Dans les coffee-shops secrets du Royaume-Uni
« Dog », au Dog House Smoking Club de Leicester

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Drogue

Dans les coffee-shops secrets du Royaume-Uni

Une visite des coffee-shops clandestins qui fleurissent un peu partout dans le pays.

Assis au sixième étage, avec une vue imprenable sur les toits de Londres et les traders de la City qui se hâtent de quitter leurs bureaux, je bois mon café à petites gorgées tout en fumant un joint de haschich marocain. Je me trouve dans l'un des coffee-shops clandestins qui est apparu au Royaume-Uni au cours de ces dernières années. Ces lieux ont tous leurs propres spécificités, qu'ils soient ouverts à tous et faits pour le commerce, ou qu'ils soient plus privés et réservés à une certaine clientèle – mais ils partagent tous un point commun : on peut y fumer, et parfois y acheter de la weed. Ce coffee-shop est l'un des six que je connais dans ce quartier de Londres. En dehors de la capitale, des établissements du même genre existent de Peterborough à Newcastle. Ces commerces qui passent inaperçus sont présents depuis des années. En 2001, le militant pour la légalisation du cannabis Colin Davies a été arrêté après avoir ouvert le coffee-shop Dutch Experience à Stockport, dans l'agglomération de Manchester – ce qui n'a pas empêché le nombre d'établissement de ce genre de se décupler.

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Le Teesside Cannabis Club – une des branches locales des UK Cannabis Social Clubs – fonctionne depuis de nombreuses années en tant que plaque tournante pour la communauté locale consommatrice de marijuana. Cependant, début 2017, ses membres ont décidé d'ouvrir un lieu permanent pour la consommation de cannabis. Contrairement à d'autres endroits plus discrets, rien d'illégal n'est vendu ici. Le club vous offre l'expérience d'un coffee-shop – vous pouvez y acheter des boissons sans alcool et des casse-croûte, mais, lorsqu'il s'agit du cannabis, les règles du club sont claires : amenez le vôtre. Les drogues dures et l'alcool sont également interdits. « Nous avons un peu moins de 100 membres pour l'instant, mais de nouvelles personnes nous contactent tous les mois », explique Michael Fisher, un militant pour la légalisation et le fondateur du club. « Certaines personnes font plus de 80 km pour venir passer une soirée ici. » La moyenne d'âge des clients varie entre 20 et 70 ans, rajoute Michael, et « certains des membres les plus âgés sont en train d'amener leurs amis. » L'adresse du lieu n'est pas rendue publique, mais, comme pour beaucoup d'autres coffee-shops au Royaume-Uni, le Teesside possède un site web et une page Facebook où l'on peut voir la tête de Michael. Sachant que ce lieu devient de plus en plus fréquenté, que pensent les habitants aux alentours ? Les gérants ne craignent-ils pas de voir la police débarquer à l'improviste un soir ? « On s'entend très bien avec les habitants du quartier : on discute avec tout le monde et on ne pose pas de problème », indique Michael, insistant sur le fait que personne n'a jamais appelé la police. « Ce club est probablement le secret le plus mal gardé au monde : on vient d'acheter une nouvelle pancarte immense à accrocher sur la devanture. La police n'a pas besoin de faire une descente ici, ils voient déjà tout ce qu'on fait sur les réseaux sociaux, et, s'il y a le moindre problème, ils ont mon numéro de portable : ils savent même où j'habite. » Le Teesside est sous la juridiction de Durham Police Force, les premiers au Royaume-Uni à avoir publiquement assoupli leurs positions sur le cannabis : en 2015, le commissaire Ron Hogg a annoncé que les consommateurs ne seraient ciblés que s'ils faisaient pousser pour la revente ou s'ils fumaient de manière « flagrante ». Le fait que les clients consomment dans un lieu clos et caché joue en la faveur du Teesside Club, mais ce qui le sauve complètement, c'est son interdiction de vente de drogues.

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Vidéo associée : La légalisation de la marijuana en Grande-Bretagne


D'autres coffee-shops – par exemple, ceux qui vendent des produits à base de cannabis sans ordonnance – n'ont pas ce luxe : si la police est au courant de leurs activités, elle débarque pour faire fermer le magasin. Cependant, ces lieux vous offrent quelque chose que vous ne trouverez nulle part ailleurs au Royaume-Uni : la possibilité de choisir à partir d'un menu et d'examiner la marchandise avant de l'acheter, sans la pression et le risque de se faire arnaquer qu'on peut rencontrer lors des deals au coin des rues. J'ai visité un coffee-shop dans ce style à Nottingham : bien entendu, on m'a demandé de garder le nom et quelques détails secrets, mais je peux vous dire que la clientèle est composée d'étudiants – étonnamment, principalement d'étudiants étrangers. Le propriétaire, « Chris », m'a dit que la police ne lui faisait pas peur. « Je m'en fiche qu'ils viennent faire une descente », dit-il. « Y'a pas de souci. Aux alentours, il se passe des trucs bien pires. On n'a jamais eu de problèmes avec la police. » Cela dit, son indifférence n'empêche pas l'un des autres membres de l'équipe de fixer attentivement et longuement un écran sur lequel est retransmise la caméra de surveillance située au coin de l'immeuble. Un peu plus loin du comptoir, les patrons ricanent, bavardent et fument – et au moins quatre langues différentes sont parlées. « Je préfère quand des étudiants viennent ici, surtout des étrangers », explique Chris. « Ils ne posent aucun problème et ils dépensent beaucoup d'argent. Si beaucoup d'habitants du quartier connaissaient ce lieu, ça serait probablement plus embêtant. » Le coffee-shop a permis à certains clients réguliers de retrouver une vie sociale. Le mec à côté de qui je suis assis, Ahmed, m'explique : « Ici, on diffuse toujours les gros matchs de foot, alors on vient les voir à chaque fois. Je suis musulman, du coup je préfère être quelque part où on peut fumer plutôt que boire des bières. » Son ami rajoute : « Ouais, certaines personnes aiment aller au pub les vendredis soir, mais pas nous. Vous nous trouverez toujours ici, tous les vendredis. » Ce caractère décontracté peut prêter à confusion. Ici, il semble tout à fait normal et légal d'acheter et de fumer de la weed, un peu comme on achèterait une pinte. Cependant, ça n'est pas légal : en réalité, ce lieu est un commerce illégal où la police pourrait débarquer à tout moment. En 2010, par exemple, trois hommes ont été emprisonnés pour avoir cherché à vendre de la drogue dans un « cannabis café » à Lancing, dans le Sussex de l'Ouest ; cependant, pour mener à leur arrestation, il a fallu que la police fasse plusieurs descentes brutales dans leur café pour rassembler assez de preuves.

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Le menu dans un des coffee-shops secret de Londres

De retour à Londres, je visite un autre coffee-shop où la weed est en promo ; le propriétaire n'a pas très envie de me parler, mais il m'autorise à prendre quelques photos des menus. Un client régulier, Ash, me dit : « Je viens ici car j'ai besoin de cannabis thérapeutique et la seule chose qui marche pour moi, c'est l'Indica ; seulement, mon dealer habituel n'en a rien à foutre – il me donne des trucs au hasard, du coup je ne sais jamais si ça va me soulager ou non. » Ici, le menu présente la plus grande variété de cannabis que j'ai vue au Royaume-Uni ; la plupart ont été testées dans des laboratoires aux États-Unis. Cependant, la marchandise n'est pas donnée : un gramme coûte entre 30 £ et 50 £ dans un coffee-shop, contre 10 £ ou 20 £ dans la rue. « Je paye plus cher pour ma marijuana ici, mais j'aime bien les produits », m'explique un autre client. « J'adore tester de nouvelles saveurs de weed, pour être honnête. Pouvoir venir ici et goûter à toutes ces variétés, c'est un peu comme aller à Disneyland pour moi. » Un autre client me dit : « Moi, je viens pour fumer de la weed de Californie. J'adore la weed de Californie ! » Je surprends une conversation sur l'industrie du cannabis et les dernières variétés de weed – le genre de conversations réservé aux connaisseurs, bien que ce lieu se vante d'être ouvert au grand public. D'autres coffee-shops, comme le Dog House Smoking Club à Leicester, sont plus taillés pour les fans inconditionnels : le genre de personnes qui savent extraire de l'huile de cannabis à l'aide de butane sans faire exploser leur maison. Le Dog House est beaucoup plus petit que les autres clubs – on dirait une cabane de jardin réaménagée – et il n'y a que deux clients lors de ma visite. Le propriétaire – un mec qui répond au nom de « Dog » – m'explique : « Ici, on ne rentre que sur invitation. Les gens ne peuvent pas venir comme ils le souhaitent, mais on peut ramener des amis. J'aime bien garder les choses sous contrôle et connaître mes clients. Je fais avant tout ce métier en raison de ma passion pour la weed. Ici, on peut se faire des amis et fumer la meilleure herbe qui soit. » Dog me raconte qu'il rêve que le cannabis soit légalisé, histoire de pouvoir ouvrir un autre endroit, où toute personne âgée de plus de 18 ans pourrait rentrer librement. Les arguments en faveur de la légalisation sont nombreux, allant des bénéfices sociaux aux bénéfices économiques, et ces coffee-shops jouent là-dessus : ils procurent un environnement où l'on peut échanger des conseils et avoir des produits de qualité ; ils empêchent les enfants de consommer ; ils font en sorte que les gens fument moins dans les parcs ou dans les rues ; enfin, et surtout, ils fournissent l'accès à des variétés spéciales pour les personnes ayant besoin de cannabis thérapeutique.

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Une consommatrice au London Smoking Club

Le London Smoking Club (LSC) est le plus grand rassemblement de consommateurs de cannabis. Le LSC ne vend pas de cannabis et fonctionne selon la même règle que le Teesside Club : chacun ramène ce qu'il fume. Cependant, contrairement aux autres clubs, le LSC n'est pas basé dans un lieu en particulier. Ils organisent des événements surprises dans des lieux existants, et leurs membres peuvent espérer y rencontrer d'autres personnes avec la même passion pour se faire des liens dans la communauté du cannabis – que ce soit pour des raisons thérapeutiques ou récréatives. « Certaines personnes passent tous leurs vendredis soir ici ; certains viennent pour trouver des plantes ; d'autres viennent pour poser des questions sur la pousse, les équipements, etc », raconte « Drekanots », un des membres à l'origine du club. « C'est juste un endroit sûr pour les gens qui sont liés, de près ou de loin, au cannabis. » Drekanots explique qu'un tel espace est nécessaire avec les lois actuelles et avec l'opinion très critique que le public se fait des consommateurs de cannabis. « Si quelqu'un nous regarde de haut, j'ai envie de lui demander pourquoi – comprendre ce qui l'a poussé à adopter un tel point de vue », explique-t-il. « Au final, ce n'est qu'un hobby, une passion … Certains aiment les voitures, d'autres le golf : à chacun ses choix. »

Bien que le club ait été créé dans un but social, ils ont également des motivations politiques. « Nous avons organisé des événements caritatifs, on a levé des fonds pour des associations contre le cancer, ce genre de trucs » raconte Drekanots. « On pense qu'il est important de faire ce genre de choses pour prouver que les fumeurs font partie de la société, au même titre que tout le monde. On est en train de préparer différentes campagnes pour cette année. » Le LSC essaye également de faciliter les tests en laboratoire sur les produits dérivés du cannabis – quelque chose plus que nécessaire au Royaume-Uni – mais il est très compliqué d'installer un tel laboratoire de recherche avec les lois actuelles. Tout comme les autres coffee-shops et clubs que j'ai visités, le LSC n'a jamais eu de problèmes avec la police. Lorsque j'ai demandé au Metropolitan Police Service et au National Police Chiefs' Council ce qu'ils pensaient de ces lieux qui, parfois, vendent du cannabis, ils ont refusé de me répondre. Cela pourrait signifier deux choses : soit les autorités ne savent pas grand-chose de ce problème en raison du manque de ressources dû aux coupes budgétaires du gouvernement, soit ils n'ont pas la motivation pour agir. Depuis que la police de Durham a annoncé qu'ils laisseraient tranquille les petits délinquants fumeurs de haschich, d'autres forces de police ont suivi le mouvement – et il n'est pas illogique de penser que la police préférerait voir les consommateurs se déplacer dans un cadre privé plutôt que public. Bien entendu, il ne s'agit ici que de spéculations. Mais ce qui est sûr, c'est que le gouvernement continue d'ignorer les preuves qui indiquent que la légalisation permettrait de faire des bénéfices et d'avoir un plus grand contrôle des coffee-shops – se privant ainsi du revenu imposable sur la weed qui pourrait lui rapporter des millions de livres.

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