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FRANCE

45 000 photos de corps mutilés : la France ouvre une enquête pour « crimes contre l’humanité » interrogant la responsabilité du régime syrien

Des clichés pris par un photographe légiste du régime de Damas ont motivé une enquête préliminaire à Paris sur de possibles exactions, actes de torture et assassinats commis dans les prisons syriennes.
Ministère des Affaires étrangères français via Wikimedia Commons

Attention, cet article contient des images qui peuvent choquer.

Une enquête préliminaire pour crimes contre l'humanité qui pourrait viser le régime syrien de Bachar al Assad a été ouverte le 15 septembre dernier par le Parquet de Paris, a-t-on appris aujourd'hui. Cette enquête a été lancée après un signalement au début du mois du ministère français des Affaires étrangères. Le ministère a communiqué à la justice au moins 45 000 photographies de corps mutilés, confiées aux autorités françaises par un ex-photographe de la police militaire syrienne, surnommé « César », qui avait fui son pays en juillet 2013.

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« Les autorités françaises ont été destinataires de plusieurs milliers de clichés du dossier César. » a déclaré dans un communiqué publié mercredi le ministre français des Affaires étrangères Laurent Fabius. « Compte tenu de la gravité des faits, j'ai décidé de transmettre ces photos à la justice française, pour lui permettre de les exploiter et de décider des suites à y donner, y compris d'éventuelles poursuites pénales. »

Selon la radio française Europe 1 qui a révélé l'enquête ce mercredi, ce signalement a été fait le 10 septembre par le Quai d'Orsay. Contactée par VICE News ce mercredi en milieu d'après midi, la porte-parole du parquet de Paris nous a indiqué que l'enquête avait été ouverte par le pôle « crimes de guerre et crimes contre l'humanité » du Tribunal de grande instance de Paris, qui a lui-même confié l'enquête à la direction générale de la gendarmerie nationale.

L'existence des 45 000 photos de corps mutilés avait été révélée en janvier 2014 par des médias américains, lorsqu'un rapport — surnommé « le rapport César » — réalisé par d'anciens procureurs internationaux et s'appuyant sur ces témoignages visuels, attestait de la véracité des clichés et en faisait la preuve d'exactions commises dans les geôles du régime syrien. « Les photos du rapport César […] témoignent de la cruauté systématique du régime de Bachar Al Assad, » écrit la diplomatie française dans son communiqué.

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Attention: ce document contient des photos difficiles de corps mutilés

Syria Report Execution Tort

La révélation de l'ouverture de cette enquête est intervenue alors que des chefs d'États internationaux sont réunis à New York pour l'Assemblée générale de l'ONU. En haut de la pile des dossiers, le régime de Bachar Al Assad et la place à lui donner dans la lutte contre l'organisation État islamique en Syrie.

Une sélection des photographies du Rapport César avait été exposée au siège de l'ONU à New York du 10 au 20 mars 2015.

Photographe légiste pour le régime de Bachar Al Assad

Les 45 000 photographies, prises entre 2011 et 2013, montreraient les corps mutilés d'environ 11 000 personnes.

L'homme qui a pris ces clichés était chargé de prendre en photo, pour le compte de la police militaire syrienne, les corps de ceux qui étaient morts dans les geôles du régime syrien, afin de constituer leurs dossiers de décès : des dossiers qui servaient à prouver à la hiérarchie que les ordres avaient bien été exécutés, selon les dires d'Emadeddin Rachid, un opposant au régime de Damas, et l'une des personnes ayant oeuvré pour recueillir ces clichés, interrogé par Le Monde en janvier 2014.

« César », qui travaillait depuis une dizaine d'années pour le compte de la police militaire syrienne, mais qui était auparavant chargé de photographier des scènes de crime ou d'accident, est chargé de cette tâche en mars 2011. Durant plusieurs mois, il décide alors de faire passer ces photos vers l'extérieur du pays à l'aide de plusieurs relais auxquels il confiait les photographies, stockées sur une clé USB, avant d'être lui-même exfiltré avec ses proches en juillet 2013. Il se trouve aujourd'hui quelque part en Europe, sans que l'on sache précisément où, en raison des menaces qui pèsent sur lui.

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Un livre pour raconter « César »

La journaliste indépendante Garance Le Caisne — la seule journaliste à avoir rencontré César — a raconté l'histoire du photographe et de ses archives dans un livre à paraître le 7 octobre prochain, intitulé Opération César (éditions Stock, 2015), que VICE News s'est procuré.

Dans cet ouvrage de 250 pages, le récit de César est livré en partie à la première personne. Son témoignage est complété par ceux d'anciens prisonniers que Garance Le Caisne a également pu interroger. Des cartes, situant les lieux où ils étaient détenus, ainsi que des documents officiels (note de "décès", ordres d'arrestations…) et un tableau comportant les caractéristiques des corps photographiés établi par César et ses soutiens ("marques de fouet", "électrocution"…), sont également reproduits.

Les photos prises par César, en revanche, n'y figurent pas. « Leur force est telle qu'on peut être sidéré en les regardant et ne plus pouvoir ou vouloir lire le témoignage des survivants. Or, il faut l'entendre, » écrit l'auteure pour expliquer ce choix.

Interrogé une nouvelle fois par Garance Le Caisne, dans une interview pour l'hebdomadaire français L'Obs publiée mercredi,César a déclaré : « Le livre va montrer le vrai visage de Bachar al-Assad, celui d'un dictateur qui a fait couler beaucoup de sang. Ce livre est comme un message aux diplomates et aux hommes politiques qui cherchent aujourd'hui à se rapprocher de lui et à renouer des contacts avec lui. »

Suivez Lucie Aubourg sur Twitter : @LucieAbrg

Ministère des Affaires étrangères français via Wikimedia Commons / Chaperon rouge007