Si vous vous demandez comment on finit par rejoindre une secte, je vous dirais que souvent, on ne s'en rend même pas compte. Parfois, les expériences se révèlent être complètement différentes de ce à quoi on s’attendait. En décembre 2021, j'ai décidé de faire du bénévolat dans une ecoferme en Espagne. Après un processus de sélection rigoureux (en gros, j'ai cherché l'endroit le moins cher), je suis tombée sur un petit bout de paradis. C’est dans une oasis colorée, où les routes de terre rouge se tracent parmi d’innombrables arbres exotiques, que j'ai décidé de poser mes valises pour un mois afin de me consacrer à notre belle planète. J'y voyais un noble investissement en faveur de notre avenir, surtout en ce contexte de crise climatique. Mais si, à première vue, ça ressemblait à des vacances-travail normales dans un paradis ensoleillé, je ne m'attendais pas à devoir autant repousser mes propres limites.
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Le bénévolat
Les règles du jeu
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Mes données mobiles devaient aussi être désactivées et il n'y avait pas de wifi. La millennial en moi a chialé. Si je voulais 'internet, je pouvais utiliser la connexion par câble dans un conteneur. Pourquoi un conteneur ? C'était pour éviter les radiations qui pouvaient « provoquer des cancers et d'autres maladies graves ». Selon Linda, si j'entrais en contact avec trop de radiations, je pouvais aussi me promener pieds nus pour me « décharger ».Les propriétaires de la ferme sont des naturalistes - très spirituel·les, très proches de la nature -, pour qui l'ouverture et l'honnêteté sont des éléments importants d'une bonne coopération. C'est pourquoi Linda et Karel organisent des cercles de partage hebdomadaires. Au programme : discussions sur les activités à venir, sur la répartition des tâches mais aussi un feedback sur ce que vous ressentez ; on peut voir ça comme une sorte de décharge émotionnelle. Pendant ce rituel, tout le monde s'assoit en cercle, aussi près que possible les un·es des autres, et quand vous avez le bâton de parole, vous vous confiez. Le plus important c’est de partager ce pour quoi vous êtes reconnaissant·e.Lors de mon premier cercle de partage, on m’a malheureusement annoncé une nouvelle pas ouf. J’étais la seule bénévole pour tout le mois. J'ai quitté l’endroit où se déroulait le cercle un peu confuse. Les propriétaires ne me l’ont pas dit plus tôt parce que j'avais l’air tellement excitée par mon séjour qu'iels ne voulaient pas « casser mon délire ». Pour moi, une partie de l'expérience consistait à faire connaissance avec de nouvelles personnes, des jeunes qui avaient envie de se salir les mains avec moi. Ça avait tout pour en être l'endroit idéal, j’ai trouvé ça dommage. Surtout quand j'ai réalisé que j'allais passer tous les soirs seule devant l'ordi ou avec mon livre de sudokus.
Des liens spirituels avec la nature
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Après une semaine passée à trouver mon rythme au sein de ma nouvelle famille de fermier·es - parce que c'est comme ça que je me sentais, comme une fille de fermier·e, perdue, qui emménage chez sa grande sœur -, j’ai fini par m’y habituer. En famille, mais pas tout à fait à la maison. Mais le deuxième lundi, la séance de yoga était un peu spéciale. Linda m'a demandé si je connaissais les « Maestros ascendidos ». De là, on m'a foutu sous le nez un livre de prières et, sans me demander mon avis, j'ai dû commencer à prier. J'avais pas forcément eu de contact avec Dieu depuis ce samedi chaud et humide où j'ai reçu de l'huile sur le front pour ma communion. Et même si je jouais le jeu, je ne me sentais pas vraiment comme l'une de ses béni·es. Je respecte toutes les personnes croyantes, mais je ne fais tout simplement pas partie du club. Le cœur n'était donc pas vraiment à la prière en ce lundi matin, ni aucun autre jour après d’ailleurs. Parce qu’après, on a dû prier tous les jours. Quand on m'a demandé ce que j'en pensais, j'ai sorti le meilleur mytho qui soit et je leur ai dit que je ne pouvais qu’apprécier l'essence des différents messages divins. J’avais du mal à en dire davantage.« J'avais pas forcément eu de contact avec Dieu depuis ce samedi chaud et humide où j'ai reçu de l'huile sur le front pour ma communion. Et même si je jouais le jeu, je ne me sentais pas vraiment comme l'une de ses béni·es. »
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Cosmic and divine social club
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Chaque jour, une émission sur YouTube passait en direct, en arrière-plan. Une pépite produite par Amma, plus connue sous le nom de The Hugging Saint. Amma est une gourou indienne qui embrasse d'innombrables personnes chaque jour. Certain·es la considèrent comme une prophète ou une sainte car on dit qu'elle guérit les maux et les soucis. Lors de ma troisième semaine à la ferme, on a organisé un Satsang. C'était une soirée de chant où on chantait des bhajans pour vénérer Amma. Même si j'aime chanter et méditer, c'était vraiment pas ma came. Sérieusement, on aurait dit qu'on voulait m'initier à leur foi New Age.
Pendant le rituel de l’Agnihotra, j'ai aussi appris pas mal de trucs chelous. Au coucher du soleil, des morceaux d'excréments de vache séchés sont grillés avec du ghee. Ensuite, vous êtes censé·e dire ce dont vous êtes reconnaissant·e et ce que vous attendez du lendemain tout en jetant du riz brun dans le feu. Puis vous fixez le feu jusqu'à ce qu'il s'éteigne en répétant « Ohm » en boucle. Ça ressemblait surtout à un concours de celui ou celle qui répète ça le plus de fois possible. Personnellement, je n'étais pas une grande fan du rituel, principalement parce que la fumée sollicitait mes poumons de manière assez intense. Je n'avais pas le droit de fumer de joints, mais respirer du caca brûlé n'était apparemment pas un problème ?« Je n'avais pas le droit de fumer de joints, mais respirer du caca brûlé n'était apparemment pas un problème ? »
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Une autre vision du monde
Pour mes hôtes, c’était comme mon baptême du feu, la preuve qu'on pouvait me faire confiance pour tout. Et donc, chaque jour j'en apprenais un peu plus sur leur monde. On m'a d'abord parlé de « l'élite noire », une poignée de personnes censées être au sommet du monde, dont Bill Gates ferait partie. Gates a souvent fait l'objet de diverses théories du complot relatives à la décroissance démographique. Cependant, en faisant une recherche Google sur l'élite noire, impossible de trouver quoi que ce soit. Où ont-ils trouvé cette information ? On m'a également expliqué comment le réseau 5G serait un moyen de nous garder sous surveillance tout en affaiblissant notre système immunitaire par la forte dose de radiation qu'il émettrait. Linda et Karel avaient aussi des smartphones spéciaux desquels ils avaient supprimé tout ce qui venait de Google. Pour ça par contre, je pourrais être d'accord. Je m’empêche de parler de canapé pour éviter de recevoir des pubs Ikea de partout.
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Une semaine plus tard, j'ai été autorisée à participer à une excursion vers un marché de l'autre côté du pays. Il s'agissait d'un marché alternatif pour introduire et renforcer une nouvelle crypto-monnaie, le Ğ1. Leur foi dans la gestion centrale de la monnaie avait disparu. Et ça fait un paquet de temps que ça dure. À Bruxelles, le premier crypto-bar a récemment ouvert ses portes et au Salvador, le bitcoin est devenu un moyen de paiement officiel. C'est donc pas du tout étrange de penser qu'un système de paiement décentralisé pourrait également séduire un groupe de personnes qui ne fait plus confiance au gouvernement. Sur ce marché, ça vendait de l'artisanat, des cupcakes ou des objets d'occasion. Nous, on vendait des bébé-plantes, des bijoux en cristaux et des pierres spéciales.« La cerise sur le gâteau, c'était leur théorie selon laquelle 100% de la crise climatique était délibérément causée par les élites, en collaboration avec les gouvernements. »
Ce soir-là, on s’est assis·es sur la plage pour pique-niquer (oui, encore de la laitue et des carottes). On a parlé de chemtrails et de la façon dont le gouvernement vole les nuages dans le ciel par des expériences à des fins maléfiques. Ça fait référence à la façon dont la technologie peut déclencher un système de pluie artificielle. Mais la cerise sur le gâteau, pour moi, c'était leur théorie selon laquelle 100% de la crise climatique était délibérément causée par les élites, en collaboration avec les gouvernements. Chaque fois que je questionnais le but de ces puissant·es sur le pourquoi de tels projets, la réponse était toujours la même : « Le pouvoir, ils veulent nous contrôler ». Chaque fois, je devais faire tout mon possible pour ne pas montrer d'objection à leurs idées absurdes. D'après ce que j'ai compris, Linda et Karel ne croient pas à la science telle qu'elle existe aujourd'hui, ne sont pas favorables à l'utilisation d'une quelconque forme de médecine, sont absolument convaincu·es que la démocratie n'existe pas - je ne peux pas leur en vouloir pour ça - et, en termes de problèmes physiques, tout peut être résolu avec un bon régime alimentaire ou en pensant à ses sentiments.
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Secte ou pas secte ?
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