ans. Cela fait trois mois qu'il est là. Il a déjà fait plus de quinze tentatives pour passer en Angleterre, pour « avoir une bonne vie et étudier, une vie sans génocide, sans nettoyage ethnique. » Mais à chaque fois, il a été récupéré par la police.

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Dans un rapport rendu public mardi 20 janvier, Human Rights Watch (HRW) dénonce les violences policières dont les migrants et demandeurs d'asile de Calais sont l'objet selon l'organisation internationale dédiée à la défense des droits humains. L'enquête est basée sur les témoignages de 44 personnes, recueillis en novembre et décembre 2014 par l'ONG.

Les abus décrits à HRW comprennent des passages à tabac et des attaques au gaz lacrymogène alors que les migrants et demandeurs d'asile marchaient dans la rue ou se cachaient dans des camions dans l'espoir de se rendre au Royaume-Uni, » accuse HRW dans le document , qui dénonce également les conditions dans lesquelles vivent les environ 2 400 migrants qui se trouvent actuellement à Calais, dans l'attente d'une opportunité de rejoindre illégalement le Royaume-Uni. Un chiffre qui n'a jamais eu de précédent.

À lire : Un rapport dénonce des violences policières contre les migrants à Calais

À l'approche du port de Calais, les camions sont à l'arrêt sur des kilomètres. Photo de Mélodie Bouchaud / VICE News.

Nous sommes arrivés à Calais deux jours plus tard, le jeudi 22 janvier. Jusqu'à notre départ le lendemain, la plupart des migrants que l'on a croisés nous ont parlé, réjouis, du succès de certains de leurs compagnons d'infortune. Des associatifs nous ont confirmé que ces derniers jours, dans les nuits de mercredi à jeudi et jeudi à vendredi, c'est près de 300 personnes qui ont quitté les différents bidonvilles de la ville et ses alentours. Ils auraient réussi à passer vers l'Angleterre.

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Une des explications avancées, c'est que les camions en partance pour l'Angleterre roulent au ralenti ces jours-ci, à cause d'un problème de caténaire dans le tunnel sous la Manche. Les 22 kilomètres de bouchons formés par les camions rendent plus simples — et moins dangereuses — les tentatives des migrants qui veulent monter à bord.

Malgré ce départ important, ils sont encore nombreux dans les différents squats et jungles de la ville à avoir faim, à avoir froid, et à attendre. D'après la préfecture du Pas-de-Calais, ils seraient 2 400 cet hiver, contre 400 l'hiver dernier. Au plus fort de Sangate, on plafonnait à 2000 personnes. La plupart des migrants vivent dans des lieux insalubres, et survivent grâce au soutien des bénévoles et des associations, et, plus récemment, grâce à l'aide de l'État. La perspective d'une vie meilleure les fait aussi tenir.

Les lieux clés de notre reportage.

Devant le « squat Leader Price », également surnommé le « squat des Soudanais », tout près de l'autoroute A16 qui mène au tunnel sous la Manche, un Syrien d'une trentaine d'années est venu manger la soupe de poisson distribuée par les bénévoles de l'Auberge des Migrants. Cet ingénieur informaticien nous raconte avoir été emprisonné par le régime de Bachar Al-Assad qui l'a accusé, à tort d'après lui, « d'avoir posté des vidéos sur YouTube et d'avoir parlé à Al-Jazeera de ce qu'il se passait dans le pays. » Une fois libéré, il a fui la Syrie. Il est arrivé à Calais il y a trois ou quatre jours. « J'ai eu un choc en voyant la situation des gens à Calais, ce n'est pas logique de laisser les gens dans la jungle, mais je me suis enfui d'un pays en guerre et quelles que soient les conditions de vie ici, on est plus en sécurité, » explique-t-il à VICE News.

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Mahamed, 36 ans, déclare à VICE News : « C'est terrible de vivre ici, on n'a pas de toilettes, on n'a pas d'eau. La plupart des Soudanais qui sont ici veulent aller en Angleterre. » Photo de Mélodie Bouchaud / VICE News.

Christian Salomé est président de l'Auberge des Migrants, une association créée en 2008, qui regroupe une cinquantaine de bénévoles itinérants qui distribuent des repas aux migrants dans la région de Calais. Il raconte à VICE News qu'il n'est pas rare que les migrants aient un choc en arrivant : « Quand ils arrivent à Calais, ils ont déjà fait entre 3000 et 5000 kilomètres dans des conditions très difficiles, ils ont traversé des déserts, des montagnes, ou la Méditerranée. Ici il ne reste que 30 kilomètres [avant l'Angleterre]. Ils se considèrent presque arrivés et ne se rendent pas compte qu'il y a une frontière qui va leur donner encore du fil à retordre. »

Ce retraité vient en aide aux migrants qui arrivent à Calais depuis le début des années 1990 et la guerre dans les Balkans, à l'origine de la première grosse vague de réfugiés dans la ville portuaire. Il admet que cet hiver est particulièrement rude, en raison du nombre de migrants, mais aussi à cause des conditions climatiques : des pluies verglaçantes sont tombées ces dernières semaines. « Le froid, c'est peut-être moins gênant que l'humidité. Ils vivent dans des 'Quechua' qui sont des tentes d'été. On a beau leur rajouter des bâches, c'est inadapté. » Le camp de « Leader Price » a été inondé à plusieurs reprises, et ses habitants vivent dans la boue.

Les associations distribuent des repas chauds dans certains campements, comme le camp de Leader Price ou au squat « Gallou », malgré l'ouverture le 15 janvier dernier d'un service d'accueil et d'aide aux migrants qui distribue également un repas à 17 heures. Situé dans l'ancien centre aéré Jules Ferry, et financé par l'État, l'endroit est à plus de deux heures de marche à pieds de certains bidonvilles, ce qui décourage des migrants qui préfèrent garder leurs forces pour tenter de monter dans un camion.

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Les habitants du squat « Leader Price » sont à deux heures de marche du centre d'hébergement de jour. C'est la raison pour laquelle les associations continuent de venir y distribuer des repas chauds. Photo de Mélodie Bouchaud / VICE News.

Trois tentes ont été dressées dans la cour de l'ancien centre aéré. Avant la distribution des repas, les migrants peuvent venir boire un thé ou un café et recharger leurs téléphones. Les associations ont distribué dans les différents lieux de vie des migrants des plans d'accès au centre Jules Ferry ; alors que le soleil se couche, des centaines de personnes font calmement la queue pour une soupe, du riz et de la viande.

À lire : C'était Sangatte

Une semaine après son ouverture, l'affluence est déjà plus importante que ce que les responsables avaient anticipé. Un quart d'heure après le début de la distribution, le directeur du centre court en cuisine demander aux cuisiniers de préparer plus de raviolis. 450 repas avaient été prévus, et finalement on en a distribué 580 ce soir-là. Environ 300 personnes sont venues, la plupart des gens se servant plusieurs fois, souvent pour amener à manger à ceux qui sont restés dans les campements.

Le service d'accueil doit fermer à 19h. Une fois le repas pris, ils sont très peu à rester dans la cour du centre Jules Ferry, tant il fait froid. Six Iraniens s'approchent des bénévoles. Deux d'entre eux sont arrivés aujourd'hui seulement, ils n'ont pas de couverture, et pas même de manteau. On leur explique qu'un centre d'hébergement d'urgence a été mis en place par la préfecture dans le cadre du plan « Grand froid ».

Mais le hangar où les migrants peuvent trouver refuge les soirs où le vent glacé est insoutenable est à une heure de marche. Les Iraniens hésitent. Finalement, ils prendront la voiture de bénévoles qui proposent de les emmener. Une fois sur place, on les informe qu'ils ne peuvent pas prendre leurs sacs avec eux. Seuls ceux qui n'ont pas de vêtements chauds décident d'y passer la nuit.

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À lire : À Calais, « tout le monde est pris au dépourvu »

Les bagages ne sont pas autorisés parce que le centre peut fermer du jour au lendemain, sur décision de la préfecture, explique à VICE News David Lacour, qui gère le centre avec son association Solid'R. Seule une petite partie du hangar est suffisamment chauffée et éclairée pour être exploitable. David Lacour nous fait visiter les lieux, pour montrer à quel point c'est grand. « C'est immense, mais qu'est-ce que vous voulez en foutre ? » s'exclame-t-il. Des travaux d'électricité ont été réalisés, mais les budgets alloués à l'association ne sont pas suffisants pour permettre d'accueillir plus de 280 migrants sur des matelas posés à même le sol. Voilà pourquoi une grande partie de l'espace reste inutilisée.

« Ils vivent dans des tentes d'été » - vue du squat « Leader Price ». Photo de Mélodie Bouchaud / VICE News.

Une toute petite pièce est prévue pour les femmes. Ce soir-là, deux soeurs, originaires du Soudan sont venu trouver refuge. Âgées de 14 et 16 ans, elles nous disent avoir trop froid pour tenter de passer en Angleterre. Elles sont venues avec deux de leurs frères, qu'elles ne veulent pas quitter, bien qu'on leur propose d'aller dormir dans un centre réservé exclusivement aux femmes.

De plus en plus de femmes figurent parmi les migrants qui arrivent à Calais. Une nouvelle donne. En mars, le centre Jules Ferry mettra en place un hébergement de nuit pour les femmes, qui pourra héberger jusqu'à 100 personnes. En attendant, l'État a chargé l'association Solid'R de prendre en charge la « maison des dames », qui peut héberger jusqu'à 50 femmes et enfants — sur les 200 femmes qui seraient actuellement présentes, chiffre avancé par plusieurs associations sur le terrain— dans un bâtiment préfabriqué, à l'écart du centre-ville.

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Dans cette « maison » qui ressemble à une garderie, aucun homme n'est autorisé. Ce jeudi, trois jeunes femmes, Megrtu, Bive et Konjet sont assises sur un canapé, au chaud sous une couverture. Elles sont venues du Soudan et d'Érythrée, et espèrent chaque jour passer en Angleterre.

Joliment maquillée, du vernis vert pomme sur les ongles, Megrtu, trente ans, se réjouit. Un ami qu'elle s'est fait en Libye, sur la route de l'Angleterre, a réussi à passer la nuit précédente. « On va faire la fête pour célébrer, » annonce-t-elle. « Ensuite, on ira sur l'autoroute pour essayer de passer. On y va à minuit, quand les policiers commencent à être fatigués, » dit-elle en rigolant. Elle tourne leur situation à la blague, explique que c'est leur « job » d'essayer de passer.

Ce soir, plus d'une centaine de repas supplémentaires ont été distribués au centre Jules Ferry. Photo de Mélodie Bouchaud / VICE News.

Mallorie, Française, la vingtaine, assure une permanence de nuit à la maison des dames ; elle décrit à VICE News une atmosphère plutôt joyeuse, malgré le contexte : « Elles ont un passé compliqué, elles ont vu et vécu des choses qu'on préfère ne pas imaginer, mais ça reste des jeunes filles. Elles font leurs cheveux, elles se mettent du vernis, elles dansent. Et la nuit, elles sortent [de leur refuge] pour essayer de monter dans un camion. »

Tous les moyens sont bons pour monter dans un camion. Avec l'aide d'un passeur, les migrants peuvent tenter de monter dans un camion pendant que le chauffeur prend de l'essence. Sinon, ils improvisent, se glissent par l'avant du camion, se cachent au niveau des essieux.

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Le matin, la « jungle de Tioxide », l'un des camps de fortune des migrants, est calme, on fait le bilan de la nuit dernière autour d'un feu de bois, avec une tasse de thé. Certains ont eu trop froid pour aller tenter leur chance au bord de l'autoroute.

À lire : Calais, la jungle d'après

L'école de « Tioxide » où des rudiments de français sont enseignés dans cette école de fortune. Photo de Mélodie Bouchaud / VICE News.

Tous les habitants de cette jungle — le plus grand des campements de fortune, sur la dizaine que compte la ville — ne cherchent pas nécessairement à rejoindre l'Angleterre. Une partie d'entre eux cherche à rester en France. Le camp s'installe dans la durée, malgré les menaces d'expulsion permanente. On compte deux restaurants, un barbier, une église, une mosquée et même une école, pour apprendre le français aux demandeurs d'asile.

D'après le Secours catholique, 20% des émigrés qui vivent à Calais et dans ses environs sont des demandeurs d'asile. Certains ont soit renoncé à aller en Angleterre au vu de la dangerosité de l'entreprise, et d'autres sont venus jusqu'à Calais, car selon des membres du Secours catholique qui travaillent sur place, le traitement des procédures est plus rapide qu'ailleurs en France (entre un et trois mois, contre un an parfois à Paris).

Dans les locaux du secours catholique, à Calais, où migrants et demandeurs d'asile boivent un thé et rechargent leurs téléphones, un homme, visiblement épuisé, se présente pour avoir, au plus vite, un papier certifiant qu'il est en France depuis plus de trois mois. Il en a assez. Ce justificatif lui permettra de rentrer en Afghanistan.

Suivez Mélodie Bouchaud sur Twitter @meloboucho

Toutes les photos sont de VICE News / Mélodie Bouchaud.