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Il faut sauver le Sud-Soudan

Guerre civile au Sud-Soudan (9/13) : Je n'ai pas eu le temps de prendre mon sac à main

En février dernier, Robert Young Pelton et Tim Freccia ont traversé le plus jeune pays du monde, alors en pleine guerre civile, à la recherche du chef des rebelles Riek Machar.
Photos par Tim Freccia

Les événements à l'origine de la récente instabilité du Sud-Soudan ont connu leur paroxysme les 14 et 15 décembre 2013. Le 14 décembre, la réunion du Conseil de libération nationale (CLN), issu de l'Armée populaire de libération du Soudan (APLS), a été le théâtre d'une guerre intestine au sein du gouvernement. Le président Kiir a accusé le vice-président Machar de trahison, alors même que celui-ci était assis à ses côtés.

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Les propos de Kiir devant le Conseil ont été rapportés par le site d'information SouthSudanNation.com : « Ayant pris connaissance que des camarades critiquaient ouvertement mes décisions, je me dois de rappeler que ces comportements ne sont pas acceptables - et qu'ils pourraient nous ramener à une situation comparable à la scission de 1991. »

Les propos de Kiir devant le Conseil ont été rapportés par le site d'information SouthSudanNation.com : « Ayant pris connaissance que des camarades critiquaient ouvertement mes décisions, je me dois de rappeler que ces comportements ne sont pas acceptables - et qu'ils pourraient nous ramener à une situation comparable à la scission de 1991. »

Le jour suivant, les leaders de l'opposition que sont Machar, le secrétaire de l'APLS Pagan Ammum et la veuve de John Garang, Rebecca Nyandeng, ont publiquement boycotté le deuxième jour de réunion. Kiir a alors dénoncé une tentative de coup d'État et ordonné l'arrestation de plusieurs anciens membres de cabinets ministériels démis de leurs fonctions l'été précédent. Le président a également exigé le désarmement du Bataillon Tigre - la garde présidentielle - basé à Djouba, pour le remplacer par un bataillon nuer. S'en est suivi un bain de sang qui s'est largement répandu les semaines suivantes dans les territoires instables du pays, notamment dans la ville de Bor. Les accords politiques d'autrefois se sont mués en alliances tribales lorsque de nombreux commandants nuers se sont ralliés à Machar.

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Le 19 décembre dernier, le commandant nuer Peter Gadet a attaqué Bor et pris le contrôle de bases de l'APLS grâce au soutien de Machar, auquel il s'était pourtant opposé par le passé. Désormais, plus personne ne pouvait dire le contraire: le Sud-Soudan était en guerre. Les mécanismes traditionnels de maintien de la paix que sont l'ONU, l'Union africaine et l'Autorité intergouvernementale pour le développement, n'ont pas eu les moyens - ou le courage - d'intervenir.

L'évacuation massive des ressortissants étrangers a débuté deux jours après l'attaque de Peter Gadet sur Bor, lorsqu'une division américaine a essuyé des tirs de la part des troupes rebelles. Des membres de l'ONU et des ONG étaient désormais attaqués par ceux qu'ils tentaient de sauver.

En janvier 2014, l'ONU a estimé à 10 000 le nombre de personnes tuées par les combattants dinkas lors des dix premiers jours de combats à Djouba - des Nuers en grande majorité. Si ces chiffres ont d'abord été considérés comme exagérés, la réalité a plus tard éclaté au grand jour dans un rapport de l'ONU estimant à 500 000 le nombre de réfugiés sud-soudanais, accompagné d'une mise en garde de l'UNICEF, datée du 11 avril, insistant sur le risque de famine à venir - lequel pourrait entraîner la mort de 50 000 enfants.

Le 10 janvier, les villes de Mayom et Bentiu ont été pillées par les forces rebelles. Malakal a été rasée pour la seconde fois. Les tirs de mortier et les hélicoptères ont gravement endommagé la ville de Bor. En décembre dernier, l'Ouganda avait largué des bombes à fragmentation sur les combattants rebelles dans la périphérie de Bor, en vue de prévenir « tout nettoyage ethnique ». Une nouvelle ère s'annonçait au Sud-Soudan, et celle-ci était plus sombre encore que les précédentes. Lorsque tous les partis en présence ont l'impression de prévenir un génocide, les choses peuvent vite s'avérer confuses. Le pays n'était plus seulement en guerre, il cherchait à se détruire de l'intérieur.

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Le gouvernement de Djouba a récupéré la ville de Bor le 18 janvier avec l'aide de soldats ougandais, mieux équipés. Cinq jours plus tard, un cessez-le-feu était signé. Dans les faits, ce dernier enfermait les troupes gouvernementales dans la ville tandis que les rebelles rassemblaient leurs forces à la périphérie. Les soldats ougandais, entraînés par les États-Unis, sont brusquement devenus les méchants de l'histoire lorsqu'un rapport de l'ONU a confirmé leur utilisation de bombes à fragmentation. Après avoir nié leur présence au Sud-Soudan, les soldats ougandais ont fini par reconnaître leur rôle. Ils n'avaient plus les moyens de lutter et ont dû se tourner vers leur gouvernement afin de recevoir une aide financière. Kiir a promis de rembourser à l'Ouganda les 48 millions de dollars investis pour se maintenir au pouvoir.

Les Nuers, coincés dans leurs camps de réfugiés, ainsi que les milliers de rebelles positionnés à l'extérieur des villes, avaient toutes les raisons de craindre un massacre imminent et de grande ampleur.

Au début du mois de février, Machar annonçait que les sept membres de l'APLS emprisonnés par Kiir ne faisaient pas partie de la « nouvelle rébellion » qu'il menait. Le même mois, Kiir ordonnait à ses forces militaires de détruire la ville de naissance de Machar, Leer, dans le but d'insister sur le caractère personnel du conflit. Des travailleurs employés dans diverses exploitations pétrolières du Block 5A étaient alors attaqués.

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Les événements n'allaient plus dans le bon sens pour Machar et ses sympathisants nuers. Le temps d'arriver au QG secret de Machar, les rebelles - ou « résistants », suivant le point de vue - avaient perdu le contrôle de Bor, Bentiu et Malakal, et ne pouvaient entrer dans Djouba. 60 000 Nuers avaient trouvé refuge dans des camps de l'ONU, mettant à l'épreuve les ressources de la plus grande ONG. Le seul espoir de Machar, du moins à ses yeux, était de s'emparer des champs pétroliers par la force, puis de monnayer les conditions de son retour.

Durant les pourparlers menés par l'Autorité intergouvernementale pour le développement, il devint clair que Machar était totalement manipulé par Kiir : ce n'était plus à l'hôtel Sheraton d'Addis-Abeba - où les négociations avaient lieu - mais dans les médias. Le gouvernement sud-soudanais avait transformé Machar en fugitif désespéré caché quelque part dans la brousse, attendant des compensations financières.

Au centre, le président sud-soudanais Salva Kiir lors de son discours télévisé du 16 décembre 2013. Kiir revendiquait la mise en échec du coup d'État orchestré par les soldats de Riek Machar. Le 19 décembre, la guerre éclatait au Sud-Soudan. AP Photo/South Sudan TV

Après m'être entretenu avec la femme de Machar, Angelina Teny, le conflit ne m'a plus semblé si complexe que cela. Malgré son statut d'ex-ministre de l'Énergie et des mines, son regard sur les événements récents était bien plus personnel que politique.

Elle et Machar portaient des uniformes verts identiques. La vision de ce couple heureux discutant côte à côte me renvoyait l'image d'un M. et Mme Che Guevara paisiblement installés dans la steppe. Mais la vérité était quelque peu différente : Angelina n'avait qu'une seule robe dans ses affaires ; comme elle me l'avait dit, cet uniforme, trop grand pour elle, était l'unique vêtement qu'il lui restait. La discussion allant, son anglais est demeuré parfaitement fluide, même quand elle s'est mise à décrire les événements qui avaient forcé le couple à trouver refuge dans la brousse.

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« Je n'ai pas eu le temps d'emporter mon sac à main », m'a-t-elle confié, crispée. « Nous étions en voiture et des gens échangeaient des coups de feu devant le barrage. J'ai vu un homme se faire tuer sous mes yeux. » Avec ses mains, elle me montrait la distance entre elle et les coups de feu.

« Des gens criaient depuis la maison, terrifiés par le tank qui détruisait le mur d'enceinte. Ils ont tué tout le monde dans notre maison. » Elle s'arrêta et reprit, d'une voix étouffée : « Plus de 500 personnes ont été tuées. Des Nuers. »

Le petit générateur s'arrêta brusquement.

« Nous sommes à court de pétrole, m'a-t-elle révélé. Ils iront en ville pour en chercher. Quelle ironie de manquer de pétrole dans un pays si riche en ressources naturelles. »

Dr Riek - le surnom de Machar - et sa femme sont à la fois de vrais Africains et de vrais Occidentaux. Mais un élément plus ancien et plus mystérieux se dissimule derrière leur professionnalisme de façade.

À l'extérieur du camp, un vieil homme délivrait un discours passionné. Comme le père de Machar, il s'agissait d'un soldat tribal armé d'une lance. Cet homme attirait l'attention de ses pairs. Cet homme avait le pouvoir de forger l'acier par le feu. Cet homme exerçait une véritable influence spirituelle sur ses congénères.

Vêtu d'habits traditionnels, le vieillard était accompagné d'un magnifique taureau. Son discours m'était traduit au fur à et à mesure. Il fustigeait les soldats qui fuyaient Djouba ou Bor afin de s'éloigner des troupes de Kiir.

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« C'est une honte. À partir d'aujourd'hui, on ne recule plus ! Kiir doit dégager. Dieu est de notre côté. Il faut prier pour que Riek nous mène tous à la victoire. » Il exhortait la foule en faisant tournoyer sa lance au niveau de son visage.

« Ce mois est un moment parfait pour combattre. Depuis quand n'avons-nous pas attaqué les Dinkas ? Vous ressemblez à une bande de bébés apeurés. Vous deviendrez esclaves si vous abandonnez votre pays. »

Pour appuyer ses propos, il trancha une artère de l'animal, et un torrent rougeâtre en jaillit.

Le vieil homme en appelait à l'Armée blanche, cette force qui surgit partout où les Nuers sont menacés. Celle-ci ne se manifeste qu'avec violence. Elle est liée à Dieu par l'intermédiaire de prophètes, lesquels vivent à moins de deux heures du camp, près d'une butte considérée comme le sanctuaire de la culture nuer.

J'ai pu apprendre de Machot que Machar s'entretenait régulièrement avec le dernier des prophètes, un homme doué de visions qui instruit Machar et ses généraux des stratégies à employer. La force militaire de Machar n'était rien à côté de la puissance de milliers de Nuers armés, prêts à brûler des villages entiers à tout moment. Leur habilité à tuer ne leur a pas été transmise par les manuels militaires, mais par les prédictions d'oracles millénaires.

La divulgation de câbles diplomatiques par Wikileaks a rendu publique la rencontre entre Machar et le gouvernement de Khartoum en 2008, trois ans après la signature de l'accord de paix. Le sujet était simple : que se passerait-il si Kiir était « assassiné » ? Ce document décrit une rencontre durant laquelle Machar et le vice-président soudanais de l'époque, Ali Osman Taha, s'accordaient sur la nomination de Machar en tant que président du Sud-Soudan au cas où Kiir trouverait la mort. On y apprenait également que Machar avait sécurisé des fonds pour appuyer les milices des États de l'Unité, du Nil Supérieur et de l'Équateur.

La paix avait alors empêché Machar de prendre le contrôle des réserves de pétrole, et le temps n'a fait qu'augmenter son désir de piller son propre pays. Lorsque la raison n'aboutit sur rien, Machar privilégie toujours l'autre option : la guerre.

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