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reportage

Avec les petites mains de l’aéroport Paris-Charles-de-Gaulle

Sans ses agents d’escale commerciaux, bagagistes et autres techniciens, l’aéroport de Roissy ne pourrait pas fonctionner.
Toutes les photos sont de l’auteure.

Tous les jours, l'aéroport Paris-Charles de Gaulle voit passer plus d'une centaine de milliers de voyageurs – en 2015, plus de 65 millions de personnes y ont transité, ce qui en fait l'un des aéroports les plus fréquentés au monde. Et si ces passagers font le plus souvent affaire aux agents de sécurité, aux hôtes d'accueil, aux stewards et hôtesses de l'air, ces personnes sont loin d'être les seules à participer à la vie de l'aéroport. Sur la plateforme aéroportuaire de Roissy-Charles-de-Gaulle étendue sur 3 257 hectares, 90 000 travailleurs encadrent le transit des voyageurs au quotidien – qu'ils soient techniciens, agents d'escale, bagagistes ou restaurateurs.

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Rencontré au Terminal 3, Laurent est salarié chez Alyzia, une société d'assistance. Il se décrit comme étant un saisonnier de Roissy : à la belle saison, il travaille en tant qu'agent d'escale commercial ; l'hiver, il réalise le dégivrage des avions. Tout va très vite. Les salles d'enregistrement se remplissent et se vident aussitôt. « C'est une ville dans la ville ». Avec ses trois terminaux et un quatrième en construction, Roissy est l'un des plus grands aéroports d'Europe. « Quand tout est fermé, c'est ici que les VIP et les footballers prennent l'avion », explique Laurent. Le Terminal 3 de Roissy est en effet la seule piste de France ouverte 24h sur 24. Le développement des vols charter a par ailleurs encouragé cette distorsion des horaires. « Ces compagnies low cost paient moins cher l'heure de stationnement, surtout la nuit. Ces vols sont programmés entre 2 et 3 heures du matin. Or, il faut du staff à ces heures-là ! »

Laurent enregistre les bagages des voyageurs. Laurent monte dans la navette automatique. Direction le Terminal 1, aussi surnommé « le Camembert ». Une fois sur place, Laurent passe son badge et pénètre la zone réservée au personnel de l'aéroport. Dans la salle de matériel s'amoncellent des cartes d'embarquement vierges, des étiquettes pour les bagages à main, des «  étiquettes-tag » pour les valises en soute. On y croise Odette, Géraldine et Kader, ses homologues, les bras remplis de fournitures. Tous s'apprêtent à faire « la mise en place de leur checking ». Dans quelques minutes, ils se dirigeront vers les comptoirs d'enregistrement pour vérifier l'identité des passagers et enregistrer leurs bagages, avant l'embarquement. Ils sont parfois aussi amenés à accompagner des passagers particuliers et à passer des annonces sonores. L'équipe semble très soudée. Autour d'un café, une autre collègue de Laurent raconte : « Ici, il se passe plein de choses. C'est Koh Lanta et Secret Story à la fois. C'est même une telenovela. On rattrape entre nous les épisodes sur WhatsApp ». Travailler dans un aéroport qui fonctionne en continu, avec des équipes différentes et des horaires décalés, semble effectivement favoriser les commérages.

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Le gigantesque aéroport s'étale sur trois départements : la Seine-Saint-Denis, le Val d'Oise et la Seine-et-Marne. D'un terminal à un autre, les travailleurs de Roissy parcourent de nombreux kilomètres sur une journée. C'est sans compter le temps de trajet pour rejoindre l'aéroport. Dépassant la Défense en termes de nombre d'emplois, Roissy attire des travailleurs de toute l'Île-de-France. Si certains vivent dans les territoires qui jouxtent le site, d'autres viennent parfois de Picardie ou encore d'Essonne.

Il est 15 heures au Terminal 1. Lina, manager à la sandwicherie Paul depuis six ans, prend sa pause et va griller une cigarette au fumoir. Au-dessus d'elle, dans des tubes en verre, les escalators transportent les voyageurs jusqu'aux salles d'embarquement. La discussion est interrompue par une annonce émanant de la voix-off. Certains jours, il lui arrive de commencer son service à 4h45, alors qu'elle vit dans l'Oise, à 45 minutes en voiture de l'aéroport. Elle n'est pourtant pas la seule à se plier à ce rythme de vie. Dans son village vivent en effet deux de ses collègues.

Non loin du Terminal 3, le plus grand Ibis du monde accueille personnel de bord, voyageurs en transit et congressistes de Villepinte. Benjamin y travaille en alternance en tant que manager. Ce qu'il aime dans ce job ? « L'imprévisibilité. Aucune journée ne se ressemble ». Les aléas du trafic aérien le conduisent parfois à gérer un afflux important de clients. Il vit actuellement à Boulogne-Billancourt et espère bientôt pouvoir déménager dans le foyer de jeunes travailleurs de Roissy-en-France pour réduire son temps de trajet.

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« En 2017, ça fera 17 ans que je travaille ici ». Laurent a commencé par un contrat emploi solidarité, puis par un contrat de qualification à la RATP afin d'obtenir son permis bus. « J'ai voulu voir autre chose. Je n'habitais pas loin de Roissy, alors je suis allé chercher sur la plateforme. » Chauffeur de navette sur piste, bagagiste, agent d'embarquement pour Lufthansa, agent de passage, agent d'escale commercial, technicien en dégivrage, Laurent a presque tout fait à Roissy. Il s'est même récemment inscrit à une formation déneigement.

Dans le hall du Terminal 2F, Marie vérifie les cartes d'embarquement des voyageurs Sky Priority d'Air France, avant qu'ils ne passent le sas de sécurité. Dernièrement, elle a d'ailleurs croisé quelques célébrités, comme Teddy Riner et un prince de Rome. Agente d'accueil pour City One, elle souhaiterait devenir agente d'escale pour la France. « J'ai déjà fait la formation pour être agente d'escale mais je dois améliorer mon anglais. Ce job, ça rajoute une expérience dans le CV. J'espère être bilingue d'ici un an ».

Difficile toutefois de faire carrière car aujourd'hui, Roissy fonctionne avec beaucoup de contrats précaires. « Ils prennent quelqu'un en CDD, puis ils le mettent en carence, puis à nouveau en CDD », raconte Laurent. « La loi permet 10 % d'intérimaires alors qu'en réalité, ils en embauchent 60 %. Roissy a une grande maladie », ajoute Kader, son collègue leader de vol.

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Dans le CDGval, Abdelaziz est vêtu d'un blouson portant le logo de son employeur, Samsie Assistance. Habitant Aulnay-sous-Bois, il vient de déposer sa voiture au parking relais et s'apprête à commencer son service. Sur Roissy depuis 10 ans, il s'occupe des bagages en transit. « J'aime quand je livre à l'heure. Je suis heureux ! Je pense à moi-même quand je suis en voyage. J'ai envie d'avoir mon bagage à l'heure. Je pense aussi aux personnes qui ont besoin de récupérer des médicaments, les couches de leur enfant, etc. »

Chef d'équipe, il organise la livraison des bagages après le coup de fil de chaque compagnie aérienne. Certains bagagistes récupèrent et chargent les valises tandis que d'autres livrent. Quand il y a un litige, tout est envoyé à la « Mini-bulle ». C'est là que l'on traite les bagages perdus dans une correspondance et que l'on change les étiquettes pour le lendemain. Son travail est aussi particulièrement physique : « Les bagages sont lourds et il faut se pencher sur les jetées et les carrousels. Beaucoup de collègues sont en arrêt maladie à cause de problèmes au dos. C'est un travail pénible, mais c'est un travail ! ». Au bout du terminal 2A, Abdelaziz s'engouffre dans l'escalier qui descend vers la zone réservée au personnel travaillant sur le tarmac : « Là-bas, c'est un autre monde ».

Sur Roissy, aucun travailleur ne peut exercer sans badge. De ce fait, les emplois aéroportuaires reposent sur un équilibre fragile. À la moindre incartade, on peut mettre à exécution la menace du retrait de badge. C'est notamment le cas pour les détenteurs du permis T, indispensable pour conduire sur piste. « Des gendarmes surveillent les pistes. Si l'on fait des erreurs, on nous retire des points et on a des amendes. On risque de perdre notre badge et donc notre job. C'est très strict maintenant ! » livre Abdelaziz.

« Après les attentats du World Trade Center, il y a eu un crash financier sur les activités aéroportuaires » rappelle Laurent. « Je suis passé en intérim, puis j'ai été viré. » À cela s'est ajouté le durcissement des conditions d'obtention du badge. « À l'époque, la sûreté était le seul domaine où l'on embauchait. Je suis donc devenu agent de sûreté » se souvient Laurent. Du fait du désaveu de certaines destinations du Maghreb, la situation a en fin de compte assez peu changé.

Tout le monde s'accorde à dire que voyager constitue une expérience magnifique. Mais il n'est pas toujours évident de rester alors que tout le monde part. « Avant, on avait des réductions avec Air France. J'ai fait beaucoup de voyages depuis que je travaille dans ce domaine ». Laurent en a effectivement profité pour visiter le Mexique, New York, l'île Maurice, la Guadeloupe, le Sénégal, la Jamaïque, la Tunisie. Il n'a pas perdu son goût pour le voyage et espère découvrir prochainement le Costa Rica ou le Panama. Quant à Lina, elle prévoit de partir en Pologne avec un départ depuis Beauvais afin de bénéficier des tarifs compétitifs de Ryanair.

Au départ de la station Aéroport Charles-de-Gaulle 1 du RER B, deux types de trains attendent à quai. D'un côté, les directs pour Paris, de l'autre, les omnibus desservant les villes de la banlieue nord. C'est ici que les chemins des voyageurs et des travailleurs de Roissy se séparent.