FYI.

This story is over 5 years old.

Sport

Rapport explosif de l’agence mondiale anti-dopage : la suspension de la fédération russe d’athlétisme demandée

Des membres de la fédération internationale mais aussi de la fédération russe d’athlétisme sont soupçonnés d’avoir extorqué de l’argent à des athlètes pour qu’il ne soit pas révélé qu’ils se dopaient.
Pierre Longeray
Paris, FR
Image via Flickr / Sylvain FAVRE-FELIX

Ce lundi après-midi, la commission indépendante de l'Agence mondiale antidopage (AMA) a publié un rapport qui révèle un vaste système de corruption qui s'est joué pendant plusieurs années dans les hautes sphères de la fédération internationale d'athlétisme (IAAF). Des membres de l'IAAF, mais aussi de la fédération russe d'athlétisme (l'ARAF), sont soupçonnés d'avoir extorqué de l'argent à des athlètes pour cacher le fait qu'ils étaient dopés ou d'avoir fait disparaître des échantillons pour camoufler des cas de dopage. Le rôle de l'État russe est également mis en question. La suspension de la fédération russe d'athlétisme a été demandée.

Publicité

C'est sur les coups de 15 heures, à Genève, en Suisse, que les trois experts indépendants de la commission de l'AMA ont tenu une conférence de presse explosive, qui a finalement surtout concerné la Russie et non l'IAAF comme cela était attendu. Ceci a été expliqué lors de la conférence de presse : la partie du rapport qui concerne la fédération internationale sera rendue publique plus tard dans l'année, une enquête sur ce pan du dossier étant toujours en cours.

Coté russe, le rapport dénonce un système de dopage qui serait soutenu par l'État russe. Richard « Dick » Pound, avocat et ancien président de l'Agence mondiale antidopage, qui menait cette conférence a appelé à la suspension de la fédération russe d'athlétisme. D'après le rapport, l'État russe est directement intervenu pour intimider et infiltrer un laboratoire moscovite, responsable de tests de dopage. Le rapport révèle que 1 400 échantillons ont été détruits par le laboratoire — probablement pour camoufler le dopage de certains athlètes. Selon Pound, les autorités russes et le ministre des Sports russe étaient forcément au courant de ces agissements.

 Des soupçons sur les Jeux de Londres

« La suspension [de la fédération russe] demandée par l'AMA est quelque chose d'assez inédit, » explique ce lundi à VICE News, Pim Verschuuren, chercheur à l'IRIS spécialiste des questions du sport. « Cela fait penser au scandale de la FIFA, qui lui aussi a éclaté de façon extérieure. Ici aussi l'AMA vient bouleverser et sanctionner l'IAAF de l'extérieur. On a l'impression que c'est toujours un choc externe qui va venir forcer le changement. »

Publicité

Accompagné par Günter Younger, chef du département de cybercriminalité de la police de Bavière, et Richard McLaren, membre du Tribunal arbitral du sport (TAS), Dick Pound a ainsi appelé l'IAAF à suspendre la fédération russe pour les Jeux Olympiques de Rio de 2016. Une demande que l'IAAF dit « étudier ». Les révélations de ce lundi jettent aussi un voile sombre sur les précédentes Olympiades d'été — celles de Londres en 2012 — qui ont été « sabotées » d'après Pound, à cause de « l'inaction » de l'ARAF et de l'IAAF.

Les trois experts appellent aussi à la suspension à vie de 5 athlètes et 5 coachs russes pour s'être dopés ou avoir motivé le dopage de leurs poulains. Pour ce qui est de l'IAAF, Pound a néanmoins précisé que le rapport avait identifié des « failles systémiques » au sein de l'IAAF qui empêche de mettre en place un programme antidopage « efficace ».

L'IAAF dans la tourmente

Au-delà du volet russe, l'IAAF fait donc face à une autre affaire dont le scénario a été avancé jeudi dernier par le magazine en ligne d'investigation Mediapart. Plusieurs médias pensaient qu'il en serait question lors de la conférence de presse d'aujourd'hui. L'IAAF bénéficie finalement d'un petit sursis de la part de l'AMA qui donnera ses conclusions plus tard, mais les arrestations avaient commencé dès la semaine dernière.

Mercredi dernier, l'ancien président de l'IAAF, Lamine Diack (remplacé en août dernier par le Britannique Sebastian Coe) avait été mis en examen par la justice française pour « corruption passive et blanchiment aggravé ». Deux autres membres de la fédération internationale ont aussi été mis en examen mercredi dernier : le Sénégalais Habib Cissé, ex-conseiller juridique de Diack à l'IAAF, et le Français Gabriel Dollé, l'ancien médecin responsable de la lutte antidopage à l'IAAF. Ils sont soupçonnés d'avoir pris part à un système de corruption, faisant chanter les sportifs pour que leurs affaires de dopage soient enterrées.

Publicité

Dans la même journée, le siège de l'IAAF à Monaco avait aussi été perquisitionné par le juge Van Ruymbeke. C'est la justice française qui s'est emparée du dossier brûlant, suite à un signalement de l'AMA parvenu début août 2015 au Parquet national financier (PNF) français. Les sommes extorquées aux athlètes pourraient se situer entre les 500 000 et le million d'euros.

Les origines du scandale remontent à 2011 avec la double nomination d'Habib Cissé et de Papa Massata Diack (le fils de Lamine Diack que l'on surnomme PMD), respectivement en tant que conseiller juridique et conseiller marketing de Lamine Diack, président de l'IAAF depuis 1999. Médiapart explique que les deux hommes récupèrent à l'époque une liste hautement confidentielle éditée par l'IAAF sur laquelle sont inscrits les noms des athlètes suspectés de dopage par la fédération internationale.

À quelques mois des Jeux Olympiques de Londres (été 2012), les deux hommes fournissent la liste à la fédération russe d'athlétisme (ARAF) qui compte plusieurs athlètes suspectés d'être dopés. L'ARAF va alors commettre « l'impensable » comme l'explique le site d'information Mediapart, qui a eu accès une copie du rapport dès jeudi dernier : la fédération russe va faire chanter ses propres athlètes. L'ARAF propose aux athlètes suspectés par l'IAAF de laver leur passeport biologique (document électronique relevant les résultats de contrôles antidopage) leur permettant ainsi de participer aux JO. Mais ce petit coup de pouce à un coût.

Publicité

Entre janvier et juillet 2012, la marathonienne russe Liliya Shobukhova, va alors verser 569 000 euros à l'entraineur russe Alexey Melnikov, qui va servir d'intermédiaire entre les sportifs et l'ARAF, pour éviter qu'on révèle qu'elle est soupçonnée de dopage. Le cas de Shobukhova avait déjà été révélé par la chaine allemande ARD en décembre 2014 — une version que le rapport vient authentifier. 5 autres athlètes russes seraient aussi concernés par des faits similaires. Shobukhova s'était fait rembourser parce qu'elle avait menacé de révéler le pot au rose.

Les révélations de la chaine allemande avaient forcé les protagonistes de cette sombre affaire de corruption au départ. PMD avait démissionné dès décembre 2014, comme Gabriel Dollé. Le président de l'ARAF et trésorier de l'IAAF au moment des faits, Valentin Balakhnichev, avait lui aussi démissionné en février 2015.

ARD avait relancé la polémique en août 2015 en révélant avec le Sunday Times une liste de 12 000 tests sanguins effectués sur 5 000 athlètes entre 2001 et 2012. Selon des experts, 800 athlètes présentaient des données « suspectes ou hautement suspectes ». Les trois experts ont annoncé cet après-midi qu'ils étudiaient ce cas, mais qu'ils ne révéleraient leur résultat qu'au début de l'année prochaine.

« Additionné au scandale actuel de la FIFA, c'est tout le monde du sport qui va être soupçonné de techniques de fraude en tout genre, » nous confie Pim Vershuuren. « À court terme, cela va toucher l'image du sport, mais à long terme on peut espérer un changement de ces organisations. C'est une année zéro pour le sport. Aujourd'hui le grand thème de la gouvernance du sport, c'est la sortie de l'impunité pour les organisations sportives. »

Dans une interview accordée ce dimanche au Sunday Times, Coe a jugé « odieux » que des dirigeants de son sport aient pu « extorquer de l'argent » à des « athlètes coupables de violation des règles antidopage ». Pour Dick Pound, « Coe est l'homme de la situation. »

Coe a annoncé ce dimanche le lancement d'un audit sur les pratiques financières de l'IAAF par des experts indépendants.

Suivez Pierre Longeray sur Twitter : @PLongeray

Image via Flickr / Sylvain FAVRE-FELIX