L’histoire de Sazeen, l’enfant réfugiée qui ne peut plus grandir

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Syrie

L’histoire de Sazeen, l’enfant réfugiée qui ne peut plus grandir

Le photographe montréalais Drowster s’est envolé vers l’Irak afin d’y rencontrer ceux qui y vivent dans l’espoir d’un avenir meilleur, en sécurité et sous un toit qui est le leur.

Il y a trois ans, au mois de mars 2014, Mustafa Ahmad entend ce qu'il redoute le plus depuis le début du conflit qui fait rage en Syrie : le bruit de plusieurs bombes s'écrasant tout près de sa maison. Pour ce père de famille, l'événement signifiait le moment de fuir Sheran, son village situé à même la ville de Kobané, tout près de la frontière turque.

Accompagné par sa femme Rojeen, sa fille Miraf âgée de trois mois, son frère Mohammad et son neveu Obaid, il fait le chemin jusqu'aux portes de la Turquie où il se voit refuser l'entrée par l'armée nationale. N'ayant aucune autre solution, la famille s'improvise un campement près de la frontière où ils sont contraints à dormir sur le sol, sans grandes provisions, entourés par des explosions et des coups d'artillerie.

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Quarante journées s'écoulent avant que la famille puisse s'enfuir et trouver refuge au Kurdistan en Irak. Aussitôt arrivée, la famille remplit une demande de réfugiés du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR). Cette procédure consiste à l'inscription de chaque réfugié sous un dossier numéroté qui permet aux autorités de traiter les demandes jusqu'à leur relocalisation.

Un an après leur arrivée au Kurdistan, la famille Ahmad s'agrandit avec l'arrivée d'une petite fille prénommée Sazeen. Bien qu'ils se réjouissent de cette naissance, Mustafa et Rojeen découvrent, par l'entremise d'un médecin irakien, que leur fille est née avec une maladie du cœur congénitale et une large malformation septale ventriculaire (MSV) subaortique avec hypertension pulmonaire sévère. Cette maladie diminue le flux sanguin dans les poumons et nécessite un effort supplémentaire du ventricule droit du cœur afin de pomper le sang dans l'appareil respiratoire.

Mohammad montrant les dernières radiographies de Sazeen; n'ayant pas trouvé d'emploi en Irak depuis leur arrivée, leur obtention a représenté un coût significatif pour la famille.

En avril 2016, les médecins irakiens informent les parents que la petite fille aurait besoin d'une chirurgie cardiaque d'urgence dans un délai maximal de trois mois. Et l'opération doit se faire à l'étranger, puisqu'ils n'ont pas l'expertise pour pratiquer des chirurgies cardiaques sur des bambins.

Neuf mois plus tard, Sazeen a arrêté de grandir et de prendre du poids. En pleurs à toute heure de la journée, l'enfant doit rester à l'intérieur avec sa mère 24 heures par jour, 7 jours par semaine, car la plus petite des bactéries pourrait lui être fatale.

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Comme la plus petite bactérie pourrait lui être mortelle, Rojeen reste à l'intérieur 24 heures par jour pour prendre soin de Sazeen.

Impuissants, Mustafa et Mohammad restent à la maison le plus longtemps possible en guise de support pour Rojeen. Les deux hommes sont toujours en quête de travail afin de subvenir financièrement aux besoins de la famille. Bien qu'ils soient tous les deux qualifiés, aucun emploi n'est disponible. Mustafa a terminé sa technique en agriculture à l'université. En Syrie, il occupait un poste de menuisier. Mohammad a commencé des études universitaires en littérature anglaise.

Les journées passent grâce à l'espoir de recevoir un appel du HCR, qui mènerait à leur relocalisation. Ils attendent cet appel depuis juin 2016, moment où l'organisme leur a demandé s'ils accepteraient le Canada comme pays d'accueil. Depuis ce temps, ils profitent des 12 heures de la journée où l'électricité est disponible pour regarder la télévision et charger leurs téléphones qu'ils utilisent afin de contacter certains membres de leur famille et suivre le fil des événements du conflit syrien.

La famille passe ses journées entières dans un minuscule salon. Les téléphones portables sont le seul moyen de communication avec la famille et le monde extérieur.

Le HCR est informé de la situation de Sazeen. L'oncle Mohammad a d'ailleurs appris que leur dossier a été classé prioritaire parmi tous ceux déjà en traitement dans les bureaux d'administration de l'organisation. La famille a toutefois de la difficulté à vivre avec ces délais. Ils ont contacté le HCR à de multiples reprises depuis les derniers mois afin de savoir où en était leur dossier sans réussir à obtenir de réponses à leurs questions.

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Grâce au travail de correspondance et de traduction du photographe, certains organismes à but non lucratif locaux se sont intéressés à l'histoire de la jeune Sazeen. Afin de faire le point sur la situation de l'enfant, la famille s'est vu demander de fournir de nouveaux rayons X. Constat : la situation de Sazeen est plus grave qu'on le pensait, il ne lui resterait que 20 jours à vivre. Pressée par ce deadline, Rojeen a pris le risque de retourner à Damas en Syrie afin d'y faire opérer son enfant.

Alimentée par l'urgence de la situation, Rojeen a finalement réussi à offrir les traitements pour sa fille il y a quelques semaines. Sazeen serait toujours au soins intensifs pour récupérer.

Bien que cette opération s'avère être une victoire pour la famille, ils restent malgré tout confinés dans un pays qui n'est pas le leur. Le HCR leur a donné l'espoir que le Canada puisse devenir leur pays, mais la possibilité d'y emménager s'amenuise de jour en jour.

Drowster est un photographe québécois basé à Montréal. Pour consulter l'ensemble des photos de la série #WelcomeToCanadaSazeen , cliquez ici .

Les pleurs de Sazeen, qui vit continuellement dans la douleur, sont devenus le bruit d'ambiance.

Peu importe la fréquence des pleurs, Mustafa ou Rojeen prennent Sazeen dans leurs bras et tentent de lui donner tout l'amour du monde.

N'ayant que 12 heures d'électricité par jour dans la maison qu'ils louent, dès qu'elle est coupée, ils utilisent les lampes de poche de leurs téléphones portables ainsi qu'une petite ampoule DEL qu'ils rechargent tous les jours.

Rojeen a un rêve : voir Sazeen grandir.

Mustafa embrasse Miraf, signifiant « sirène » en kurde, leur langue maternelle.

Mustafa et sa fille Miraf, née trois mois avant leur fuite de Sheran, leur ville d'origine. Miraf n'a connu que la guerre et la quête d'un nouveau chez-soi.