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politique

J’ai passé le soir des élections législatives allemandes avec des réfugiés

Dimanche dernier, un parti d’extrême droite s’est fait une place au Parlement – une première depuis la Seconde Guerre mondiale.
Toutes les photos sont de l'auteure

Le soir des élections législatives allemandes, je suis allé rejoindre un groupe d'amis réfugiés dans un appartement du quartier de Neukölln, à Berlin, pour regarder les résultats en direct à la télévision. À l'image de l'ensemble de la population allemande, tout le monde se demandait si le parti d'extrême droite Alternative pour l'Allemagne (AfD) allait réussir à se faire une place au Parlement. Avant que les premiers sondages ne tombent, Qussai, un réfugié de 24 ans qui a quitté la Syrie il y a trois ans, semblait plutôt détendu. « Bien sûr, je n'aime pas l'AfD », a-t-il affirmé. « Mais si 12 % des électeurs allemands les soutiennent, cela me paraît normal qu'ils soient représentés au Parlement. C'est le principe même de la démocratie. » Quatre personnes sont venues nous rejoindre – Hossam, 25 ans, Venous, 21 ans, ainsi que deux frères, Oday et Alaa, respectivement âgés de 26 et 28 ans. Toutes viennent de la ville de Soueïda, dans le sud-ouest de la Syrie, et sont arrivées en Allemagne entre 2014 et 2016. Ils étudient ou travaillent, et ont tous obtenu le statut de réfugié – à l'exception d'Alaa, qui est ingénieur civil. À en croire les dires de l'AfD, des gens comme eux n'auraient jamais dû être autorisés à vivre sur le territoire allemand.

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Oday (à droite) regarde les premiers résultats tomber.

« En tant que Syriens, nous envions votre système démocratique », a déclaré Alaa. « L'AfD bénéficie d'un grand soutien en ce moment, et nous verrons bien s'ils réussiront à le préserver au cours de ces quatre prochaines années. » 20 minutes avant les premiers résultats, Qussai a ajouté : « Je ne les vois pas obtenir plus de 12 %. »

À 18 heures, le premier sondage de sortie des urnes présage un bon score de l'AfD, avec 13,5 % des votes. « Merde », soupire Oday en s'allumant une cigarette. Lors de son arrivée en Allemagne, il y a deux ans, Oday vivait dans la ville de Bautzen, dans l'est de l'Allemagne. « Sur place, j'ai vu à quel point le racisme était présent en Allemagne », a-t-il observé. Quelques minutes plus tard, l'AfD était confirmé comme étant le plus grand parti de la ville – avec 23, 3 % des votes.

Alaa (à gauche) et Venous (à droite) partagent leurs inquiétudes quant à la montée de l'AfD.

Au cours de ces dernières années, des membres de l'AfD ont successivement déclaré que les frontières allemandes devraient être protégées par des gardes armés, comparé l'arrivée des réfugiés à une conduite d'eau cassée et fidélisé une bonne partie de leur électorat sur la peur de l'« Überfremdung » (que l'on pourrait grossièrement traduire par « surplus d'étrangers »).

« Merkel a légèrement participé au succès de l'AfD », a noté Alaa au moment où elle apparaissait à l'écran pour justifier le pire résultat enregistré par son parti – l'Union chrétienne-démocrate d'Allemagne – en 70 ans. « Si elle avait eu un plan pour s'occuper des réfugiés, elle n'aurait probablement pas perdu autant de voix au sein de la droite. » Une affirmation réfutée par Qussai : « La crise des réfugiés était devenue une urgence. Comment aurait-elle pu l'anticiper ? » De tous les participants à cette soirée, Qussai est très certainement le plus passionné par la politique allemande – il lui est fréquemment arrivé de mener les débats et d'interrompre les autres quand il souhaitait faire entendre ses arguments.

Mes amis ne soutiennent pas tous le même parti. L'un d'eux se sent proche des idées des Verts, un autre du parti de Merkel, tandis qu'un troisième se déclare partagé entre le parti social-démocrate (SPD) et le parti libéral-démocrate (FDP). Ce soir-là, ils ont notamment discuté de la politique de Merkel envers les réfugiés, d'économie mondiale et du rôle du Qatar, de l'Arabie Saoudite et de la Russie dans la crise syrienne.

À la fin de la guerre civile, Qussai (à gauche) prendra une décision ferme quant à son potentiel retour en Syrie.

À la fin de la soirée, les gens semblent à la fois mal à l'aise et résignés. Ils me font remarquer que Christian Lindner, dirigeant du FDP, ressemble à « un Allemand typique » et se moquent gentiment de Martin Schulz (dirigeant du SDP), qui a manifestement dissimulé son crâne chauve sous plusieurs couches de fond de teint. Aucun d'eux ne semble pouvoir masquer sa crainte de voir l'AfD triompher. « On en rigole maintenant, mais on est aussi terrifiés », a résumé Alaa.

« Pourquoi les gens iraient-ils voter pour un parti ouvertement raciste ? » a demandé Venous. « Parce qu'ils pensent que l'AfD leur fournira des solutions », a rétorqué Alaa. « L'idée, c'est d'avoir un ennemi commun », a poursuivi Qussai en se roulant une cigarette. Une voiture est passée près de l'appartement, klaxonnant pour célébrer le score de l'AfD – même à Neukölln, qui constitue l'un des quartiers les plus multiculturels du pays, le parti a rassemblé 10 % des voix. Suite à cette victoire, Qussai, Venous, Hossam, Alaa et Oday ont exprimé leur inquiétude quant à de potentielles attaques racistes. Mais il leur reste une petite once d'espoir – si 12 % des électeurs allemands soutiennent un parti qui ne cache pas sa haine des réfugiés, il reste potentiellement 88 % d'électeurs Allemands prêts à les soutenir.