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Les États-Unis ne sont plus sécuritaires pour les réfugiés, estime un avocat en immigration

Alors que le Canada continue d’accueillir un nombre grandissant de demandeurs d’asile en provenance des États-Unis, des experts demandent la suspension de l’entente qui proclame son voisin du sud comme un endroit sécuritaire pour les réfugiés.
Image: Ryan Remiorz/PC

Hier, Montréal a transformé son emblématique stade olympique en refuge temporaire d'urgence pour les centaines de réfugiés qui ont traversé la frontière au courant des derniers jours. Pour la seule journée de mercredi, près de 500 demandeurs d'asile ont franchi le passage maintenant connu de Roxham road à Lacolle, fuyant apparemment les politiques migratoires de plus en plus draconiennes du président Donald Trump.

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Mais l'Entente sur les pays tiers sûrs, qui empêche les immigrants ayant revendiqué l'asile aux États-Unis de le faire ensuite au Canada, complique leur entrée au pays. Cette entente est fondée sur la prémisse que les États-Unis sont un pays sécuritaire pour les réfugiés, ce qui n'est plus le cas, selon des experts en immigration et des chercheurs de Harvard. Ils sont nombreux à demander au premier ministre Justin Trudeau de se retirer de ce traité, un geste qui pourrait avoir des répercussions diplomatiques importantes.

Nous avons discuté avec l'avocat en droit de l'immigration Stéphane Handfield pour faire le point sur la situation.


VICE : Pouvez-vous nous donner un petit résumé de ce qui se passe ce moment?

Stéphane Handfield : On est appelés à gérer une arrivée assez massive au cours des dernières semaines, de réfugiés haïtiens qui quittent les États-Unis pour se présenter à la frontière canadienne.

On peut rentrer dans les raisons qui motivent ces gens-là à fuir les États-Unis, les déclarations inquiétantes du président Trump à l'effet qu'il allait mettre fin au programme de résidence temporaire qui avait été instauré au lendemain du séisme de janvier 2010 par le président Obama. Ce programme permet aux citoyens haïtiens d'avoir un statut temporaire aux États-Unis pour pouvoir travailler tout en attendant les résultats de leurs demandes d'asile.

Avec cette annonce, les gens craignent évidemment d'être arrêtés et expulsés en Haïti, donc ils n'ont pas d'autre alternative que de se tourner vers le Canada.

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On estime qu'il y aurait environ 58 000 Haïtiens qui seraient dans cette situation présentement aux États-Unis.

Vous pensez que la majorité des personnes qui traversent le font à cause des politiques de Trump?

C'est clair. Au cours des dernières journées, les gens qui quittent sont les Haïtiens qui craignent d'être arrêtés ou expulsés à cause des politiques de Trump. Je peux même vous dire que certains clients nous ont confirmé que des membres de leurs familles ou de leur communauté ont déjà été arrêtés et expulsés en Haïti alors qu'ils avaient une demande d'asile en instance aux États-Unis sur laquelle ils n'avaient pas encore eu la chance d'être entendus. Ceci est contraire à la Convention de Genève dont les États-Unis sont signataires.

L'attitude du président, ses déclarations et ses politiques en matière d'immigration ont un effet indéniable et direct.

Pouvez-vous préciser le vocabulaire un peu? Ces gens, même s'ils viennent des États-Unis, ils sont bel et bien des réfugiés?

Je n'aime pas quand on dit des immigrants ou des migrants illégaux. Une entrée illégale c'est quelqu'un qui va se cacher dans les bois, ce n'est pas ça. Ce sont des gens qui rentrent de façon irrégulière pour demander un statut de réfugié. Ce sont des demandeurs d'asile, pas des « illégaux ».

Qu'est-ce que l'Entente des pays tiers sûrs, et pourquoi croyez-vous qu'elle devrait être renégociée?

Cette entente fait en sorte qu'une personne qui arrive des États-Unis à la frontière canadienne pour demander le statut de réfugié doit prouver qu'elle a déjà fait une demande d'asile aux États-Unis et qu'elle a été refusée ou qu'elle a déjà de la famille qui habite au Canada.

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Si elle est incapable de répondre à un de ces deux critères, la demande va être irrecevable et la personne va être refoulée en territoire américain. Mais si la personne traverse la frontière de façon irrégulière et se retrouve en sol canadien, elle n'est pas régie par l'Entente de tiers pays sûrs.

Donc si on mettait sur glace ou on abolissait pour l'instant les effets de l'Entente de tiers pays sûrs, les gens n'auraient plus intérêt à passer de façon irrégulière à la frontière. Ils passeraient directement au poste frontalier et seraient pris en charge immédiatement par les autorités. On éviterait de dédoubler les ressources humaines. Les gens pourraient faire leur demande directement à la frontière.

Comment est-ce qu'on doit gérer cette conversation, au niveau diplomatique?

Je pense sincèrement que la raison qui motive le gouvernement fédéral à ne pas intervenir au niveau de l'Entente des pays tiers sûrs, c'est justement les relations avec les États-Unis. Parce que le message qu'on enverrait si on devait mettre un hold sur cette entente, c'est que l'on considère que les États-Unis ne sont plus un tiers pays sûr.

Ceci étant dit, le Département de droit de l'immigration de l'Université Harvard a quand même pondu un rapport publié au cours de l'année 2017 qui conclut que les États-Unis ne sont plus un pays sûr pour les réfugiés et les gens qui fuient la persécution de leur pays d'origine. C'est l'Université Harvard qui tire cette conclusion. Donc on a tous les éléments pour suspendre les effets néfastes de cette entente.

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Revenons sur la proposition de Trump de révoquer la protection accordée aux Haïtiens. Le gouvernement conservateur avait lui-même tenté de faire la même chose en 2015, non? À l'époque, des milliers de personnes étaient menacés d'expulsion du Canada. Qu'en est-il aujourd'hui?

Il y avait eu un programme spécial pour les Haïtiens, un programme de résidence permanente pour motifs humanitaires dans le but de régulariser leur statut au Canada, pour tous les gens qui avaient fait leurs demandes d'asile, mais qui avaient été refusés. Les conservateurs avaient aboli le moratoire (sur les expulsions), mais les libéraux ont corrigé le tir.

Qu'est-ce qui va arriver à ces nouveaux demandeurs d'asile?

Maintenant, le gouvernement est face à une situation où le statu quo n'est pas la solution, on doit prendre des décisions et on doit les prendre rapidement.

Ces nouveaux demandeurs d'asile espèrent que leur demande d'asile soit reconnue et que leur dossier sera accepté par le tribunal de l'immigration. Si c'est le cas, ils vont pouvoir faire une demande de résidence au Canada et éventuellement une demande de citoyenneté. Si leur demande d'asile est rejetée, ces personnes seront expulsées du Canada vers leur pays d'origine.

Présentement, les responsables sont incapables de gérer ça à la frontière et donc ils donnent [aux demandeurs d'asile] des rendez-vous au bureau d'immigration à Montréal, et au moment où l'on se parle, ces rendez-vous sont pour le mois de septembre. Donc imagine, les gens doivent se présenter en septembre pour voir si leur demande d'asile va être jugée recevable. Si elle est jugée recevable, on leur donne ensuite une date d'audience devant la Commission de l'immigration. Alors moi je le dis, ces gens ne seront pas entendus en 2017. D'où l'importance à mon avis de leur donner immédiatement un permis de travail pour qu'ils puissent subvenir à leurs besoins.

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Parlez-moi un peu de cet hébergement temporaire au stade olympique, c'est quand même du jamais vu.

C'est une situation vraiment d'exception, mais il vaut mieux accueillir des réfugiés au stade olympique que de les laisser dans la rue. Le problème qu'on vit présentement c'est qu'il y a une demande tellement constante de demandeurs d'asile au Québec, et principalement à Montréal, que les organisations qui peuvent accueillir les réfugiés débordent. Le YMCA, certains hôtels, des résidences universitaires, tous ces centres débordent, et on n'a pas d'autres alternatives.

Ce n'est pas l'endroit idéal, en ce moment il y a des familles, des enfants, même des femmes enceintes, mais on n'a pas le choix.

Est-ce qu'ils vont devoir rester là longtemps?

Tous ces hébergements sont temporaires en attendant que les organismes puissent dénicher des appartements pour ces gens. Mais pendant combien de temps va-t-on réquisitionner le stade olympique pour accueillir des réfugiés? On ne peut pas répondre, c'est une question d'offre et de demande.

Si les chiffres continuent d'être les mêmes, c'est à dire entre 200, 300 ou 400 nouveaux demandeurs d'asile par jour à un seul poste frontalier, je vois mal comment on pourrait mettre fin à cette entente avec les installations olympiques.

Hier, il y avait près de 500 personnes uniquement à Lacolle. Quand on pense que pour traiter un dossier de demandeur d'asile par agence ça demande 6 à 8 heures, faites le calcul…

Les propos recueillis ont été édités à des fins de clarté et de concision.

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