Regarde les femmes tomber – quand le réchauffement climatique complique encore un peu plus la vie des réfugiées
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Broadly DK

Regarde les femmes tomber – quand le réchauffement climatique complique encore un peu plus la vie des réfugiées

Au Somaliland, une sécheresse sans précédent oblige des mères de famille à quitter leur village pour se réfugier dans des camps surpeuplés.

Cet article a été initialement publié sur Broadly US.

« J'avais 120 animaux », m'explique Amina Abdul Hussein, mère de trois enfants, alors que nous sommes assises dans sa tente en lambeaux, située au cœur du camp Maxamad Mooge. « Mais la sécheresse les a tous tués. »

Des dizaines de camps non-officiels comme celui de Maxamad Mooge sont éparpillés dans la périphérie d'Hargeisa, la capitale du Somaliland, État indépendant autoproclamé situé dans la corne de l'Afrique. Le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (ou HCR) rapporte qu'au cours des trois derniers mois, près de 40 000 personnes ont dû quitter leur village natal en raison de la sécheresse dans la région. Conséquence d'El Niño, cette sécheresse a été aggravée par le réchauffement climatique, selon une étude récente publiée par l'American Meteorological Society.

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L'élevage du bétail est le pilier de l'économie du Somaliland et représente une grande partie du PIB du pays ; environ 65 % de la population pratique une forme de pastoralisme. En l'absence de bétail et d'une aide financière conséquente de la part de la communauté internationale et du gouvernement du Somaliland, des dizaines de milliers de personnes ont été forcées d'abandonner leur mode de vie centré sur l'agriculture pour trouver refuge en ville.

Cependant, les femmes qui arrivent à Hargeisa ont énormément de mal à trouver un emploi et doivent vivre dans des camps surpeuplés, situés dans les faubourgs de la ville. Des grossesses difficiles aux agressions sexuelles en passant par le manque d'équipements de santé, il est évident que ce sont les femmes qui souffrent le plus de la sécheresse et de ses conséquences.

« J'étais enceinte avant d'arriver ici, mais comme il n'y avait pas d'eau courante, j'ai perdu mon bébé », m'explique Amina.

Une étude récente confirme ses propos : le changement climatique a une influence sur le poids des bébés à la naissance, ce qui entraîne des complications ; dans certains cas, les bébés naissent prématurés ou sont mort-nés.

« Les problèmes liés au poids de naissance trouvent leur origine dans le nombre de jours chauds et la faiblesse des précipitations », m'explique Kathryn Grace, en charge de l'étude. « Les femmes enceintes sont plus sensibles à la chaleur, à la déshydratation, etc. Et tout particulièrement dans les pays en voie de développement, où les ressources sont limitées », prévient-elle.

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Dans les régions rurales du Somaliland, on croise de nombreuses carcasses d'animaux. En l'absence de bétail, des dizaines de milliers d'habitants de la campagne ont dû trouver refuge en ville.

Lorsque le mari d'Amina a eu vent de la fausse couche de son épouse, il a abandonné sa famille et est parti pour la ville. Manquant d'eau et de nourriture, Amina a décidé de rejoindre Hargeisa, dans l'espoir que sa famille éloignée puisse lui venir en aide. « La situation était très différente de ce à quoi on s'attendait, ils ont refusé de nous accueillir, m'explique-t-elle. Je suis donc allée dans un camp avec mes trois enfants. »

Un camp non-officiel, dans lequel aucune ONG n'opère. On attend même des femmes qu'elles paient un loyer aux pseudo-propriétaires. « C'est un terrain privé, donc il faut qu'on paie. Quand on ne paie pas, les propriétaires récupèrent leur terrain et nous obligent à déménager, explique Amina. Vous voyez ces pierres tout autour de nous ? On les ramasse et on va les vendre au marché. On gagne dans les 60 000 shillings somaliens [soit environ sept euros, ndlr] par tonne. »

En raison de complications liées à sa fausse couche, Amina précise que porter des pierres est très douloureux. Elle ajoute que certains propriétaires mettent le feu aux tentes des femmes qui ne paient pas leur loyer. « Il n'y a aucune mesure de sécurité dans ce camp, il n'y a même pas de lumière. Nos tentes sont en tissu, nous n'avons pas de verrou. Nous sommes effrayées. La nuit, n'importe qui peut entrer et nous faire du mal. Au final, je dors très peu. »

À quelques tentes de là vit Hodan Ahmedan, 23 ans. Deux nuits auparavant, elle a été agressée sexuellement par un groupe d'hommes alors qu'elle allait aux toilettes. « Ils sont partis lorsqu'une vieille dame est venue à mon secours », raconte-elle, avant d'ajouter que ces attaques sont fréquentes.

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En raison des sols très durs, les femmes ne peuvent pas creuser de trous pour s'en faire des toilettes. En conséquence, la nuit, elles doivent marcher jusqu'aux abords du camp pour trouver un endroit où elles peuvent se soulager. « C'est douloureux de se retenir jusqu'à la nuit, explique Amina. Les hommes peuvent y aller quand ils veulent, mais nous, on doit attendre qu'il fasse noir pour des raisons d'intimité. »

Les femmes et les enfants constituent l'immense majorité des habitants des 225 tentes du camp. « Chaque jour, de nouvelles personnes arrivent à cause de la sécheresse », me précise Nima Berashe. Cette quadragénaire vit dans le camp depuis un peu plus longtemps que les autres, et s'applique à recenser le nombre d'arrivant(e)s. Nima m'avoue qu'en raison des ressources limitées, l'augmentation du nombre d'habitants dans le camp est de plus en plus problématique.

Malheureusement, on s'attend à ce que le nombre de réfugiés augmente, non seulement au Somaliland, mais aussi dans toute la région. L'organisation Famine Early-Warning Systems Network (FEWSNET) avance qu'une famine est à prévoir. Encore plus de réfugiés vont rejoindre des camps au Somaliland et dans les autres pays de la corne de l'Afrique.

Les femmes et les enfants vivent côte à côte dans des abris de fortune au milieu de camps surpeuplés.

Cette sécheresse sans précédent – la dernière en date d'une longue liste de catastrophes naturelles dévastatrices – pousse les spécialistes à pointer du doigt le réchauffement climatique causé par l'homme.

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« Dans la corne de l'Afrique, comme dans la région du Sahel, on se déplace pour contrer les conséquences de la sécheresse », explique Rob Bailey, auteur de Managing Famine Risk: Linking Early Warning to Early Action et directeur de recherche au sein du think tank Chatham House. « Il est certain que le changement climatique va augmenter le nombre de migrations humaines dans le futur. » En cas de conflits, de guerres civiles ou de sécheresses annuelles, le changement climatique va détériorer des situations déjà terribles ; ceux qui en souffrent le plus sont en général les plus vulnérables, comme Amina, Hodan ou Nima.

Les preuves de l'influence du changement climatique sur les crises humanitaires et les tendances météorologiques sont de plus en plus tangibles, souligne Rob Bailey. « Les ordinateurs sont de plus en plus performants, et les scientifiques aussi, ce qui veut dire qu'il sera bientôt possible pour les experts de déterminer si un évènement en particulier est dû au changement climatique provoqué par l'homme, explique-t-il. Ça va être plus simple de prouver que le réchauffement climatique joue un rôle dans certaines catastrophes. »

De nos jours, « il n'existe aucun règlement ou protocole pour gérer les populations fuyant leur domicile en raison du réchauffement climatique, car il n'existe aucune définition universelle du réfugié climatique », explique Bennett Collins, cofondateur de The Third Generation Project, un think tank écossais. Si de plus en plus d'initiatives sont mises en place pour venir en aide aux individus qui fuient leur pays en raison du changement climatique, il existe encore peu d'organismes qui gèrent les personnes se déplaçant à l'intérieur de leur pays pour les mêmes raisons.

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Un paysage du Somaliland

Vu que le concept même de réfugié climatique n'est pas entériné par tous les pays du globe et que le Somaliland n'est pas reconnu comme un État à part entière, les femmes comme Amina ou Hodan se retrouvent seules, et sans aide.

Les problèmes auxquels ces femmes doivent faire face dans le camp Maxamad Mooge ne sont malheureusement pas une exception. Chaque jour, de nouvelles preuves nous permettent d'affirmer que les femmes réfugiées font face à de grands risques lorsqu'elles migrent au sein de leur propre pays ou à travers les continents. Un rapport d'Amnesty International, rassemblant les témoignages de réfugiées voyageant à travers l'Europe, confirme que « les femmes et les jeunes filles réfugiées subissent des agressions, sont victimes d'exploitation et de harcèlement sexuel à chaque étape de leur voyage, même sur le sol européen. »

L'Organisation internationale pour les migrations (OIM) déplore que « [les] discussions au sujet des migrations climatiques, qu'elles soient politiques ou académiques, ne prennent pas le genre des migrants en compte ; peu d'études analysent le lien entre migration, environnement et genre. »

Comme l'explique Nima, « les hommes ont plus de facilité à trouver du travail. Ils déménagent donc en ville et commencent une nouvelle vie. La plupart d'entre eux nous quittent. Peu restent. »

Toutes les photos sont d'Alice Rowsome.