FYI.

This story is over 5 years old.

Drogue

Simple dealer de weed, comment je me suis fait serrer

L'histoire de Mat, vendeur de weed issu de la classe moyenne française, et de sa descente au fond du trou.
Dealer Paca

Un homme qui n'a absolument aucun rapport avec le dealer présenté dans l'article. Photo via Flickr

Mat [ce n'est pas son vrai nom ] a commencé à toucher à la weed à l'âge de 13 ans. Originaire du sud-est de la France, mèche lisse et sneakers neuves, il ne ressemble ni à un dealer traditionnel, ni à un thug de basse extraction. Il veut devenir avocat fiscaliste, et appartient depuis toujours à la classe moyenne aisée. Ses parents sont commerçants. Le truc, c'est que plus jeune, il s'est mis à dépanner de l'herbe, puis à en vendre, de plus en plus, jusqu'à en faire un job. Et il s'est fait serrer. Aujourd'hui âgé de 22 ans, Mat connaît la garde à vue, la « souricière » et la prison. En septembre prochain, il sera jugé et risque d'y retourner.

Publicité

Jeune adolescent, Mat a d'abord mis la main à la pâte pour se faire quelques sous. Parallèlement, il faisait ses premières conneries, et s'est notamment retrouvé en garde à vue pour avoir fumé un joint dans la rue. Puis les années ont passé, et las de devoir trimer l'été pour gagner de l'argent, Mat a amorcé un virage. À 18 ans, en entrant à la fac, il s'est mis à écouler de la weed dans des proportions plus ambitieuses, relativement peu au départ, puis beaucoup et partout sur le campus. Vite, les 40 euros journaliers dont il se satisfaisait se sont transformés en des sommes plus adultes. De type 1 000 euros par semaine. Avec ça, il allait au restaurant tous les jours et s'achetait les trucs les plus inutiles possible.

Puis, un jour, un mec l'a balancé et, comme les autres, Mat s'est retrouvé en taule. Du jour au lendemain, le jeune garçon plein d'avenir a dû survivre dans la cage aux lions, au milieu de détenus plus violents, plus costauds et d'origine autrement plus modeste que la sienne. Aujourd'hui libéré, il sera jugé pour trafic de stupéfiants en septembre prochain. Il risque de la prison avec sursis et 3 000 euros d'amende minimum. Je l'ai rencontré pour qu'il me raconte comment un fils de bonne famille de la région PACA, bien sous tous rapports, en était arrivé là.

dealer-de-classe-moyenne-paca-583-body-image-1450712456

Photo via Flickr

VICE : À quel moment as-tu commencé à vendre de l'herbe et pourquoi ?
Mat : Quand j'avais 18 ans et que je suis arrivé à la fac. J'ai fait des rencontres et je me suis dit que ce serait facile de me faire de l'argent sans bosser à côté des études. Le raisonnement de base. Au début je ne branlais rien à la fac – je me contentais de vendre mes petits pochons d'herbe. Des 20, 30, 50 euros chaque jour, histoire de pouvoir réserver une table avec mes potes le week-end. Vite, je me suis fait un gros réseau. L'un de mes potes avait un appart' juste à côté de ma fac. C'est là-bas qu'on vendait. On se faisait 300 euros de bénéfice par personne toutes les semaines.

Publicité

Comment tu as décidé de passer à l'étape supérieure ?
Tout se passait bien et les commandes ont vite été plus importantes. Je me suis dit que ça ne servait plus à rien de vendre au détail et qu'il fallait que je trouve des mecs qui fassent ce job à ma place. Des potes. Au final tout le monde a voulu sa part du gâteau et je me suis retrouvé à avoir neuf gars qui vendaient pour moi.

Tu n'as jamais vendu que de l'herbe ?
Oui. Je n'ai jamais voulu vendre autre chose, je ne suis pas un vendeur de mort. Même le shit ça te bousille, il y a plein de merde dedans. Ça te grille les neurones. Ma weed venait d'Espagne, elle était cool, pas très forte en THC. Environ 8 %. Mais elle plaisait. On l'avait à des prix cassés par le grossiste qui nous la livrait directement à l'appartement. C'est un mec qui fréquentait les jeunesses identitaires.

On ne sortait jamais avec de la weed ou du liquide sur nous. Jamais un joint dans la rue. Toutes les transactions se faisaient dans l'appartement de mon pote. Les clients sonnaient à l'interphone et il y avait toujours quelqu'un pour les accueillir. On ne vendait pas à n'importe qui. Qu'à des gens qu'on connaissait.

Notre grossiste passait chaque semaine à l'improviste pour faire la livraison et récupérer son dû. On avait un livreur attitré, qui passait chez les clients la journée ou en soirée. Jamais de téléphone. On faisait très attention. À un moment mon blase a commencé à tourner parce qu'on prenait de l'ampleur. Je me suis mis à vendre à des gens que je ne connaissais pas.

Publicité

Je me disais : « je me laisse un an, le temps de coffrer assez d'argent et de me faire un putain de voyage. » Mais c'est pas si simple en vrai.

Combien vous vendiez à ce moment-là ?
On était trois et on vendait 200 grammes tous les deux jours. On se faisait environ 800, 900 euros tous les deux jours. Donc à peu près la même somme par personne pour une semaine.

On a flambé, on a fait les cons pendant un bon bout de temps. Mais vers la fin, on a commencé à coffrer du fric et en un mois on avait 4 000 euros de bénéfice, hors dépenses quotidiennes. Je dépensais l'argent en sapes, sorties, télés et consoles. Je faisais plaisir à ma copine. J'ai vite eu un bon train de vie. Je mangeais dehors tous les jours. Je dépensais à peu près 2 000 euros par mois. Je me disais : « je me laisse un an, le temps de coffrer assez d'argent et de me faire un putain de voyage. » Mais c'est pas si simple en vrai.

Comment tu t'es fait arrêter ?
Ça faisait neuf mois que j'étais dedans. Puis une fois, on a dû remplacer notre transporteur par un autre gars. En urgence. Il s'est avéré que c'était une petite salope. Pendant son voyage il a réussi à se faire remarquer par la BAC, qui s'est mise à le suivre. Mais ça, on l'a su après.

Dès l'instant où le gars est parti livrer, j'ai eu un mauvais pressentiment. Il ne répondait plus au téléphone. J'ai flippé et on a tous jeté. Les balances d'abord, et le carnet dans lequel on tenait nos comptes. On a planqué l'argent économisé dans l'appartement d'un mec qui n'avait rien à voir avec nous et notre business. C'était juste la connaissance d'un des potes avec lequel je vendais.

Publicité

Le lendemain de cet épisode, le mec chez qui on avait planqué l'argent s'est pointé à l'improviste dans notre appartement. Au même moment, la BAC était en train de nous perquisitionner, les policiers l'ont fouillé ; ils ont trouvé pour 300 euros de weed sur lui. Et évidemment, la BAC est allée perquisitionner son appartement dans la foulée. Ils ont trouvé nos économies et les ont prises.

Qui a attiré les soupçons sur vous ?
Un jeune bourgeois anglais qui s'est fait choper avec de la coke. Il a balancé cinq mecs. Des plus gros dealeurs que nous. Quand ces mecs se sont fait perquisitionner, ils avaient 2,3 kg de matos sur eux. Et vu que le livreur avait éveillé les soupçons de la police, il s'est fait attraper avec la weed et nous a balancés. Ensuite la BAC a mis tout le monde dans le même sac. Dealeurs de drogues dures comme de drogues douces – la police a fait comme si on appartenait tous au même réseau et en a profité pour tous nous coffrer.

Comment ça s'est passé ensuite ? Garde à vue ?
Ouais. 96 heures de GAV. C'est pire que la prison. Franchement, c'est dur mentalement. On te met à sec, on te met la pression. Au début je ne montrais rien. Au fur et à mesure, j'ai vu que la police avait assez pour me faire plonger. Je me suis dit que j'étais foutu alors je leur ai donné du grain à moudre, du style : « OK, je vends un peu, mon grossiste c'est un Noir balafré qui fait la sortie des facs, il roule en booster mais je l'ai rarement croisé, je ne saurais même pas le décrire précisément. »

Publicité

Ils savaient que je mentais. Mais ils étaient contents, ils remplissaient leurs quotas d'arrestation. J'ai compris que si je donnais le nom de mon grossiste, je m'en sortirais. Mais je n'ai pas voulu. À ma sortie de prison, je lui devais encore 800 euros. Il a effacé mon ardoise parce que j'avais tenu ma langue.

dealer-de-classe-moyenne-paca-583-body-image-1450712516

Photo via WikiCommons

Vous êtes passés en comparution immédiate, après ça ?
Ouais. On s'est retrouvés dans la souricière, la garde à vue du tribunal. Des petites cellules de cinq personnes. Et là c'était vraiment dur physiquement. Leurs bancs sont inclinés de façon à ce que tu glisses quand tu t'allonges dessus. C'est là que tu réalises. Tu sais que tu vas t'en prendre plein la gueule. J'ai chialé. Même les mecs qui étaient avec moi, de vrais costauds, ont craqué.

Devant la juge, j'ai fermé ma gueule et j'ai dit oui à tout. La juge ne m'a fait aucun cadeau. J'ai toujours considéré qu'ils avaient été très sévères avec nous. Selon les dires de la juge, ils nous ont envoyés en taule parce qu'on était « susceptibles d'être intimidés par d'autres personnes » au cours de l'enquête. C'est ce qui aurait motivé sa décision. Bref.

Ma grande sœur n'a su que bien plus tard que j'étais allé en prison. Mes parents n'avaient pas voulu lui dire. Ma petite sœur, elle, m'a dit : « ça ne m'étonne pas de toi. »

Au final, qu'est-ce que t'a dit la juge ?
« Tu vas au trou le temps de l'enquête. » Toutes les semaines mon avocat faisait une nouvelle demande de remise en liberté à la juge. Il fallait qu'il donne des garanties, genre que j'allais « revivre chez mes parents », que je me mettrais à « chercher un travail ». Aussi, je dois aller pointer toutes les semaines au commissariat depuis – c'est pour ça que je suis arrivé en retard à l'interview.

Publicité

Comment ont réagi tes parents, ta famille à tout ça ?
Ils sont tombés de haut ! Pourtant, j'en avais fait des conneries, mais là… C'est vraiment dur de se dire qu'on déçoit à ce point sa famille. Ma grande sœur, elle n'a su que bien plus tard que j'étais allé en prison. Mes parents n'avaient pas voulu lui dire, « pour la préserver ». Ma petite sœur, elle, m'a dit : « ça ne m'étonne pas de toi. »

Comment ça se passe quand t'arrives en prison ?
On m'a mis dans une cellule de 9 m2 avec un codétenu. Un gars qui s'était fait choper trois fois sans permis. Ça s'est plutôt bien passé. J'ai halluciné de voir que certains étaient entassés à trois ou quatre dans ces mêmes cellules. Les prisons sont vraiment pleines. Par la suite j'ai changé cinq fois de codétenus et de cellules. J'ai été trimballé dans tous les bâtiments – des arrivants à celui des personnes en attente de jugement, jusqu'à celui des condamnés. J'y suis resté trois mois.

As-tu eu droit de participer à des « activités » ?
Non, tu ne peux en faire seulement si tu es condamné et après six mois de demande.

Qu'est-ce que tu faisais, alors ?
Je fumais. Et puis ma mère m'a fait passer un code de procédure pénal. Vu que je suis en droit, je l'ai lu. Maintenant, je connais presque tout par cœur. J'avais que ça à foutre, faut dire. Le temps était long. J'avais l'impression qu'une journée c'était une année. Et puis il y avait la faim. J'avais la dalle.

Publicité

La bouffe ressemble à quoi ?
Que des trucs secs, sous vide. Sans sel, ni beurre. Dégueulasse. Le principal aliment là-bas, c'est du pain. Des baguettes qui sèchent vite et qu'on devait manger avec de l'eau pour combler la faim. Ils servent le repas du soir à 17 heures et tu dois attendre le midi du jour suivant avant de pouvoir manger à nouveau.

Et l'hygiène, c'est vraiment chaud. Une petite douche deux fois par semaine et à 6 heures du matin. Donc il fallait se lever. Et toujours garder le caleçon ! En plus, à la base, je suis maniaque. J'avais un pull blanc que j'ai dû garder pendant un mois avant que ma mère puisse m'envoyer des fringues. Il a viré au noir.

Qu'est-ce que tu as retenu du fonctionnement de la prison ?
Déjà, si on t'envoie pas de mandat pour cantiner, c'est la grosse galère. Sachant que tu dois attendre un mois pour avoir un mandat, avec deux semaines de délais. Dans mon cas, j'ai eu un mandat pour les deux dernières semaines de détention. Quand t'arrives, on te file un paquet de clopes roulées, mais sans filtre. On a dû s'en fabriquer avec des bouts de PQ.

Ensuite pour « bien vivre », il faut connaître les mecs qui étaient là avant toi. Aussi, il faut réussir à bien s'entendre avec son codétenu. J'ai plus ou moins eu de la chance de ce côté-là. La plupart de mes camarades me faisaient profiter de ce qu'ils avaient. Autre chose : tout se paye avec des paquets de clopes. Tout passe par ça.

Publicité

Raconte-moi les embrouilles dans lesquelles tu as été impliqué là-bas.
En promenade, un mec a voulu me chourer mes baskets. J'ai flippé. J'avais le cœur qui battait à mille à l'heure, je ne savais pas quoi faire. Alors j'ai mis la première droite. Je me suis dit qu'il fallait que je montre que je me laisserai pas faire. Le mec, plus costaud que moi, m'a calmé tout de suite. Il m'a mis une putain de gifle et je suis tombé.

La deuxième fois c'était avec un de mes codétenus, un dealeur flingué au shit. S'il n'avait pas son pilon, il pétait les plombs. On s'est embrouillés à cause de ça. Après un tête contre tête, il a pris une fourchette et me l'a mise sous la gorge. Puis il l'a posée et on s'est tapés pendant dix minutes sans interruption. Ça gueulait et personne n'est intervenu. Au final on s'est arrêtés parce qu'on était morts physiquement, à bout de souffle, chacun dans un coin de la cellule, en sang.

Pourquoi ont-ils finalement consenti à te laisser sortir ?
Parce qu'ils n'avaient rien trouvé d'autre dans l'enquête. Et puis, je n'ai jamais été un danger pour la société ; ma variable intégrante était assez élevée. J'avais tout pour pouvoir reprendre le cours de ma vie. De toute façon, ce que la justice veut, ce sont les amendes que tu payes. Pour financer les prisons.

J'ai bossé presque un semestre en une semaine et j'ai eu mes examens ! Après j'ai revendu mon carnet de clients pour 1 000 euros à mon ancien grossiste.

Publicité

Un jour donc, des gardiens sont venus me chercher alors que j'allais en promenade. Ils m'ont dit : « Prends tes affaires, tu te casses. » Mon codétenu avait la rage. Je me suis retrouvé là, devant la prison, mon gros sac Darty avec le peu de fringues que j'avais et mon numéro d'écrou. J'avais l'air d'un clando. J'ai crié, sauté dans tous les sens ! Je suis resté assis une heure à penser et à regarder l'horizon. Puis j'ai dû faire du stop pour rentrer chez moi. Ce sont des matonnes de la prison qui m'ont ramené à destination. J'ai fait la surprise à mes parents.

Qu'est-ce qu'il s'est passé le lendemain ?
Je me suis réveillé en me disant que je retournerais en cours l'année suivante. Il me restait une semaine avant les partiels – je me suis dit que je devais quand même tenter. J'ai bossé presque un semestre en une semaine et j'ai eu mes examens ! Après j'ai revendu mon carnet de clients pour 1 000 euros à mon ancien grossiste.

C'est quand le jugement final pour cette affaire ?
Verdict en septembre. Je pense que je vais prendre du sursis et je vais devoir payer une amende de 3 000 euros minimum.

Qu'est-ce que tu tires de cette expérience avec le recul, deux ans et demi plus tard ?
C'est une expérience qui m'a endurci – maintenant j'ai plus peur de grand-chose. J'ai déjà vu à quoi ressemblait le fond du trou. Mais ça m'a permis de voir la réalité en face. Je fais partie des cons qui ont besoin de se manger un mur pour se rendre compte de certaines choses. Que ce n'était pas le bon chemin. La vie, c'est pas de vendre de la drogue. Tôt ou tard tu finis par te faire attraper. Soit par la police et tu finis en prison, soit par une équipe qui veut prendre ton business – et là tu finis à l'hosto ou à la morgue. C'est que des emmerdes.

Je pense que la société nous incite, par tous les messages qu'elle véhicule, à accéder de la manière la plus simple à l'argent, au luxe, à la luxure. Donc c'est facile de se faire alpaguer quand on est jeune. Peu de personnes disent non à l'appât du gain.

C'est quoi la suite, pour toi ?
Dans quelques jours, je passe ma licence en droit. En parallèle, je travaille dans un cabinet d'avocat. Je cherche toujours le métier que je vais exercer plus tard. Une carrière en politique, pourquoi pas – je suis engagé dans un parti. Mais uniquement parce que j'ai des convictions.

Erwan est sur Twitter

VICE France est aussi sur Twitter, Instagram, Facebook et sur Flipboard.