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Pourquoi j'ai décidé de lâcher l'affaire avec Kanye West

Il est temps de faire une croix sur le « Ye » d'avant.
Kanye West fashion antisémitisme
Kanye West lors du dée 2023 Givenchy show (lors du  Victor Virgile

via Getty)k

À la différence d’artistes comme Michael Jackson ou R.Kelly, dont les controverses sont restées plus ou moins secrètes jusqu’à ce qu'elles éclatent au grand jour, Kanye West étale depuis des années son linge sale en public.

Le mois dernier, Kanye a rompu son silence sur les réseaux sociaux en faisant une apparition à la Fashion Week de Paris avec un t-shirt portant le slogan « White Lives Matter » aux côtés de Candace Owens, personnalité populaire de l’extrême droite.

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Quelques jours plus tard, il publiait sur son compte Instagram des conversations privées avec Tremaine Evory de Supreme. Il y évoquait avec mauvais goût le défunt designer Virgil Abloh. Puis, une avalanche de propos antisémites ont suivi. Tout en accusant Diddy d’être contrôlé par les juifs, il a tweeté : « going death con 3 On JEWISH PEOPLE » faisant manifestement référence à « Defcon 3 », le plus haut niveau d’alerte de l’armée américaine.

Suspendu de Twitter et Instagram, il a ensuite affirmé que George Floyd était en réalité mort d’une overdose au Fentanyl et non de violences policières. La famille Floyd a depuis engagé des poursuites contre le rappeur.

Il a changé ma perception du storytelling dans la musique, tissant avec complexité ses angoisses d’homme noir dans une industrie musicale dominée par les blancs, tout en réussissant à triompher de son succès.

Cette semaine, West a fait une offre pour acheter Parler, un site de réseaux sociaux marginal populaire auprès de l’extrême-droite.

Il va sans dire que tout ça n’est vraiment pas beau à voir.

Cette triste tendance affecte le travail de Kanye depuis quelques années. Il apparaît - puis disparaît précipitamment - des plateformes à chaque nouvelle controverse. Artiste au franc parler, jouissant d’une influence et d’un pouvoir considérables, qui a su gagner un public sensible au fil des décennies, il est devenu un symbole de réussite. Mais tout aussi rapidement, et à chaque crise, il continue de décevoir des fans qui le considéraient comme un grand artiste.

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Kanye n’a jamais eu peur de la controverse. Certains diraient même qu’il s’en délecte. Il s’agit peut-être d’un stratagème tordu pour faire couler de l’encre sur les réseaux sociaux, ou d’une espèce de démonstration sur la liberté d’expression et le pouvoir politique (j’en doute). Peut-être qu’il s’agit simplement d’un coup de gueule, ou peut-être encore que la pression de la célébrité l’a poussé à bout. 

Quoi qu’il en soit, Kanye a réussi à maintenir sa pertinence au-delà des limites de sa musique et de son art. C’est un succès que je considérais autrefois comme génial. Aujourd’hui, je n’en suis plus si sûre.

Je suis fan de Kanye depuis que j’ai 10 ans, l’année de la sortie de Graduation. Lorsque je rentre chez mes parents, ce CD est toujours le seul que ma sœur et moi écoutons quand on roule en voiture dans notre ancien quartier. Il a changé ma perception du storytelling dans la musique, tissant avec complexité ses angoisses d’homme noir dans une industrie musicale dominée par les blancs, tout en réussissant à triompher de son succès. Ado, j’ai passé des heures à écouter ces musiques, encore et encore, jusqu’à ce que je connaisse les paroles de chaque chanson, de chaque album. Ça a changé la façon dont je me voyais - et ma place dans ce monde - surtout en tant que fille racisée qui voulait réussir.

Si Kanye a toujours été Kanye - légèrement narcissique et désireux d’atteindre le sommet par tous les moyens - son lyrisme n’est plus qu’un instrument de dogme religieux et politique.

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Chacun de ses projets - à l’exception peut-être de l’interminable Donda - m’a marquée d’une manière ou d’une autre. Qu’il s'agisse de sonorités innovantes, de lyrisme nuancé ou de franc parler, chaque fois qu’il était question de lui, je le défendais. Et je n’en avais pas honte.

Je l’ai soutenu. Longtemps.

Mais là, j’en ai marre. Là, j’ai honte. Ce qui a commencé par une récupération un peu culottée du micro de Taylor Swift est devenu une guerre ouverte d’idéologie d’extrême-droite. 

Si Kanye a toujours été Kanye - légèrement narcissique et désireux d’atteindre le sommet par tous les moyens - le lyrisme qui, autrefois, mettait l’accent sur les thèmes de l’émancipation des Noirs et de la résilience, n’est plus qu’un instrument de dogme religieux et politique.

Lorsque le T-shirt « White Lives Matter » a fait le tour des réseaux sociaux, c’était un grand « fuck you » à tous celles et ceux qui ont travaillé sans relâche pendant des décennies pour la cause de l’égalité raciale - on dit même qu’il a redonné vie au hashtag #WhiteLivesMatter utilisé par les groupes suprématistes blancs en ligne. Que ce soit ou non l’intention de Kanye, c’est bien la place qu’il lui a donnée. Ses actions relèvent moins de l’art que de la controverse pour le plaisir de la controverse. 

Certains diront peut-être qu’il faut savoir séparer l’homme de l’artiste, mais dans le cas de Kanye, je n’en suis pas si sûre. C’est l’homme - ses pensées, ses actions, sa motivation - qui fait l’artiste avant tout. Chaque parcelle de ce qu’ils sont se retrouve dans leurs créations. Ils en ont profité, récolté tous les bénéfices, laissé une empreinte. 

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Dans le cas de Kanye, l’art souffre. Son énergie est gaspillée. Au lieu de faire de l’art nuancé et d’avoir quelque chose à dire, il ne dit plus les choses que dans l’unique but de choquer.

Et si tout ça n’était qu’une blague, un coup de pub, ou autre, alors c’est tout aussi grave en soi. Pour l’instant, moi, je lâche l’affaire.

Si les anciennes chansons de Kanye ne représentent plus qui il est en tant que personne - « I miss old Kanye » est immortalisé sur Internet - la création de « Ye » est devenue un personnage public à part entière.

Julie Fenwick est sur Twitter et Instagram.

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