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Crime

La Révolution iranienne racontée par un jeu vidéo

« 1979 Revolution : Black Friday » met le joueur dans la peau d’un jeune photojournaliste qui se fait happer par le tourbillon de la révolution naissante, en septembre 1978.

Reza est assis sur une chaise dans une salle d'interrogatoire mal éclairée, les poignets liés. La lueur d'une lampe révèle son visage ensanglanté et couvert de bleus — résultat d'un passage à tabac par des soldats qui ont perquisitionné sa cachette. Sur la table en face de lui : un magnétophone et un dossier contenant des informations qui pourraient prononcer un arrêt de mort pour lui et ses proches.

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Un homme à la voix rauque — la seule autre personne présente dans la pièce — lui offre une tasse de thé. On dirait plutôt une menace. « Ton thé refroidit », insiste l'homme, juste après avoir posé la tasse sur la table.

Reza va-t-il boire le thé, ou faire valser la tasse en signe de défiance ? À vous de voir.

C'est l'une des nombreuses décisions qui reviennent au joueur dans 1979 Revolution: Black Friday. Inspiré d'évènements, de personnages et de lieux réels, le jeu permet au joueur de plonger au cœur de la révolution de 1979, qui s'est soldée par le renversement du Shah Mohammed Reza Pahlavi — soutenu par les États-Unis — et par l'arrivée au pouvoir de l'Ayatollah Khomeini et la mise en place de la nouvelle République Islamique.

Reza et son interrogateur/capture d'écran du jeu.

1979 Revolution: Black Friday met le joueur dans la peau de Reza Shirazi, un jeune photojournaliste qui se fait happer par le tourbillon de la révolution naissante, en septembre 1978.

Depuis ses premiers clichés des manifestants, pris depuis les toits de Téhéran, jusqu'à son passage en prison en 1980, le joueur guide le parcours de Reza, et ses décisions influencent le cours de l'histoire.

Alors — est-ce que vous lui faites boire le thé ? Aucune décision n'est sans conséquence.

L'interrogatoire se déroule dans la célèbre prison d'Evine — important lieu de détention des prisonniers politiques. Jason Rezaian, journaliste au Washington Post, y a récemment séjourné, accusé d'espionnage. (Il a été libéré en début d'année). Apres la révolution, les prisonniers y étaient régulièrement torturés et même exécutés par milliers — souvent aux mains d'Asadollah Lajevardi, qui a dirigé la prison dans les années 1980.

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C'est Lajevardi lui-même qui propose le thé à Reza juste avant son interrogatoire.

Pour Navid Khonsari — co-créateur, co-scénariste et directeur artistique du jeu — pas question de réécrire l'histoire. Khonsari et son équipe ont interviewé plus de 40 Iraniens qui ont survécu à la révolution, et l'histoire de Reza est inspirée de faits réels. Plusieurs membres de l'équipe créative — y compris Khonsari — vivaient en Iran au moment des événements.

De nombreuses scènes photographiées par Reza sont inspirées des photos du reporter français Michel Setboun qui a couvert la révolution iranienne.

Les clichés pris par le joueur apparaissent aux côtés des photos de Setboun dans un menu affiché à l'écran. Certaines d'entre elles sont accompagnées de légendes, ce qui permet au joueur d'en apprendre rapidement un peu plus sur cette période de l'histoire iranienne. De la « Paykan », la voiture nationale iranienne, aux enregistrements illégaux des intellectuels et chefs religieux exilés — c'est tout un pan de l'histoire qui est révélé.

Mais pour Khonsari, il y a encore plus important que le souci de précision historique

« Les gens n'en auraient rien à foutre si le jeu n'était pas mortel », nous a-t-il expliqué. « J'aimerais avant tout que les gens se divertissent et que ça les intéresse… J'espère ensuite pouvoir lancer la conversation. On ne cherche pas à amener la paix dans le monde. Notre but c'est de provoquer de l'empathie et de réduire les jugements pour faire les premiers pas vers un résultat positif. »

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Khonsari est né à Montréal en 1970, mais il a passé les dix premières années de sa vie en Iran. D'un même souffle, il nous parle de ses souvenirs de Star Wars et de la révolution. Pour lui, la culture populaire est « le vrai langage universel que nous parlons tous ». Cette conviction est au cœur du jeu vidéo, qui est parsemé de références populaires. Un ami révolutionnaire de Reza fait des blagues au sujet de John Travolta et du disco. Reza tombe sur un magazine avec en couverture Gougoush, une célèbre chanteuse iranienne interdite de scène après la révolution.

Enfant à l'époque de la révolution, Khonsari se souvient surtout des gens dans les rues et des véhicules militaires. C'est son père — un médecin — qui a décidé de ramener sa famille au Canada, à l'arrivée au pouvoir du nouveau régime.

« Les otages américains étaient en prison, la révolution était finie, les écoles étaient fermées pour éliminer toute influence occidentale, la guerre avec l'Irak se tramait », se souvient Khonsari. « Mon père, qui avait trois fils, s'est dit, 'c'est l'heure de se casser d'ici.' Ce n'était pas tant à cause de ce qui s'était passé, mais à cause de ce qui allait se passer. La période la plus sombre de l'Iran est venue après la révolution. »

Khonsari a commencé à créer des jeux vidéo il y a plus de dix ans, travaillant sur plusieurs titres de la série Grand Theft Auto (GTA). Connus pour leur violence, ces jeux portent néanmoins une attention particulière au récit, avec des résultats stimulants pour le joueur. Malgré ses éléments violents, 1979 Revolution est un jeu interactif, doué d'une véritable intrigue.

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Mais pour Khonsari, ce sont les performances de ses acteurs qui empruntent le plus à son travail sur GTA.

Les acteurs qui ont servi à élaborer 1979 Revolution sont tous iraniens — la plupart sont iranien-américains. Au générique on retrouve Navid Negahban — qui a incarné le terroriste Abu Nazir dans la série Homeland — et Farshad Farahat, qui a joué le rôle d'un révolutionnaire iranien dans le film Argo, primé aux Oscars en 2012.

Farahat, lui, est né en Iran en novembre 1978. À l'époque, le Shah avait imposé des couvre-feux et à chaque poste de contrôle, le père de Farahat était obligé d'expliquer que lui et sa femme étaient en route pour l'hôpital. La famille de Farahat a quitté l'Iran en 1986 mais lui a pu retourner au pays. Pour lui, le jeu offre au joueur une leçon que les Iraniens ont apprise pendant la révolution.

« J'étais en Iran pendant les manifestations de 2009, et l'une des leçons retenues par le peuple iranien, c'est qu'ils ne veulent pas d'une autre révolution violente », explique Farahat. « Le grand mérite du jeu vidéo par rapport au film, c'est que cela vous plonge dans la révolution et que vous prenez des décisions qui peuvent changer le cours [de l'histoire]. Choisissez-vous la violence ou la non-violence ? »

Lancé mardi pour Mac et PC, le jeu a été retardé par de multiples contretemps. D'abord annoncé en 2011, il a d'abord raté sa campagne Kickstarter, et sa date de sortie a été repoussée plusieurs fois. Khonsari s'est fait accuser d'espionnage par la presse iranienne, et un de ses collaborateurs en Iran a dû fuir le pays.

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Néanmoins, Khonsari est convaincu que son jeu vidéo sera accueilli chaleureusement par ses compatriotes.

« On ne diabolise personne, on ne dit pas qu'il y a des bons et des méchants au niveau de la structure politique. On n'essaye pas de transformer l'histoire. On raconte l'histoire du peuple », dit-il.


Suivez Ky Henderson sur Twitter: @kyhenderson

Cet article a d'abord été publié sur la version anglophone de VICE News.

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