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politique

Mais comment peut-on (encore) être un jeune socialiste ?

Trop à gauche pour être macronistes, trop centristes pour être mélenchonistes, ils n’ont pas d’autre choix que de croire à l’avenir du socialisme. Et d’assumer un quinquennat Hollande qu’eux-mêmes jugent « de merde ».

« Si c’est pour vous foutre de notre gueule, c’est pas la peine ! ». La première fois, on s’est fait raccrocher au nez. Notre question était pourtant légitime : pourquoi tenter de faire carrière dans un Parti Socialiste en état de mort clinique, quand on est jeune et en pleine santé ?

À la fin du mois du janvier, les socialistes désigneront leur premier secrétaire. Et clairement, les prétendants ne se bousculent pas. Trop jeunes pour briguer la présidence, mais trop vieux pour demeurer au Mouvement des Jeunes Socialistes (MJS), les « bébés PS » ont un peu le cul entre deux chaises. Et d’ailleurs, s’ils se projettent dans une carrière au sein du parti, c’est souvent qu’ils n’ont… pas vraiment le choix. Comme beaucoup de leurs potes, finalement, ils viennent tout juste de se constituer un réseau professionnel, après avoir galéré pour trouver un premier stage, puis un premier boulot. Ils sont restés au bureau jusqu’à des heures indues pour impressionner leurs supérieurs qui, ici, sont moins des « N+1 » que des « camarades » partageant leurs « valeurs ».

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Du coup, ils s’accrochent : « un parti avec une telle histoire ne peut pas disparaître», « il en a survécu, des crises », « les mouvements ça passe, les partis ça reste », « un grand parti ne meurt pas, il mute ». Après la claque des dernières élections, Matthieu, Agathe, Lies, Anne-Sophie et Antoine travaillent leur enthousiasme à grands renforts de grandes phrases.

« On collectionnerait des timbres, ça ne serait pas plus bizarre. » - Matthieu, 29 ans

Dans un café près de l’Hôtel de Ville, Matthieu balance ses lunettes du bout des doigts, et lance, dans un sourire : « c’est vrai qu’on collectionnerait des timbres, ça ne serait pas plus bizarre. » À 29 ans, il commence tout juste un boulot dans une collectivité territoriale d’Île-de-France pour le groupe socialiste. Agathe, 26 ans, s’assoit en face de lui. Les mains rougies par le froid, elle lance son sac sur la table, et attaque d’emblée les députés de La République En Marche (LREM) qui osent réclamer 1200 euros pour pouvoir se loger à Paris. « Ils sont trop délicats pour le bureau avec couchage. Ils sont sérieux ? Ils ont fait comment, les autres, avant eux ? » Agathe s’est beaucoup investie dans la campagne des législatives. Ancienne collaboratrice d’une députée parisienne, elle travaille elle aussi depuis un mois aussi pour une collectivité en Île-de-France. Et comme Matthieu, elle refuse de dire laquelle.

Chose rare en politique : beaucoup de ces jeunes socialistes que nous avons rencontré ont préféré l’anonymat. Du jamais vu car traditionnellement, les militants sont, par nature, fiers de militer ! Mais ceux-là sont d’un genre particulier : critiqué pendant tout le dernier quinquennat et ridiculisé aux dernières élections, le PS n’a pas la cote dans l’opinion. « La gauche a un problème de légitimité. Globalement, on nous voit comme des babos irréalistes qui dépensent l’argent public sans compter… », râle Anne-Sophie, militante du 18ème arrondissement de Paris et collaboratrice auprès d’une élue d’une collectivité territoriale. Pourtant, rien, chez ces jeunes socialistes, n’évoque les « babos » des seventies. Bien au contraire. « Le PS a arrêté d’appeler à la destruction du capitalisme », se félicite Antoine, 19 ans, militant dans le 18ème arrondissement de Paris. À leurs yeux, le Parti socialiste est ainsi la seule alternative entre le libéralisme dérégulé de Macron, et la France Insoumise révolutionnaire et anti-banquiers. « Le programme économique de Mélenchon n’est pas crédible », explique doctement Anne-Sophie.

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« La mère de mon mec me répétait « Mais faut leur dire qu’ils se gourent ! » » - Agathe, 26 ans

« Nous n’attendons que la création d’un nouveau Parti socialiste », affirme calmement Antoine. La position de ses mains croisées au niveau de son menton, son sourire bienveillant, et ses phrases bien tournées, dénotent un certain entraînement : « j’étais aux jeunesses socialistes (MJS) à 14 ans et on me dit depuis que ça me passera, mais je ne pense pas » dit-il fièrement. Pas de raison d’avoir honte d’être au PS donc ? Et même de quoi être fier, affirme Matthieu : « on a eu un quinquennat de merde, mais il en est sorti des choses importantes : le Mariage pour tous, le maintien de la Grèce dans l’UE, et la COP21 qui s’est maintenue quelques semaines après le Bataclan. ». De ce quinquennat « de merde », donc, ils retiennent tous une victoire : la création du compte pénibilité, qui permet aux salariés du privé occupant un poste pénible de partir plus tôt à la retraite sans perte de salaire. Et celle qu’ils condamnent tous – et qui fut avortée : la déchéance de nationalité. Un moment difficile pour chacun d’eux : « La mère de mon mec me répétait « mais faut leur dire qu’ils se gourent ! ». Et je lui répondais toujours que je n’avais pas de ligne directe avec Manuel Valls » raconte Agathe.

« Il y a seulement 4 ans d’écart entre Bernard Cazeneuve et Joey Starr. » - Lies, 26 ans

Ce qui frappe chez ces jeunes pousses de la politique, c’est qu’ils parlent déjà comme des vieux – à base formules toutes faites et d’éléments de langage bien rodés : « On n’a pas modernisé le logiciel socialiste à l’aune de notre époque. Pour autant, il ne faut pas renier nos valeurs mais les conserver. » La phrase est répétée en boucle par les éléphants du parti, mais là, elle sort de la bouche de Lies Messatfa, 26 ans. Lui travaille aux côtés du « plus jeune sénateur de France », Xavier Iacovelli, 36 ans, représentant socialiste des Hauts-de-Seine. Lies était candidat aux législatives de Levallois-Clichy en juin dernier et a obtenu 6,79 % des scrutins au premier tour. Mais le jeune homme garde la pêche : « Mais j’ai fait plus de 10% à Clichy ! » se félicite-t-il, sans rire. Il faut dire qu’il a pensé son parcours politique depuis longtemps, sur les bancs de la Sorbonne. Alors étudiant en sciences politiques, il était déjà directeur de campagne d’Anne-Eugénie Faure, candidate PS déçue à la municipale à Levallois, face à Patrick Balkany.

Clairement, Lies est entraîné aux combats déséquilibrés, en mode David contre Goliath, et il a appris à garder le moral en prenant chaque défaite comme un échauffement. Dans le quartier de Saint-Germain-des-Prés, près du Sénat, en costard, ses deux téléphones posés sur la table, Lies s’enorgueillit d’avoir été approché par En Marche et plus encore d’avoir su résister aux avances d’un parti qui « réduit les APL ». Il ajoute : « le PS n’est pas mort…il est en convalescence ». La phrase est signée Bernard Cazeneuve, ex-premier ministre et vieux loup du PS. Quand on le lui fait remarquer, il hausse les épaules : « il y a seulement 4 ans d’écart entre Bernard Cazeneuve et Joey Starr ». Dis comme ça, évidemment, ça donne le vertige.

Clotilde Alfsen est sur Twitter.