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reportage

Les Femmes de la guérilla colombienne

Bien qu'elles se battent aux côtés des hommes depuis un demi-siècle, les combattantes des FARC restent sujettes à la violence sexuelle et aux avortements forcés.
Les Femmes de la guérilla colombienne

Quand les parents de Camila se sont séparés, elle a eu la réaction typique d'une jeune fille de 15 ans : elle a envisagé de s'enfuir pour échapper à ses problèmes. Cependant, Camila vivait dans une région contrôlée par la plus grande insurrection armée du pays : les Forces armées révolutionnaires de Colombie, plus connues sous l'acronyme « FARC ». L'idée de rejoindre le groupe lui a alors traversé l'esprit. Ce n'est que plus tard, à l'âge de 23 ans, qu'elle a décidé de faire le pas.

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« Beaucoup parmi nous ont rejoint le groupe à cause de problèmes personnels », confie Camila, dont le nom a été changé afin de protéger son identité.

Les femmes ont toujours joué un rôle important dans la guérilla, malgré l'idée reçue que le conflit armé était une activité réservée aux hommes. L'organisation s'est formée en 1964, quand un groupe de jeunes marxistes a pris les armes pour défendre les terres et exiger des réformes anti-impérialistes. Si le nombre de membres a atteint les 18 000 en 1999 et est depuis redescendu à 8 000, le groupe contrôle toujours des endroits stratégiques de la jungle colombienne. Pendant un demi-siècle, les femmes se sont elles-aussi battues en tant que membres des FARC, la plus ancienne insurrection du monde. Le gouvernement colombien estime qu'entre 30 et 40 % des rebelles sont des femmes.

D'un côté, le combat armé dépasse la question de genre. Les femmes se battent aux côtés des hommes et peuvent même devenir commandantes. Elles portent des fusils d'assaut, marchent en rang et risquent leur vie. Mais même au sein d'une insurrection armée comme les FARC, les femmes peuvent être confrontées à divers enjeux. Vivre auprès des hommes dans des quartiers militaires les rend vulnérables aux agressions sexuelles et, bien que le règlement intérieur des FARC interdise le viol, les rapports démontrent que certaines femmes du groupe ont été contraintes de se soumettre à l'esclavage sexuel. De plus, Amnesty International a accusé les FARC et les paramilitaires d'utiliser le viol comme une arme de guerre. Il est également interdit de tomber enceinte et de fonder une famille : l'avocat général de Colombie enquête sur près de 150 affaires d'anciennes combattantes ayant été obligées de mettre un terme à leur grossesse, et un quotidien colombien estime que 1 000 avortements forcés ont lieu dans les camps des FARC chaque année.

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Depuis novembre 2012, le gouvernement colombien négocie avec les guérillas pour qu'elles abandonnent les armes – ce qui comprend des réformes pour les terres, une politique d'amnistie et une intégration des FARC dans la société. Ce processus de paix a continué après le 23 mars dernier, sa date limite, et beaucoup de femmes sont impliquées dans le processus. Selon certains experts, la participation féminine dans la société civile sera l'indicateur de la réussite de ce processus de paix en Colombie.

Près d'une décennie après sa démobilisation, Camila revient sur sa vie après le combat et sur son rêve d'un meilleur avenir pour les femmes chez les FARC.

Prendre les armes quand on est mère et épouse

Un matin frais de novembre 2003, Camila s'est réveillée en sentant un poids énorme dans sa poitrine. Elle avait grandi dans une zone de conflit en Colombie, mais elle n'avait jamais été directement affectée par la guerre avant que les forces paramilitaires ne gagnent une plus grande influence dans sa ville. Le père de Camila et son petit frère de 14 ans ont été torturés par les paramilitaires qui les accusaient à tort de collaborer avec les guérillas. Son frère a rejoint les FARC par la suite, dans le but de se venger et de se protéger. Camila et sa mère ont été illégalement détenues par les paramilitaires et accusées de soutenir les guérillas, ce qui a alimenté la colère de Camila. Avec deux jeunes enfants à charge et un mari membre des FARC, elle a voulu prendre contrôle sur sa vie.

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« Mon rêve a toujours été de vivre avec ma famille dans ma propre maison, et non dans l'ombre de ma mère », explique-t-elle. Pour Camila, le meilleur moyen de réaliser ce rêve était de rejoindre la guérilla, ce qui lui a donné un sentiment de pouvoir. Elle a toujours éprouvé de l'admiration pour les FARC et leurs uniformes. Contrairement au gouvernement, ils maintiennent l'ordre dans sa ville.

Ce fameux matin de novembre, elle est allée voir un commandant qui lui a promis de l'aider à faire des études après quelques années de service. Il lui a accordé une période de réflexion pour qu'elle soit sûre de son choix, mais ce n'était pas nécessaire : Camila avait déjà pris sa décision. Elle comprenait que cet engagement impliquait de laisser ses enfants, mais elle était persuadée que cela permettrait de les aider pour plus tard.

« Le plus difficile était de laisser mes enfants parce que je n'avais jamais été loin d'eux pendant aussi longtemps, dit-elle. Je pense qu'un enfant est incapable de comprendre pourquoi sa mère le quitte ».

Pendant deux ans, Camila a vécu dans la jungle et pu communiquer avec ses enfants uniquement par voie manuscrite. Pendant ses moments de solitude, ces lettres la consolaient. Sa fille lui a souvent écrit qu'elle était fière de sa décision de combattre, même si Camila doute qu'elle comprenait ce que cela signifiait vraiment.

La vie de femme chez les FARC

« Toutes les femmes qui sont là le sont parce qu'elles se rebellent contre quelque chose, raconte Camila. Elles se rebellent contre leurs parents, contre la vie en Colombie rurale, contre le fait d'avoir des enfants et contre un système qui ne leur convient pas. »

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De son côté, Camila se rebellait contre un État qui avait échoué à la protéger. Faire partie d'un groupe armé lui a redonné de la force après avoir souffert de la pauvreté et de la discrimination. Camila a d'abord fait partie de l'équipe de propagande grâce à son talent inné pour la photographie et le design. Elle a ensuite rejoint les groupes armés. Mais la vie dans un camp des FARC ne se résume pas à des exercices militaires. Une femme qui rejoint un groupe armé ne perd pas son humanité et la vie de guérillero ne l'isole pas des réalités compliquées de la condition de femme. Une femme sur trois fait l'objet de violence physique ou sexuelle et les conflits armés exacerbent le niveau de violence à l'encontre des femmes. Des millions de femmes dans le monde développé manquent d'accès au contrôle des naissances.

Les combattantes doivent naviguer sur un terrain miné quand on en vient aux problèmes de genre, de sexualité et de santé reproductive – elles ont un accès plus que limité à la contraception et sont soumises à un potentiel harcèlement de leurs homologues masculins. Le fait que 60 à 70 personnes vivent ensemble au milieu de la jungle sans autre contact avec le monde extérieur complique d'autant plus les choses.

« On nous apprend qu'une femme a les mêmes droits que ses collègues masculins. Mais au bout du compte, elle reste une femme. Et il est difficile d'être une femme en temps de guerre. »

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Par exemple, Camila explique que les rebelles dorment rarement seuls. Les couples dorment généralement ensemble et les hommes et femmes célibataires dorment par groupe de trois ou quatre. Camila était déjà mariée lorsqu'elle a rejoint l'organisation, mais n'a jamais cessé de prendre ses précautions contre les agressions sexuelles et les rumeurs.

« Quand mon mari n'était pas là, je dormais à côté de deux ou trois autres combattants. Cela apporte une certaine camaraderie, déclare-t-elle. Mais, pour éviter les rumeurs, j'ai toujours dormi avec deux ou trois personnes, et pas juste une seule. »

La politique internationale des FARC ne tolère pas les abus sexuels ou physiques entre deux membres du groupe, mais cela ne met pas pour autant fin au problème. Camila se souvient qu'un combattant lui faisait constamment des avances sexuelles, avances qu'elle a toujours rejetées. Un jour, ce même homme a frappé une combattante après avoir découvert que leur liaison n'était pas exclusive. Il a été sanctionné, mais le commandant a justifié ses actions en disant que la femme avait agit comme une fille facile.

« [Dans les camps de la guérilla], on nous apprend qu'une femme a les mêmes droits que ses collègues masculins, déclare Camila. Mais au bout du compte, elle reste une femme. Et il est difficile d'être une femme en temps de guerre. »

La vie après les FARC

Camila n'a jamais eu l'intention de rester une guérillero toute sa vie. Après deux ans, elle a demandé la permission de quitter le groupe – ce qui lui a été accordé, car dès le début son contrat stipulait que son engagement était temporaire. Mais retrouver sa vie de jeune mère en zone de conflit n'a pas été chose facile.

« En Colombie, il est plus difficile d'être une femme », déclare-t-elle. Le pays sud-américain se classe 98e sur 187 dans l'indice d'inégalités de genre de l'ONU. « Pour une femme, il est encore plus difficile de se démobiliser car il y a toute une société qui agit contre vous. »

Depuis qu'elle s'est désengagée, Camila a suivi le programme de réintégration du gouvernement colombien, qui fournit des services d'assistance à la santé mentale, à l'éducation et à la vie professionnelle. Elle assure désormais la liaison entre les agences gouvernementales et les guérillas. Elle sera bientôt diplômée en graphisme, voie qu'elle a choisie suite à son expérience en tant que propagandiste des FARC. Grâce au soutien de sa famille, elle a été capable de vaincre cette haine et cette vengeance personnelle qui l'ont menée à prendre les armes – un choix qu'elle voit désormais comme un moyen inefficace de poursuivre des objectifs politiques et qui ont des conséquences irréversibles sur la société colombienne. Alors que le processus de paix touche à sa fin, des milliers de combattants comme Camila se démobiliseront dans les mois à venir. Elle espère que le pardon de tous les pans de la société colombienne sera la prochaine étape.

« Quand vous quittez le groupe, vous voyez les choses différemment », déclare-t-elle. En tant que combattante, elle a vu le pouvoir que peut procurer le combat armé à un groupe. Mais le manque de progrès social depuis qu'elle s'est démobilisée il y a dix ans lui a fait douter de ces méthodes. « Aucune personne armée ne peut accomplir des choses positives. L'histoire colombienne le prouve », dit-elle désormais. Même si, à 15 ans, elle regardait le plafond allongée dans son lit, rêvant d'enfiler une tenue de camouflage pour faire disparaître ses problèmes, Camila s'en rend compte aujourd'hui.