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reportage

Le centre commercial libanais devenu un camp de réfugiés syriens

Environ 1 000 réfugiés – sunnites pour la plupart et originaires des provinces de Hama et d’Idlib – vivent actuellement dans un ancien centre commercial niché dans le petit village de Deddeh, au nord de Tripoli.

La cour de cet ancien centre commercial de Tripoli, Liban, est devenue le refuge de quelque 1 000 réfugiés syriens.

Dans la cour centrale d'un centre commercial abandonné du nord-Liban, Hamad pince affectueusement la joue d'une de ses sœurs. Elle feint brièvement le dégoût avant de lui faire un bisou sur la joue, de tourner les talons et s'enfuir dans l'une des nombreuses boutiques désaffectées transformées en foyers d’accueil pour les Syriens ayant fui le conflit de leur pays d’origine.

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Environ 1 000 réfugiés – sunnites pour la plupart et originaires des provinces de Hama et d’Idlib – vivent actuellement dans un ancien centre commercial niché dans le petit village de Deddeh, au nord de Tripoli. La plupart des habitants professent leur soutien à l'opposition syrienne, tandis qu’un certain nombre affiche sa sympathie envers le régime Assad. Enfin, d’autres encore s’en foutent, plus soucieux de s'occuper de leurs familles que du marasme géopolitique syrien.

« La plupart des enfants ici ne sont pas inscrits à l'école », me dit Hamad, un garçon de 17 ans qui a fui Alep il y a deux mois. « Certains vont à la mosquée du coin quelques heures chaque jour et y apprennent à lire et à écrire. Mais le reste du temps, ils ne font rien. Ils essaient juste de s'amuser. »

Les antennes paraboliques mal accrochées aux murs du centre commercial font partie de ces possibilités d'amusement, bien que les chiffres émanant des journaux télévisés sur le nombre de morts en Syrie ne soient pas l’idéal pour détendre l'atmosphère. Pendant que les enfants se courent après et jouent avec tout ce qu'ils peuvent trouver, un groupe d'hommes reste assis sur des chaises en plastique, bavardant en buvant du thé et en clopant des cigarettes bas de gamme.

« Souvent, les adultes se trouvent dans la même position que leurs gosses, dit Hamad. Dieu sait s’il peut être difficile de s’amuser quand il n'y a pas de travail et que vous n'avez pas d'argent. Parfois, cet endroit ressemble à une prison. »

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Le travail, comme les possibilités de faire des études, est presque inexistant ici, ce qui est plutôt relou lorsqu’on doit payer les quelques 180 euros de loyer mensuel – un chiffre extraordinairement élevé compte tenu à la fois des conditions de vie minables et du fait qu'il soit possible de trouver des chambres pour un prix similaire dans d’autres quartiers de Beyrouth.

Hamad en train de porter une jeune résidente de l’ancien centre commercial.

Hamad devait à l’origine terminer son cursus scolaire cette année. Mais il y a quatre mois, son père a été tué par un éclat d'obus lors d’une explosion de mortier à Alep. L'aîné des quatre enfants est aujourd’hui devenu le principal soutien de la famille ; il bosse dans une carrière à proximité et gagne entre 12 et 15 euros par jour. Mais, selon lui, le travail est loin d'être garanti, et joindre les deux bouts est de plus en plus infernal.

« Il y a tellement de Syriens ici au Liban, que maintenant une grande majorité de Libanais leur offrent six euros par jour pour le moindre travail manuel », explique Yasser El-Hassan, Syrien originaire de la ville de Mehardeh, dans la province de Homs. Lui et sa grande famille de 12 enfants ont vécu dans une chambre spartiate au rez-de-chaussée du complexe 18 mois durant. « Les patrons s’en foutent que vous refusiez ; ils savent qu’un autre dira oui. »

Yasser El-Hasan avec ses deux enfants.

Tandis que Yasser parle, une petite fille sort de la chambre adjacente. Il prend dans ses bras sa fille de 7 ans, dont la bouche est couverte de cloques, et la fait s'assoir à côté de lui sur sa moto Yamaha défoncée. Comme beaucoup d’enfants dans le complexe, elle souffre d’une une infection de la peau appelée leishmaniose cutanée, ou « furoncle d’Alep », transmise par des piqûres de phlébotomes ayant muté en graves lésions cutanées. Bien que les ONG se soient implantées dans le centre commercial, Yasser soutient qu'il a du mal à payer à la fois le loyer et un traitement approprié pour sa fille.

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« Avant la guerre civile, il y avait de l’oppression et de l'injustice certes, mais nous étions heureux. Nous n'étions pas riches, mais nous avions des boulots – on s’en sortait. Aujourd’hui, je ne peux même pas subvenir aux besoins médicaux de mes enfants. »

Les résidents affirment que les aides sanitaires élémentaires sont insuffisantes, et dans un environnement soumis de part en part à l'anxiété et la tension, il est commun de voir les engueulades dégénérer en bastons. Le plus souvent, ce sont les habitants eux-mêmes qui rétablissent le calme, bien que les services de police locaux soient appelés à l'occasion.

Les prévisions affirmant que le Liban s’apprête à vivre son hivers le plus froid depuis un siècle sont un nouveau sujet d'inquiétude pour les habitants du complexe, surtout depuis que des fissures se sont mises à apparaître dans les murs et plafonds à cause de l'humidité. Ici il n'y a pas de chauffage central et aucun système d'égout pour accommoder les plusieurs centaines de réfugiés.

Cela dit, de nombreux Syriens au Liban vivent dans des conditions encore pires. Selon le Haut-Commissariat aux Réfugiés de l'ONU (HCR), il y aurait 780 000 réfugiés syriens vivant au Liban, bien que le gouvernement libanais avance un chiffre de près de 1,3 million, en tenant compte la présence de réfugiés non-répertoriés auprès du HCR. Si l'estimation du gouvernement est juste, les réfugiés syriens représenteraient désormais plus d'un quart de la population totale du Liban.

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L’intérieur d’une des chambres de l’ancien centre commercial

Le Liban a été victime de nombreux dommages collatéraux du conflit syrien, et il y a deux semaines, le Premier ministre Najib Mikati a annoncé son plan d'enquête sur le statut juridique des réfugiés non-enregistrés, en disant que cela aiderait à « protéger le Liban de dangers imminents causé par le flux continu de nouveaux arrivants dans le pays. »

L’animosité envers les Syriens au Liban est cependant bien antérieure à la guerre civile. Elle a pris ses racines dans l'occupation militaire du pays par le parti syrien Baas, laquelle a duré 29 ans, d’abord sous le règne d’Hafez al-Assad puis de son fils Bachar. Même autour de Tripoli, où une forme de soutien à l'opposition syrienne s’est peu à peu affirmée, cette animosité envers l’arrivant syrien demeure puissante. Parfois, elle mute même en haine.

Miriam Khalil, habitante du complexe

« Nous, les civils, n'avons rien à voir avec l'occupation syrienne. C'était l'armée et les services de sécurité qui se chargeaient de ça », dit Miriam Khalil, veuve et mère de quatre enfants. Elle survit aujourd’hui grâce aux revenus dérisoires de son frère, vendeur de fruits et légumes.

« Bien que la Syrie et le Liban soient des états frères, entre nous, il y a cette faille », dit Miriam, en secouant la tête. « Souvent, nous sommes traités comme si nous étions l'ennemi, mais nous avons l'habitude de lutter. Nous pouvons y faire face –nous avons dû nous adapter. »

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Hamad m'a dit que lorsque les résidents du complexe dorment, des Libanais du coin se regroupent devant le centre commercial pour y tirer des coups de fusil en l'air. Pour sa part, Miriam se plaint d'avoir été agressée verbalement lors des visites au siège local du HCR à Tripoli ; elle affirme que d'autres Syriens se sont également fait dérober de force leurs coupons alimentaires.

« Parfois, nous sommes traités comme des chiens, dit-elle. Nous nous sommes fait voler notre dignité. »

Yusra El-Ghajjar (à droite).

Ceux qui n’ont plus les moyens de payer le loyer ne reçoivent aucune sympathie de la part du propriétaire du centre, selon Yousra El-Ghajjar, une cinquantenaire originaire de la province d'Idlib. « Quand vous ne pouvez plus payer le loyer, ils vous mettent dehors », dit-elle, en épluchant des poivrons. Elle partage une chambre avec sept autres membres de sa famille. « Ils s’en foutent que vous soyez obligés de dormir à même le sol.

Hamoudi dans l’une des chambres de l’ancien centre commercial

Dans la chambre, Hamoudi, le neveu de Yousra, deux ans, dort sur un matelas posé en vrac. Yousra explique que son père a été tué l’an passé dans un bombardement aérien à Idlib. Il est l'une des 100 000 – voire plus (tout dépend de la source à qui vous faites confiance) – personnes ayant perdu la vie au cours des deux ans et demi de conflit syrien.

Aussi, aucun signe ne suggère que la guerre puisse s'atténuer dans un avenir proche. C’est pourquoi les habitants de l'ancien centre commercial – ainsi que les nombreux autres Syriens réfugiés au Liban – semblent n’avoir en ligne de mire qu’une perspective d’amélioration extrêmement minime. Et ce, dans un pays de plus en plus hostile à leur égard.

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