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Comment la réalité virtuelle peut vous faire tourner en rond pour l'éternité

Grâce à quelques petites astuces spatiales et un casque de réalité virtuelle, on peut faire croire à votre cerveau qu’un cercle est une ligne droite. Et vous faire tourner en rond toute votre vie.

Quelque part dans la seconde moitié du XXIe siècle, les cellules de prison seront peut-être le théâtre d'étranges comportements : autour d'une structure ovoïdale de 7 mètres sur 5, plusieurs hommes feront les cent pas, un casque de réalité virtuelle sur les yeux, la main posée sur la paroi, inconscients du fait qu'ils tournent en rond sans jamais se croiser les uns les autres. Et pour cause : dans leur balade virtuelle, ils seront convaincus de marcher en ligne droite. Un concept technologique aussi tordu aurait tout à fait pu sortir de l'esprit malade de Charlie Brooker, le créateur de la glaciale Black Mirror, mais non : le dispositif est bien réel, et se base sur le principe de la « marche redirigée » (en anglais, redirected walking, ou RDW), l'un des tours de passe-passe les plus essentiels au développement de la réalité virtuelle.

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Comme l'explique The Verge, le principe est un peu compliqué à détailler, mais voilà en gros comment ça fonctionne : l'être humain étant intrinsèquement assez mal équipé pour estimer les distances et se déplacer lorsqu'on lui bande les yeux, de multiples études ont prouvé, avant même le développement des casques de réalité virtuelle contemporains, que le cerveau tolèrera sans trop de difficultés qu'on lui assure qu'il se déplace en ligne droite alors que sa trajectoire est courbe, dès lors que l'espace est visible à l'œil nu. De même, les recherches ont montré qu'il nous est difficile d'appréhender le déplacement d'un objet lorsqu'on ne le voit pas bouger en direct. Pour faire simple, notre cerveau a tendance à faire une confiance aveugle (héhéhé) à la vue pour appréhender son environnement, au détriment de tous les autres sens - ce qui est évidemment une grave erreur depuis l'invention du kaléidoscope. La marche redirigée tire donc parti de cette faille sensorielle pour définir des perspectives entièrement artificielles - le plus important, en fin de compte, étant le timing de la simulation : le moindre petit lag, et on se retrouve instantanément avec une migraine de premier de l'An et les dents du fond qui baignent.

Si la technologie RDW est encore cantonnée aux labos, c'est qu'elle a rapidement rencontré une limite de taille : oui, il est possible de faire marcher un être humain en cercle indéfiniment en mettant une douille monumentale à sa perception, mais il vous faudra une structure circulaire d'au moins 22 mètres de rayon pour y parvenir, ce que tout le monde n'a pas dans son salon. Mais, comme avec toute technologie à potentiel commercial énorme, les obstacles tombent les uns après les autres. L'expérience vidéo Unlimited Corridor de l'Université de Tokyo, présentée la semaine dernière au salon Siggraph en partenariat avec le moteur de jeu vidéo Unity, a montré qu'il est désormais possible de faire fonctionner la RDW dans une structure de « seulement » 7 mètres sur 5. Comment ? En faisant enfiler un gant haptique – ca y est, on nage en plein Ready Player One - à l'utilisateur, qui lui permet de toucher le mur IRL qui correspond au décor virtuel, pour que le toucher confirme au cerveau que les informations transmises par la vue sont exactes. Une arnaque sensorielle deux fois plus avancée, et deux fois plus efficace. Enfin, la simulation – qui, graphiquement, est plus proche du jeu de labyrinthe de Windows 98 que de Skyrim - contrôle l'ouverture et la fermeture d'une porte virtuelle pour faire en sorte que les trois joueurs/ cobayes/ détenus (rayez les mentions inutiles) ne se croisent jamais, et errent chacun éternellement seul dans leur petit enfer pixellisé à la Harlan Ellison.

Au-delà des évidentes applications carcérales qu'encourage le dispositif, la marche redirigée est un enjeu essentiel dans le développement d'une expérience de réalité virtuelle totale, à l'image de ce qu'ambitionne le pharaonique parc d'attractions virtuel The Void, premier du genre à proposer des aventures artificielles de chasse aux aliens dans des entrepôts composés de blocs modulables. Si plusieurs technologies de locomotion virtuelle (tapis de course multidirectionnels, holodecks) se tirent la bourre pour envahir nos salons, la marche redirigée est la technologie la moins invasive et, du même coup, la plus prometteuse. Du moins si l'on considère que le développement d'un système de travestissement parfait de la réalité est un truc qui va dans le bon sens du progrès humain. Après tout, une fois la réalité virtuelle « parfaite » atteinte, rien de néfaste ne pourrait se produire, pas vrai ?