Société

« Cette confiance que j'avais en la police, ce jour-là, elle a disparu. »

Dans le podcast ​​« De la Madré à la guerrière », Latifa Elmcabeni, cofondatrice du Collectif des Madrés, adresse une lettre à son père pour lui confier une part secrète de leur histoire familiale.
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Brussels, BE
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collectif des Madrés Latifa
Illustration : Elie Bogino

Dans une lettre qu’elle adresse à son père, Latifa Elmcabeni évoque certaines pensées personnelles qu’elle avait gardées jusque-là secrètes. Elle lui parle de leur histoire familiale, mais aussi du jour où elle a perdu confiance en l’institution policière. 

Latifa Elmcabeni milite au sein du Collectif des Madrés qu'elle a fondé avec Julia Galaski. En avril 2021, on avait échangé avec elle sur l’importance de croire en ses enfants victimes de violences policières.

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Ce texte est extrait du podcast De la Madré à la guerrière, co-créé par Latifa Elmcabeni et Maud Girault. Il est à écouter en version intégrale sur Radio Panik.


Un jour en 2018, après un grand repas préparé par des voisines au square Jacques Franck, je rentre chez moi à 21 heures, épuisée. C'était la veille du ramadan, un de tes petits-fils arrive en courant, il est tout stressé, il dit que son frère se fait gifler par la commissaire. Nous on y croit pas trop : pourquoi la commissaire ferait ça ? 

J’envoie leur père et mon beau-frère pour voir ce qui se passe. Je les rejoins et je vois de loin quatre policiers autour d'eux. La commissaire est là et elle est très agressive, elle parle mal, elle lève les mains, elle crie. Mon fils a les joues toutes rouges... je vois qu'elle l'a giflé très fort. Je veux comprendre mais elle nous hurle dessus, elle nous tutoie, elle nous manque de respect, sûrement il y a des insultes en néerlandais, je ne comprends pas bien. On pose des questions et elle nous dit alors en français : "Vous allez voir, vous allez passer un sale ramadan". 

On ne comprend pas pourquoi elle parle du ramadan. On essayait de poser des questions mais elle n'a pas aimé. À un moment, j'ai peur de répliquer car je me dis : "Elle va nous embarquer". Je suis presque sûre que si on était allé plus loin pour répliquer, ou si on était rentré dans sa stratégie de violence, on aurait été embarqué. Elle montrait bien qu'elle avait le pouvoir. On a fait marche arrière direction maison. Je me sentais humiliée. Anéantie. 

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Je n’ai jamais tapé mes enfants, tu ne nous a jamais tapé·es Papa, même quand on était petit·es, tout se passait dans le dialogue et la communication et là... j'étais perdue, je comprenais plus rien. Ça remettait en question tous les principes de notre éducation. Tu te dis que toi, tu n'as jamais violenté tes enfants et puis elle, parce qu'elle est policière, elle a le droit d'agresser et de violenter des enfants. Toi, tu éduques tes enfants sans la violence. Tu veux que tes enfants grandissent dans des principes de dialogue et d'écoute et la policière, elle arrive et paf, elle gifle. Elle casse alors tout ce qu'on a essayé de mettre en place.

Ça a remis en question, Papa, ma vision de la police : est-ce qu'elle faisait ça qu'avec nous ? Est-ce qu’il y avait un fait qui lui permettait d'agir comme ça ? J’ai ressenti qu’elle n'était pas là pour la sécurité de nos enfants. En tout cas, pas pour une partie de la population issue de l'immigration maghrébine et africaine. On n’a pas la même sécurité que quelqu'un qui est d'origine européenne. J'ai constaté que je n'avais plus le même regard : cette confiance que j'avais en la police, ce jour-là, elle a disparu.


Écriture : Latifa Elmcabeni et Maud Girault
Réalisation et montage : Maud Girault
Mise en voix : Sam Darmet
Habillage sonore : Frédéric-Pierre Saget
Musique: Antonin Simon
Mixage : Aurélien Lebourg
Visuel : Elie Bogino

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