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VICE News

Si vous n’avez rien suivi de ce qu’il se passe au 36 Quai des Orfèvres

Le premier flic de Paris est mis en examen dans une affaire de violation du secret de l’instruction.
Pierre Longeray
Paris, FR

Bernard Petit, le patron de la police judiciaire parisienne (PJ) - institution qui tient son surnom de son adresse dans la capitale française, le 36, Quai des Orfèvres - a été mis en examen et suspendu dans la soirée de ce jeudi 5 février. Il est soupçonné d'avoir violé le secret d'instruction dans le cadre d'une affaire impliquant l'« escroc des stars » (notamment américaines dans les années 1990) Christophe Rocancourt, et Christian Prouteau, le fondateur du GIGN, l'unité d'élite de la gendarmerie nationale.

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Prouteau aurait été renseigné par Petit et trois de ses collaborateurs sur le contenu de « l'affaire Rocancourt » — une affaire de revente de titres de séjours — pour laquelle il s'apprêtait à être interrogé. L'escroc professionnel se retrouve ce vendredi matin lié à une autre affaire qui fait trembler le « 36 » depuis six mois. Il serait impliqué dans le vol d'août 2014 de 52 kilos de cocaïne mis sous scellés au sein même du « 36 » par un fonctionnaire de la brigade des stupéfiants. Rocancourt est soupçonné de blanchiment et de complicité de recel dans cette affaire indique le journal Le Monde. Il a été mis en examen ce vendredi en fin d'après-midi.

Mercredi 4 février, la « police des polices » (l'Inspection générale de la police nationale) a procédé au petit matin à une perquisition dans les bureaux de Bernard Petit. Également placés en garde à vue ce jour-là dans cette affaire , Richard Atlan, le chef de cabinet du patron du « 36, » Joaquim Masanet, un syndicaliste policier et Philippe Lemaitre, policier détaché à l'Anas (Association nationale d'action sociale de la police). Atlan et Lemaitre ont été mis en examen ce jeudi soir avec Petit, alors que la garde à vue de Masanet se poursuivait pour une seconde nuit.

L'IGPN soupçonne les quatre hommes entendus d'avoir fourni des informations à Christian Prouteau sur le contenu du dossier de l'affaire Rocancourt pour laquelle il a été auditionné en octobre 2014. La justice française reproche à Christophe Rocancourt - rendu célèbre pour des affaires d'escroqueries dans les années 1990 de stars hollywoodiennes - d'avoir essayé de monnayer des titres de séjours pour des immigrés menacés d'expulsion. Rocancourt avait demandé à son ami Christian Prouteau, ancien chef du GIGN, d'user de ses relations pour régulariser — sans succès — la situation de deux soeurs marocaines menacées d'expulsion.

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Les juges Roger Le Loire et Charlotte Bilger se saisissent du dossier Rocancourt et convoquent Prouteau pour s'expliquer. Début octobre, lors de sa garde à vue, l'ancien boss du GIGN parait très au courant des faits qui lui sont reprochés, ce qui alerte les deux juges. Suite à la mise sur écoute de Prouteau et à l'épluchage de ses conversations téléphoniques, l'IGPN découvre que Philippe Lemaitre, le fonctionnaire détaché à l'Anas, aurait joué le rôle de l'intermédiaire entre Petit et Prouteau. Il aurait révélé à ce dernier des informations avant sa discussion avec les deux juges.

Maitre Thierry Vallat, avocat au barreau de Paris, explique à VICE News que « toutes les personnes soumises au secret professionnel : les avocats, greffiers, magistrats et donc les policiers, ne doivent communiquer aucune information sur les dossiers qu'ils traitent. » En réalité, il est « monnaie courante » que le secret d'instruction soit brisé selon Maitre Vallat. « L'exemple même ce sont les informations que vous retrouvez dans la presse sur une enquête en cours, » rappelle l'avocat.

Une succession d'affaires au « 36 »

Cette nouvelle affaire, qui met en péril le sommet de la hiérarchie de la PJ parisienne, survient quelques jours après la mise en examen de plusieurs officiers de police, suite au vol de cocaïne au sein même de la salle des scellés du « 36. » En avril 2014, une touriste canadienne avait accusé des fonctionnaires de la BRI (les Brigades de Recherche et d'Intervention, logées au 36) de viol au sein de leurs locaux. En décembre 2013, l'ancien patron de la PJ Chrisitan Flaesh avait été démis de ses fonctions par le ministre de l'Intérieur de l'époque, Manuel Valls, soupçonné d'avoir prévenu Brice Hortefeux de sa convocation prochaine pour témoigner dans une affaire concernant les comptes de campagne de 2007 du candidat Nicolas Sarkozy.

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Claude Cancès a passé 35 ans de sa vie au 36, Quai des Orfèvres, entrant comme jeune inspecteur pour finir directeur général, comme Bernard Petit. Contacté par VICE News, l'ancien chef de la PJ explique que l'histoire de la PJ parisienne a toujours été agitée, mais Cancès admet que « C'est une première de voir le patron du 36 en garde à vue. Surtout quand on connaît le personnage de Petit, un type très réservé et timide. »

Le retour des ripous ?

« Parfois pour des raisons d'État, il faut savoir sortir un pied du cercle de la légalité, mais jamais les deux, » nous dit Cancès, qui se souvient avoir par moment permis à ses hommes « de sortir de la petite couronne [NDLR, hors de Paris, donc de la zone couverte par la PJ parisienne] pour poursuivre des bandits. »

Sans commune mesure avec les faits aujourd'hui évoqués, les méthodes du 36 et de ses ancêtres ont toujours eu un parfum sulfureux, qui a été souvent prisé par le cinéma ou la télévision. « Le père de la police judiciaire, Eugène-François Vidocq, nommé à la tête de la Brigade de Sûreté en 1811, était un repris de justice, » rappelle à VICE News Jean-Marc Berlière, spécialiste de l'histoire des polices en France. « En 1830, quand on se débarrasse de lui et qu'on remplace son équipe par une bande de gens honnêtes, tout le monde s'en est gaussé. Les nouveaux ne parlaient pas la même langue que les bandits de l'époque, » explique Berlière. Il ajoute que « Le travail de la PJ implique parfois que ces policiers aient des rapports proches avec le monde du banditisme. La frontière est fine entre ce qui est professionnel et ce qui ne l'est plus. »

Berlière ne croit cependant pas que « la multiplication des affaires au 36 soit le signe d'une augmentation du nombre de ripoux. » Au contraire, « Il y a sans doute plus de rigueur au niveau des services de sécurité, du ministère de l'Intérieur mais aussi de l'IGPN. Ces abus sont devenus intolérables pour les collègues de flics ripoux qui n'hésitent plus à avertir les services compétents. »

Suivez Pierre Longeray sur Twitter : @PLongeray