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Élections en Éthiopie : toujours les mêmes qui gagnent

Les législatives devraient aboutir, sauf énorme surprise, à la victoire du parti qui est toujours au pouvoir depuis 1991. En revanche le pays fait face à de nouveaux défis : arrivée de réfugiés, d’investisseurs chinois et menaces terroristes.
Image via Flickr / Sarah Tzinieris

Ce dimanche, les électeurs éthiopiens vont élire leurs députés, et tous les commentateurs sont d'accord pour constater l'absence totale de suspense quant à l'issue de ces élections. La coalition du Front démocratique révolutionnaire des peuples éthiopiens (FDRPE), qui détient 546 des 547 sièges du Parlement depuis les précédentes élections de 2010, devrait facilement remporter l'élection.

Depuis 1991, et le renversement de la dictature de Mengistu Haile par le FDRPE, une coalition de partis à base ethnique — dominée par le Front de libération des peuples du Tigré (FLPT) — c'est cette coalition qui est au pouvoir dans ce pays d'Afrique de l'Est, entouré de plusieurs pays marqué par des crises, entre autres le Soudan, le Soudan du Sud, le Kenya, la Somalie ou encore l'Érythrée. Les deux Premiers ministres qui ont gouverné le pays depuis les premières élections multipartites de 1994, viennent du FLPT. Pour le chercheur spécialiste de l'Éthiopie Gérard Prunier, contacté par VICE News ce vendredi, le parti est comparable à un « grand frère » qui, grâce à ses ressources « tient toute la famille sous sa coupe ».

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Des critiques se sont élevées contre les failles démocratiques de l'Éthiopie. « À Addis-Abeba [NDLR, la capitale], cinquante de nos membres sont toujours en prison ou en garde à vue… Les élections sont une affaire réglée, » a affirmé Yilkal Getnet, le président du Blue Party, situé dans l'opposition, dans le journal français La Croix. Lors des précédentes élections de 2010, l'opposition avait dénoncé des fraudes électorales après la victoire massive du FDRPE. Les observateurs de l'Union européenne avaient alors qualifié la campagne électorale de « déséquilibrée » et dénoncé « le rétrécissement de l'espace politique ». En 2005, lors d'élections également remportées par la même coalition, des violences entre opposants et forces de l'ordre avaient fait 200 morts. Pour les prochaines élections, seuls 59 représentants de l'Union africaine superviseront l'élection, indique La Croix.

Gérard Prunier est un chercheur spécialiste de la Corne de l'Afrique et l'ancien directeur du Centre français des études éthiopiennes. Il nous indique que d'après lui il n'y a « aucun suspense quant à l'issue des élections, on s'achemine vers un résultat compris entre 95 et 99 pour cent, » en faveur du parti majoritaire. Sur le plan ethnique, le problème, poursuit-il, « c'est que le parti au pouvoir, le FLPT, ne représente que 5 pour cent des 90 millions d'habitants : les Tigrés. »

L'Éthiopie est considérée comme l'un des pays les plus stables, dans une région minée par de nombreuses crises. Le pays est notamment voisin de l'Érythrée, de la Somalie et du Soudan du Sud. À eux trois, ces pays en crise ont provoqué l'arrivée d'environ 700 000 réfugiés en Éthiopie, selon les chiffres du Haut commissariat aux réfugiés (HCR) de l'ONU. Ils étaient 400 000 en 2013 et 130 000 en 2011, selon Médecins sans frontières (MSF).

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Rien qu'entre janvier et août 2014, l'Éthiopie a accueilli 200 000 nouveaux réfugiés, pour la plupart venus du Soudan du Sud, selon le HCR. MSF a publié une vidéo sur leur quotidien en mai 2014.

Éthiopie : Des réfugiés livrés à leur sort par msf

Si la stabilité éthiopienne peut attirer un flux massif de réfugiés, elle attire également des capitaux, notamment chinois. En début de semaine dernière, des responsables chinois et éthiopiens se sont mis d'accord pour créer une immense zone économique spéciale (ZES), en banlieue d'Addis Abeba. Selon le journal Le Monde, cette ZES devrait créer 50 000 emplois. Elle va nécessiter 400 millions de dollars d'investissement, financés par la banque chinoise China Exim Bank.

Avec une croissance de son PIB de 10,5 pour cent en 2013, et une croissance moyenne d'environ 10 pour cent depuis le début des années 2000, selon la Banque mondiale, l'Éthiopie se développe à un rythme soutenu et deviendrait le nouvel « atelier du monde », selon le quotidien économique français Les Echos, qui donne comme exemple la décision de la marque de vêtements H&M de se tourner vers un fournisseur basé en Éthiopie en juin 2014.

« Cette croissance économique élevée est un atout pour le FLPT au pouvoir, » analyse Gérard Prunier. Plus qu'un argument électoral, ces chiffres sont un indicateur de stabilité pour les pays étrangers. Mais Gérard Prunier nuance : « Malgré ces chiffres attrayants, les bénéfices de la croissance sont très inégalement répartis. L'ethnie des Tigrés en tire plus de revenus que les autres. »

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Si l'arrivée des réfugiés des pays alentour et des investisseurs chinois en Éthiopie est une réalité depuis plusieurs années, la menace terroriste est une nouvelle donnée de l'équation. Au mois d'avril, l'organisation État islamique (EI) a publié une vidéo montrant l'assassinat de 30 hommes chrétiens éthiopiens en Libye. Dans les jours qui suivent, une grande manifestation anti-EI avait été organisée à Addis Abeba. Mais plusieurs slogans anti-gouvernement ont été entendus lors de cette marche, qui a finalement été réprimée par les forces de l'ordre, comme le montre cette vidéo publiée sur le Monde.fr.

Éthiopie : violences en marge d'une… par lemondefr

Fin 2014, les ambassades américaines et françaises en Éthiopie semblaient prendre au sérieux les menaces d'attentats par les Shebabs somaliens.

La proclamation des résultats de la prochaine élection législative éthiopienne aura lieu le 22 juin 2015. Mais Gérard Prunier n'anticipe pas de contestation dans la rue, ou du moins pas tout de suite. « La politique éthiopienne dépend beaucoup de la pluie [NDLR, les pluies diluviennes dissuadent les déplacements de foule, les routes sont difficilement, sinon impossibles à pratiquer], et la saison des pluies arrive à la fin du mois de juin. Elle s'arrêtera à l'automne, entre septembre et novembre, » explique-t-il. « Si la contestation doit avoir lieu, elle pourrait avoir lieu à ce moment. »

Suivez Matthieu Jublin sur Twitter : @matthieujublin

Image via Flickr / Sarah Tzinieris