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Crime

Les barons de la drogue afghans et les drones américains

Les derniers documents livrés par Edward Snowden montrent que les bombardements de drones américains en Afghanistan visaient aussi des dealers de drogue soupçonnés de soutenir l’insurrection.
Photo via Wikimedia Commons

Les derniers documents révélés par Edward Snowden, le lanceur d'alerte, ex de la NSA révèlent que les bombardements de drones américains en Afghanistan ne se limitaient pas aux dirigeants talibans et aux leaders d'al-Qaïda, mais visaient aussi des trafiquants de drogue soupçonnés de soutenir l'insurrection.

Les documents, obtenus par le magazine allemand Der Spiegel contiennent une « liste de personnes à tuer » qui a compris jusqu'à 750 noms, dont beaucoup de talibans. Mais certains n'étaient que des chefs locaux de petite envergure, d'abord impliqués dans le trafic de drogue.

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D'après les documents, les ministres de la Défense de l'OTAN ont décidé, en octobre 2008, de considérer les barons de la drogue afghans liés aux talibans comme des « cibles légitimes ».

« Les narcotrafiquants ont été ajoutés  pour la première fois à la Joint Prioritized Effects List (JPEL) [la liste qui recense les cibles prioritaires dans le cadre de la guerre],  ce qui a fait d'eux des cibles, » établit l'un des documents de la NSA.

Le document, daté du 3 février 2009, et envoyé par le chef du bureau de la NSA en charge du trafic de drogues dans l'Asie du Sud-ouest, dit que les États-Unis se concentrent sur « les réseaux de trafic de drogue qui fournissent un financement, des armes et un soutien logistique aux éléments talibans en Afghanistan. »

D'après le document, la NSA « a expliqué clairement aux responsables internationaux et aux chefs présents sur le terrain d'opération, que l'insurrection ne serait pas défaite tant que le trafic de drogue ne serait pas interrompu. » L'agence de renseignement a également affirmé avoir identifié des trafiquants comme étant des « commandants de l'insurrection, dirigeant leurs propres combattants dans des attaques contre la coalition, leur procurant des armes et des engins explosifs. »

L'agence a fait valoir son rôle dans des saisies de drogue majeures, insistant sur le fait que son travail avait permis « la plus grande saisie de drogues de l'histoire », quand 237 tonnes de cannabis avaient été confisquées en mai 2008. Le document dit que la NSA et le GCHQ, son pendant britannique, ont fourni « des renseignements en temps réel » dans plus de 20 opérations de lutte contre les stupéfiants qui ont permis d'« attraper des milliers de kilos de drogues, de faire plusieurs détenus, et de saisir des armes. »

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Le document décrit également l'échec de l'assassinat d'un baron de la drogue identifié comme étant le Mollah Multan, lors d'une « rare incursion [de celui-ci] en Afghanistan depuis le Pakistan. » Une frappe sur le convoi de Multan aurait été conduite « dans les heures » qui ont suivi son passage de l'autre côté de la frontière. Il a survécu et bien qu'il soit retourné au Pakistan, la NSA dit lui avoir fait perdre plus de trois tonnes d'opium et six hommes dans l'attaque. « Un bouleversement important de son narcotrafic », se félicite l'agence.

Malgré les efforts de la NSA et des forces de la coalition, le trafic de drogue continue de prospérer en Afghanistan. Aujourd'hui, le pays produit près du double de la quantité d'opium qu'il produisait en 2000, avant l'invasion américaine. Avec un record de 224 000 hectares de terres consacrées à la culture du pavot, l'Afghanistan a produit 6 400 tonnes d'opium en 2014, soit près de 90% de la production mondiale.

L'emploi de drones dans des frappes en Afghanistan est connu, toutefois les autorités américaines et anglaises ont le plus souvent gardé jalousement l'identité des personnes visées par ces exécutions « extrajudiciaires »,.

En août 2009, une étude parlementaire du comité des relations internationales du Sénat avait établi que 50 barons de la drogue afghans avaient été placés sur une liste de cibles à capturer ou à tuer. Le but était d'endiguer l'apport financier apporté aux talibans par le commerce d'opium.

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Le lieutenant-colonel Patrick Ryder, un porte-parole du Pentagone avait dit à l'époque qu'il existait « Une corrélation directe et bien connue entre le trafic de drogue et le financement de l'insurrection et du terrorisme. »

Un autre document lui aussi révélé par Der Spiegel montre qu'en janvier 2009, le général américain John Craddock, un commandant haut placé de l'OTAN avait donné des « instructions » accordant aux troupes de l'OTAN le pouvoir « d'attaquer directement les producteurs et les champs de drogue partout en Afghanistan. »

Le document établit que la force létale peut être utilisée même sans preuve de lien entre les dealers d'opium et des rebelles. Craddock a écrit qu'il « n'était plus nécessaire de prouver que tel ou tel trafiquant de drogue, ou lieu de production de drogue en Afghanistan remplissait les critères faisant de ces éléments des cibles militaires. »

La crainte que l'ordre de Craddock ne viole la loi internationale a provoqué des discussions animées au sein de l'OTAN. L'ordre a alors été modifié de façon à ce que les cibles liées à la production de drogue fassent l'objet d'enquêtes au cas par cas.

Ces dernières révélations montrent que l'OTAN et les forces britanniques en Afghanistan avaient comme objectif de cibler et tuer des individus le long de la frontière, au Pakistan, malgré les nombreux démentis du gouvernement britannique sur le fait qu'il avait conduit des attaques de drones hors d'Afghanistan.

« Le Royaume-Uni doit faire la lumière quant à sa participation à cette « kill list » qui ciblait bien d'autres personnes que des chefs combattants, » a déclaré Jennifer Gibson, avocate à Reprieve, une ONG de défense des droits de l'homme dans un communiqué. « Le Royaume-Uni ne peut plus esquiver la question en disant que la guerre des drones au Pakistan est un problème qui ne concerne "que les États impliqués". Ces documents montrent clairement que le Royaume-Uni est l'un de ces pays. »

Suivez Ben Bryant sur Twitter: @benbryant