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Etats-Unis

La contestation des détenus s'étend aux surveillants dans une prison d'Alabama

Au centre pénitencier William C. Holman d’Atmore, où des prisonniers ont lancé une grève le 9 septembre, de nombreux officiers pénitentiaires ont arrêté de venir travailler.
La prison Holman dans l'Alabama

Apparemment les détenus ne sont plus les seuls à réclamer du changement dans le système carcéral de l'État de l'Alabama aux États-Unis.

Au centre pénitencier William C. Holman d'Atmore, où des prisonniers ont lancé une grève le 9 septembre, des officiers pénitentiaires ont arrêté de venir au travail. Parfois, ils sont tellement peu nombreux qu'on dirait qu'ils mènent une grève de leur côté.

Samedi dernier, seulement deux officiers se sont présentés à la prison Holman, un pénitencier de sécurité maximale, surnommé par ses détenus et employés : L'Abattoir. En temps normal, l'établissement pénitentiaire compte 16 officiers, nous explique un porte-parole de la prison.

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Les soutiens des officiers estiment qu'il s'agit d'une grève, alors qu'un ancien agent pénitentiaire de la prison préfère le terme de manifestation. « Vous savez, grève est un mort fort, » explique Timothy Curt Stidham, un ex-agent pénitentiaire de l'Abattoir. « Ce qu'ils font est plus une manifestation pacifique. »

Les détenus et les agents pénitentiaires partagent les mêmes inquiétudes : la surpopulation carcérale, le manque de surveillants, des conditions d'hygiène déplorables, un salaire dérisoire et un environnement de travail dangereux.

Le pasteur Kenneth Glasgow du Free Alabama Movement, un groupe de soutien des détenus, explique à VICE News que les surveillants sont plus dans l'esprit d'une manifestation qu'une grève pour le moment, et qu'ils essayent de faire passer un message clair. « Ils disent qu'ils ne font pas grève avec les détenus, mais qu'ils sont d'accord avec eux sur le fait que l'administration crée un environnement de travail hostile qui met tout le monde en danger, » précise Glasgow.

L'Incarcerated Workers Organizing Committee, un autre groupe de soutien des détenus, estime aussi que l'absence des surveillants à la prison Holman est plus le signe d'une manifestation que d'une grève.

The guards are refusing to work. THE GUARDS. ARE. REFUSING. TO. WORK. AT. HOLMAN.

— IWW_IWOC (@IWW_IWOC)September 26, 2016

Les surveillants refusent de travailler. LES SURVEILLANTS. REFUSENT. DE. TRAVAILLER. À. HOLMAN.

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Contactées par VICE News, les autorités pénitentiaires refusent d'admettre qu'une quelconque protestation a cours dans la prison. Robert Horton, le porte-parole du Département en charge des pénitenciers dans l'Alabama, estime qu'il s'agit d'une histoire créée de toutes pièces par les groupes de soutiens des détenus.

« S'il y avait une grève des surveillants, on aurait envoyé un communiqué de presse, » dit Horton. Le média local AL.com indique qu'Horton a confirmé que plusieurs surveillants ne venaient pas au travail, mais a refusé de parler de grève.

Mais le gouverneur de l'Alabama, Robert Bentley, a reconnu que les conditions de vie à la prison Holman étaient dangereuses pour les surveillants. « Le système carcéral de l'Alabama est au bord du gouffre, » a déclaré Bentley dans un communiqué. Le gouverneur avait visité la prison Holman en mars dernier après une émeute pendant laquelle un surveillant et un agent pénitentiaire ont été poignardés. « La surpopulation associée au manque de personnel a créé un environnement qui est dangereux, à la fois pour les détenus et les agents pénitentiaires qui servent notre État. »

Cette manifestation des surveillants survient alors que le Département de la Justice a commandité une enquête sur les prisons de l'Alabama, suite à de possibles violences et agressions sexuelles menées par des détenus et des surveillants. Cette investigation rappelle une autre enquête menée en 2014 dans les prisons pour femmes de l'Alabama, pour les mêmes faits.

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Stidham, un des lieutenants pénitentiaires d'Holman, fait partie de la dizaine de surveillants qui ont quitté la prison après les émeutes de mars. Selon lui, la colère des officiers est montée d'un cran depuis un peu plus d'un mois, après la mort d'un de leur collègue.

Le 1er septembre, le surveillant Kenneth Bettis, un vétéran décoré qui a servi en Irak, baignait dans une mare de sang au milieu du réfectoire d'Holman après s'être fait poignarder par un détenu, d'après le Huntsville Times. Deux semaines plus tard, Bettis a succombé à ses blessures et est mort dans son lit d'hôpital à Mobile, dans le sud de l'Alabama.

« Les mesures nécessaires n'ont pas été prises le jour où Bettis a été poignardé, et ne sont toujours pas prises aujourd'hui, » comme fouiller les détenus à la recherche de couteaux, ou d'autres armes, explique Stidham. « Les gens commencent à réaliser la dangerosité de ce travail… Ces types sont effrayés. »

« On a assisté à l'assassinat d'un collègue, mais on ne peut pas fouiller nous-mêmes les détenus, et on n'est pas assez nombreux, » ajoute l'ancien surveillant. « Vous savez, il y a entre 50 et 100 couteaux par dortoir. »

Stidham explique aussi qu'ils n'ont pas assez de menottes ou de gaz poivré, et que les surveillants n'ont pas non plus de talkies-walkies ou de vestes de protection contre les coups de lame.

Les autorités pénitentiaires ne peuvent pas se permettre de renvoyer les surveillants de la prison Holman, explique Stidham, parce qu'il y a trop peu de candidats qui souhaiteraient les remplacer. Stidham, comme beaucoup de ses collègues, a pris un « congé pour cause de stress ». Il assure que les autorités ont menacé de virer les surveillants s'ils ne revenaient pas au travail avec les bons papiers excusant leur vacance. Les employés de la prison Holman ont généralement peur de s'exprimer dans la presse, selon Stidham, parce qu'ils ont peur des représailles — comme perdre leur retraite.

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L'Alabama Correctionnel Organization, le syndicat des personnels pénitentiaires de l'État, a refusé de répondre à nos questions pour cet article.

La chaîne de télévision WKRG, basée à Mobile, s'est procurée une lettre de 4 pages rédigée par les surveillants d'Holman, dans laquelle ils détaillent les manquements qui ont conduit à la mort de Bettis.

Dans la lettre, les agents pénitentiaires indiquent qu'il n'y avait pas d'administrateur dans la prison quand Bettis a été poignardé, et citent d'autres épisodes où ils étaient sous-staffés. Le 17 septembre dernier, par exemple, il y avait 19 agents pour surveiller 944 détenus.

Ils précisent aussi que deux véhicules et six miradors qui sont censés aider à la surveillance de la prison sont souvent vides.

La surpopulation carcérale et le manque de surveillants est un problème qui a cours dans d'autres prisons de l'Alabama. Les prisons de l'État sont remplies à 178 pour cent et la pénurie de surveillants est telle qu'en 2013 l'État a déboursé 20,8 millions de dollars en heures supplémentaires (contre 13 millions en moyenne sur les quatre années précédentes).

En juillet dernier, la prison Holman était remplie à 150 pour cent, accueillant 221 détenus de trop. Holman avait seulement 71 surveillants sous contrat, soit 43 pour cent de moins que le maximum légal que les prisons de l'État peuvent employer (166 surveillants).

Cela signifie que chaque agent pénitentiaire était responsable de 11 détenus — comparé à la moyenne nationale qui est de 6 détenus par surveillant, d'après l'Association of State Correctional Administrators.

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Depuis 1977, la population carcérale de l'Alabama a augmenté de 840 pour cent. Aujourd'hui l'État a le troisième taux d'incarcération le plus élevé du pays, d'après des données de 2014. Si ces taux baissent au niveau national, l'Alabama et la Louisiane sont les seuls États à afficher des « taux d'incarcération au-dessus de la moyenne », d'après le Prison Policy Initiative Report.

« Avec le temps, le nombre de détenus a augmenté mais le budget alloué a eu du mal à suivre le rythme, » déclarait le gouverneur Bentley en 2014.

Plus tôt cette année, la législature de l'Alabama a rejeté une réforme du système pénitentiaire qui devait régler le problème de la surpopulation carcérale. L'objectif de la loi était d'emprunter 800 millions de dollars pour construire quatre « méga-prisons ». « Cette loi va permettre de réduire la surpopulation et permettra aux surveillants de travailler dans de meilleures conditions, » avait déclaré Bentley. En août, après l'échec de la loi, le gouverneur a dit que les législateurs devraient plancher sur une version révisée de la loi au cours de l'année prochaine, d'après le Times Daily.

Stidham et des membres du Free Alabama Movement rejettent la proposition de loi de Bentley. Des prisonniers détenus à Holman avaient confié à WHNT, une chaîne de télévision d'Huntsville, qu'ils espéraient que l'échec de la loi obligerait le gouvernement fédéral à intervenir pour soutenir des réformes visant à faire baisser le taux d'incarcération de l'État.


Antonia Hylton, Sara Jerving et Alyse Shorland ont participé à la rédaction de cet article.

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