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Maroc

Une cellule terroriste se réclamant de l’EI démantelée par la nouvelle unité d’élite du Maroc

Elle aurait prévu de commettre des attaques contre des « personnalités politiques, militaires et civiles » au Maroc.
Pierre Longeray
Paris, FR
Image via Wikimedia Commons / Karimobo

Le Maroc a annoncé, ce dimanche 22 mars, le démantèlement d'une cellule terroriste, qui se réclamait de l'organisation État islamique (EI). Ce lundi, un responsable marocain a indiqué que des armes saisies avaient transité par l'enclave espagnole de Melilla — située à l'extrême nord du Maroc. La cellule était implantée dans de nombreuses villes du pays. Treize personnes ont été appréhendées par le Bureau central des investigations judiciaires (BCIJ). Elles auraient eu pour but de créer une antenne de l'EI sur le sol marocain. Plus de 1 300 ressortissants marocains sont présents en Syrie, en Irak et en Libye pour le compte des organisations djihadistes présentes sur place, a précisé, Abdelhak Khayyam, le directeur du BCIJ. Les autorités marocaines ont annoncé avoir déjoué plus d'une centaine d'attentats ces dernières années, alors que des rumeurs à propos de retour de djihadistes au pays gonflent.

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Les 13 individus interpellés — âgés de 19 à 37 ans — étaient installés aux quatre coins du pays — dans les villes touristiques d'Agadir et de Marrakech, mais aussi à Laâyoune, dans le Sahara occidental. Les autorités marocaines ont saisi 440 cartouches, six pistolets, 31 paires de menottes et du matériel électronique. Toujours selon le BCIJ — sorte de FBI à la marocaine, officiellement lancé vendredi 20 mars — les présumés djihadistes avaient prévu un plan en deux temps. Tout d'abord, « mener des attaques contre des éléments sécuritaires pour s'emparer de leurs armes, » puis s'attaquer à des « personnalités politiques, militaires et civiles » au nom de l'EI.

Saisie des armes de la cellule démantelée dimanche 22 mars — Images du journal télévisé de la télévision locale, Al Aoula.

D'après les armes retrouvées sur place, Abdelhak Khayyam estime que les individus interpellés souhaitaient enlever et égorger devant la caméra des personnalités visées, « ce qui explique le nombre de menottes en plastiques saisies. » Sans avoir jamais posé un pied en Syrie ou Irak, les membres de la cellule étaient très actifs « dans le recrutement et l'envoi, via un financement étranger, de jeunes marocains, » selon les autorités — qui les suivent depuis près de 5 mois. Un responsable marocain a donc indiqué lundi que ces armes saisies avaient transité par l'enclave espagnole de Melilla.

Il ne s'agit pas de la première cellule liée à l'EI repérée au Maroc.

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En janvier 2015, les services espagnols et marocains ont monté des opérations communes dans les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla pour démanteler une filière d'envoi de femmes vers les territoires de l'EI. En septembre 2014, un groupe nommé Partisans de l'État islamique au Maghreb extrême avait été démantelé par les mêmes services. Le groupe aurait prévu un plan complexe : envoyer des hommes en Syrie et en Irak pour ensuite les renvoyer au Maroc, en passant par l'Algérie — pour y être formés par Jund al-Khilafa, le groupe qui avait revendiqué l'assassinat du Français Hervé Gourdel en septembre 2014. Le 25 janvier, la police marocaine a arrêté l'Algérien Hocine Dahous de l'organisation Jund al-Khilafa. Il est suspecté d'avoir recruté des jeunes marocains pour les former au maniement des armes en Algérie avant de prévoir de les renvoyer au Maroc.

Depuis octobre 2014, le Royaume a décidé de renforcer son dispositif législatif et sécuritaire pour faire face à la menace terroriste. Une centaine d'attentats auraient été déjoués selon les services marocains. En octobre 2014, une opération baptisée Hadar (« précaution » en arabe) avait été lancée pour sécuriser les points sensibles du pays — sorte de plan Vigipirate, mené avec la participation de l'armée. En complément, les tribunaux marocains avaient obtenu, en septembre 2014, la capacité de condamner des étrangers ou des Marocains qui ont été entraînés en dehors du territoire marocain pour mener des opérations en relation avec une entreprise terroriste — le Royaume craignant le retour au pays de jihadistes.

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Le Maroc a déjà été confronté à une situation — en apparence — semblable au début des années 2000, explique Jeffrey D. Palmer, chercheur à l'université de Georgetown (Washington, DC). Nombre de ressortissants marocains avaient participé en Afghanistan au « premier des djihads » contre les Soviétiques. Après avoir été endoctrinés et formés au maniement des armes et explosifs par les Talibans, les Marocains sont retournés par centaines chez eux en mettant leur « entraînement » à profit. Le 16 mai 2003, douze kamikazes se font exploser dans le centre de Casablanca faisant 41 morts.

Romain Caillet est chercheur et consultant sur les questions islamistes. Contacté par VICE News ce mardi, il explique que les Marocains présents en Afghanistan étaient rentrés au Maroc parce qu'ils avaient perdu leurs assises territoriales en Afghanistan — ce qui n'est pas le cas en Syrie. L'EI est encore dans une logique de conquête. Pour Romain Caillet, il n'y a pas de « vague de retour » massive vers le Maroc, mais toujours des départs vers la Syrie et la Libye. Pour le spécialiste, la stratégie de l'EI ne serait pas de demander aux djihadistes de rentrer dans leur pays d'origine, mais de « rejoindre la Libye s'ils ne peuvent pas aller en Syrie. »

La mobilisation des djihadistes marocains en Syrie est sans commune mesure avec celle observée en Afghanistan. Quand ils étaient quelques centaines tout au plus, ils sont aujourd'hui au moins 1 300 selon les chiffres officiels. Harakat Sham al-Islam (HSI) a été ce qui a le plus ressemblé à un groupe organisé de jihadistes marocains en Syrie. Le chercheur explique qu'il s'agissait d'un « groupe formé de pro al-Qaïda » qui est devenu un « groupuscule » depuis la mort en avril 2014 du fondateur de HSI, Ibrahim Benchekroun connu sous le nom de Abou Ahmed al-Maghribi,. Ce groupe ne se serait « jamais relevé » de la mort de son « émir » analyse Caillet.

« Certes, l'EI ira jusqu'où il peut aller. Mais le Maroc est le dernier sur la liste, » note Caillet. D'un point de vue géographique, le pays n'est « pas frontalier d'un territoire tenu par l'EI comme peut l'être la Tunisie avec la Libye, » relève le spécialiste. Les deux assaillants du musée du Bardo avaient été justement formés en territoire libyen. Le chercheur explique que le Maroc est « visé » mais reste relativement protégé parce que le « pays n'a pas connu de grandes vacances du pouvoir » comme cela a pu être le cas dans les pays ayant vécu les printemps arabes. « Il y a certes des sympathisants [djihadistes] au Maroc, mais point de groupes armés comme cela peut-être le cas en Algérie, » conclut Caillet.

Suivez Pierre Longeray sur Twitter @PLongeray

Image via Wikimedia Commons / Karimobo