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Culture

Ne dites pas à 47Soul et De.Ville qu’ils font de la musique politique

Comment réussir à naviguer entre racines musicales et sonorités actuelles selon les groupes 47Soul et De.Ville.

47Soul est un quatuor formé de la collaboration entre des MC, poètes et producteurs en provenance de la Palestine, de la Jordanie, du Liban et de la Syrie. Que ce soit à New York, à San Francisco ou à Los Angeles, le groupe ne cesse de jouer à guichets fermés dans les villes de leur tournée nord-américaine. 47soul a récemment participé à un spectacle présenté par POP Montréal avec le groupe montréalais De.Ville, qui apporte sa propre saveur hybride mélangeant funk, trap, jazz et raï.

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VICE s’est entretenu avec Tareq (de 47Soul) et Ziad (de De.Ville) pour prendre le pouls d’une scène musicale en pleine expansion et comprendre l’évolution des sonorités électroniques au Moyen-Orient et en Afrique du Nord.

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47Soul

L’aspect musical qui réunit le plus les deux groupes est manifestement l’effet de leurs chansons sur la foule de l’Occident à l’Orient. L’ambiance de la salle bondée à Montréal ne laissait aucun doute. Tareq, membre du groupe 47Soul, nous avoue qu’à la fin des spectacles, il y a toujours plusieurs personnes qui ne connaissaient pas leur musique qui leur posent des questions sur leur son et la situation à Gaza. « La musique est l’outil le plus rassembleur, une foule en délire garde une impression indélébile de notre culture et de notre situation. »

La démarche musicale de 47Soul est unique. Son style, que les membres ont baptisé shamstep, est un mélange de grooves palestiniens de la debka joués avec instruments électroniques, attire les foules et permet à leur message libérateur sur la défense des droits du peuple palestinien de toucher un large public.

« Les claviers et gammes mélodiques que nous utilisons reproduisent les sons du mijwiz et d’autres instruments arabes de façon organique. Ce n’est pas vraiment dans un but de préservation culturelle, c’est juste dope comme bruit », explique Tareq, en entrevue téléphonique avec VICE.

D’après lui, le son de 47Soul est plutôt dans la lignée des soundsystems palestiniens traditionnels où, traditionnellement, un ou une vocaliste chantait sur des beats de drum machine et de synthétiseur. « La musique électronique est partie intégrante du folklore palestinien depuis presque 40 ans! »

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Malgré l’omniprésence des tensions politiques dans la région où ils ont commencé leur carrière, le groupe ne veut pas être confiné dans une catégorie de musique militante. « On ne pense pas faire de la musique politique. On fait part de notre réalité et on a beaucoup à dire sur une région qui est divisée sur des fausses lignes politiques et frontières coloniales, souligne Tareq. Si on voulait vraiment faire de l’activisme, on aurait encore plus à faire. Pour nous, le shamstep, c’est plus une question de rassembler les sons malgré les divisions. »

Pour l’artiste, mêler les styles, c’est dans la composition culturelle même du Moyen-Orient. « Les différentes régions du Moyen-Orient ont tellement de mixité au niveau culturel, linguistique et religieux que c’est normal que les styles musicaux se mélangent aussi. »

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Il croit que les langues jouent un rôle clé pour rejoindre le public occidental et que le rap à son tour influence leur musique. « On chante en arabe et en anglais, donc, du coup, les foules occidentales s’identifient plus à notre musique. D’un autre côté, quand on fait vibrer une foule en Palestine, on le fait aussi à l’aide de références trap qui résonnent plus à Atlanta qu’à Gaza. » D’après lui, la montée du trap marocain s’explique aussi sur le plan des sonorités. « Les drums arabiques résonnent au même diapason que le trap, et les vibes instrumentales d’un instrument comme le riq dans la musique tarab sont très similaires. Ça fait longtemps que le rap évolue en Afrique du Nord, mais le trap get du love dans le Bilad el-Sham maintenant! »

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En ce qui concerne de futures collaborations, Tareq précise qu’« on ne peut pas encore en parler de façon officielle. Mais 47Soul est un collectif, dit-il, et on voulait collaborer ensemble avant de travailler avec d’autres artistes. Toutefois, le monde s’ouvre à nous maintenant, et les featurings qui s’en viennent vont être époustouflants! »

De.ville aussi

De.Ville, c’est le duo formé du multi-instrumentiste et réalisateur Simon Pierre et du chanteur Ziad Qoulaii. En entrevue, ce dernier nous explique que durant son adolescence à Rabat*, il était très conscient que ses ambitions artistiques, en musique et en cinéma, le mèneraient un jour en Amérique du Nord. « J’avais déjà le regard tourné vers l’ouest, je voyais l’océan et je savais que je voulais le traverser. »

C’est en arrivant au Québec qu’il s’est imbibé du style montréalais, en participant à plein de jams et de collectifs artistiques. « Quand j’ai rencontré Simon et qu’on a lancé De.Ville, c’était un classique de Montréal. On enregistre dans un sous-sol, tu invites ton ami trompettiste, on fait une collaboration avec JahMaaz, un rappeur de La F, et voilà! »

Après avoir connu un franc succès avec le premier EP de De.Ville, Ziad est retourné au Maroc et s’est vite rendu compte de l’évolution de la scène. « Les gars comme Shayfeen sont rendus à un autre niveau. Ils sont vraiment au courant de comment la scène évolue aux States et ils ont suivi le blueprint en quelque sorte. »

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Le groupe se crée aussi un solide following local et est heureux de briser les moules en s’émancipant de la catégorie « musique du monde ». Pour Ziad, c’est important de « connecter directement aux fans, de se faire entendre dans le Maghreb et dans le monde. »

Les mélodies et acrobaties vocales contenues dans le raï (style vocal d’Afrique du Nord) se prêtent à merveille autant aux beats du rap qu’aux basslines du funk. « En grandissant avec un père hippy, j’écoutais de tous les styles musicaux et je suis resté fasciné par les sons qui m’entouraient, dit Ziad. Lorsque j’entendais les chants soufis par les haut-parleurs dans la rue, je mélangeais les chants avec la musique des vinyles de mon père. »

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Photo par Julien Laperrière

L’évolution de la musique électronique, plus précisément du trap, dans son Maroc natal s’explique simplement par l’hybridité du dialecte local. « C’est un mélange d’italien, d’arabe, de berbère et d’espagnol, décrit l’artiste. Quand tu vois la scène trap en Italie ou en Amérique latine, c’est clair que ça allait exploser à Casablanca. »

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Depuis, leur EP Sables fait des vagues au Moyen-Orient. En plus d'être sur la radar du collectif rap marocain Naar, le groupe travaille avec Scene Noise, un média musical égyptien, et sortira bientôt un single inspiré par le cinéma du Caire sur cette plateforme.

Loin des raccourcis culturels faciles, le shamstep et le trap marocain sont beaucoup plus que de la musique occidentale à la sauce moyen-orientale. Le parcours et l’œuvre de 47Soul et de De.Ville prouve que l’impulsion créative personnelle a une portée globale et que la musique demeure indéniablement un produit de son environnement.

Antoine-Samuel Mauffette Alava est sur internet ici et .

* Mise à jour: une version précédente de ce texte indiquait que Ziad a passé son adolescence à Casa. Il s'agit de la ville de Rabat.