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Crime

Quel avenir pour les Américains qui ont terminé leur cavale à Cuba ?

La militante des Black Panther JoAnne Chesimard a reçu l'asile à Cuba après avoir été condamnée pour le meurtre d'un policier du New Jersey. Avec le nouveau rapprochement diplomatique entre Cuba et les États-Unis, son destin est en suspens.
Photo via AP

Deux semaines après l'annonce d'un rétablissement des relations diplomatiques entre La Havane et Washington, les modalités pratiques de ce retour au dialogue réveillent de vieilles histoires liant les deux pays.

Quelles conséquences, par exemple, pour la militante de la cause noire Assata Shakur, membre des Black Panthers et de la Black Liberation Army, « Armée de libération des Noirs », recherchée aux États-Unis pour le meurtre d'un officier de police en 1973, et qui vit à Cuba depuis 30 ans ?

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Shakur, également connue sous le nom de JoAnne Chesimard, est la plus célèbre des réfugiés américains à Cuba. Elle y a trouvé asile après qu'elle s'est évadée de prison en 1979 et qu'elle a passé cinq ans en fuite aux États-Unis. Ils sont des dizaines à avoir fui à Cuba après avoir été condamnés parfois pour braquage, ou parfois, comme Shakur, pour des actions politiques qui leur ont valu des peines de prison à vie.

Le FBI n'a pas de chiffre officiel, mais ils seraient environ 80 fugitifs à Cuba, d'après le Daily Beast . Parmi eux, se trouvent deux des trois militants de la cause noire qui ont détourné un avion à Albuquerque après avoir tué un policier du Nouveau-Mexique en 1972.

William Morales fait aussi partie des habitants de Cuba recherchés par les États-Unis. C'est un membre du groupe indépendantiste portoricain FALN, qui s'est échappé du Mexique, direction Cuba, après avoir été condamné à 99 ans de prison pour utilisation d'armes à feu.

Aujourd'hui âgée de 67 ans, Shakur vit paisiblement à Cuba depuis 1984, où elle a obtenu l'asile politique. Elle a récemment publié son autobiographie.

Le FBI l'a ajoutée l'an dernier parmi les terroristes les plus recherchés — c'est la première femme à faire partie du top 10 du FBI.

« JoAnne Chesimard est une terroriste qui a assassiné sur notre territoire un membre des forces de l'ordre en l'exécutant, » a déclaré Aaron Ford, agent spécial du FBI à Newark dans un communiqué de 2013 publié à l'occasion des quarante ans de la mort du policier du New Jersey Werner Foerster, pour lequel Shakur est recherchée. « Aujourd'hui, à l'occasion de l'anniversaire de la mort de Werner Foerster, on veut que le public sache que nous n'arrêterons pas nos recherches tant que cette fugitive ne sera pas traduite devant la justice. »

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À cette occasion, le FBI a promis un million de dollars pour toute information qui mènerait à la capture de Shakur. L'État du New Jersey a ajouté un autre million. Alors que le président Barack Obama a annoncé le projet d'ouvrir une ambassade américaine à La Havane et le début d'un « nouveau chapitre » dans les relations américano-cubaines, certains ont demandé à ce que Shakur soit extradée vers les États-Unis, où elle est toujours condamnée à perpétuité.

« Nous voyons le rapprochement avec Cuba comme une opportunité de la ramener aux États-Unis afin qu'elle purge sa peine pour le meurtre du policier du New Jersey Werner Foerster en 1973, » a déclaré dans un communiqué le chef de la police du New Jersey Rick Fuentes. « Nous appuyons la récompense et nous espérons que ces deux millions de dollars nous apportent des nouvelles informations dans le contexte de ces nouvelles relations internationales. »

« Chesimard n'est pas la seule fugitive qu'ils recherchent pour un crime violent, et elle a déjà été reconnue coupable, donc il s'agit surtout de la ramener et de l'envoyer en prison, » a-t-il également déclaré au Los Angeles Times. « Il y a d'autres personnes qui l'entourent et que Castro apprécie, voilà pourquoi il a été très difficile d'entamer des discussions pour les faire sortir. »

Le FBI n'a pas répondu à nos demandes d'interviews sur le sujet, mais a déclaré à d'autres journalistes que pour le moment, on ne savait pas encorequel serait le statut des réfugiés américains à Cuba.

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« Pour moi, pour les forces de l'ordre du New Jersey et pour beaucoup d'Américains, l'un des principaux obstacles à un réchauffement diplomatique entre les États-Unis et Cuba, c'est le refuge que l'île offre à la fugitive JoAnne Chesimard, » a déclaré le député du New Jersey Rodney Frelinghuysen. « Je demande à ce que la Maison-Blanche et le département d'État travaillent dur pour ramener cette meurtrière à la maison, dans le New Jersey pour qu'elle soit traduite en justice et qu'elle purge sa peine. »

« On ne peut pas oublier que le policier du New Jersey Werner Foerster ne rentrera jamais chez sa famille, et que Cuba protège son assassin, » a-t-il ajouté.

Meurtrière ou héroïne de la cause noire

Le cas de Shakur a fait débat dans les années 1970, et l'annonce du rapprochement avec Cuba montre à quel point il divise encore aujourd'hui.

D'après le FBI, l'Armée de libération des Noirs était « l'une des organisations militantes les plus violentes » des années 1970, responsable du meurtre de plusieurs policiers à travers le pays. En 1973, Shakur — qui a été arrêtée de multiples fois pour son activisme politique — est appréhendée pour excès de vitesse par la police sur une autoroute du New Jersey . Cela dégénère en fusillade, causant la mort de Foerster et celle de Zayd Shakur, un des militants qui voyageait avec Shakur. Le FBI affirme qu'elle a tiré la première, et que Foerster, grièvement blessé a ensuite été « exécuté » avec sa propre arme. On a ensuite retrouvé le pistolet enrayé de Assata Shakur à ses côtés.

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Shakur et Sundiata Acoli, un troisième militant, ont été arrêtés, accusés de meurtre et condamnés à une peine de prison à perpétuité. En 1979, un groupe de militants l'aide à s'échapper d'un quartier de haute sécurité où elle était à l'isolement, à la prison pour femmes de Clinton dans le New Jersey. Acoli est toujours en prison.

La version du FBI reste contestée. Certains défenseurs de Shakur, parmi lesquels l'association d'avocats « National Lawyers Guild » disent qu'on lui a tiré dessus alors qu'elle avait les bras en l'air, et qu'elle était physiquement incapable de tirer avec une arme. Elle aurait été inculpée alors que l'unique témoin qui l'a identifiée comme tireuse est revenu sur son témoignage.

Ceux qui défendent Shakur affirment aussi qu'elle était une cible du FBI dans le cadre du programme COINTELPRO, qui avait pour objet d'interrompre et de neutraliser les mouvements réclamant plus de justice sociale.

Contactée par VICE News, Shakur n'a pas souhaité réagir à ces nouvelles. Son avocat, Lennox Hinds, n'a pas non plus souhaité répondre.

Quand Shakur a été inscrite sur la liste des personnes les plus recherchées du FBI, Hinds a déclaré qu'il était « clair que le le gouvernement fédéral continuait d'abuser de son pouvoir, avec lequel il a essayé de détruire Assata Shakur ainsi que d'autres activistes de la cause noire à travers la surveillance, les rumeurs, les sous entendus, en écoutant aux portes, en arrêtant, en poursuivant, en incarcérant et en assassinant les militants à travers les années 196à et 1970. »

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D'autres personnalités ont pris la défense de Shakur, depuis l'artiste hip-hop Common, qui a écrit une chanson après l'avoir rencontrée à Cuba, jusqu'à Angela Davis, que le FBI a pu considérer comme « terroriste ».

« Assata a été accusé à tort à plusieurs reprises aux États-Unis au début des années 1970, et a été calomniée par les médias, » a écrit Davis dans une tribune récente, dans laquelle elle fait le lien entre l'activisme de Shakur et le mouvement naissant à Ferguson.

Avec le rétablissement des relations diplomatiques avec Cuba, les responsables américains, qui ont négocié un échange de prisonniers, auraient probablement pu demander l'extradition de Shakur, et seront probablement sous pression pour qu'ils le fassent. Certains ont déjà appelé à un « boycott » pour poursuivre l'embargo si Cuba refusait.

Cet accord avec Cuba, et la question du futur de Shakur tombe alors que les tensions liées aux questions raciales sont fortes aux États-Unis.

« Si vous écoutiez le FBI, vous penseriez qu'en gros, les dix personnes les plus dangereuses sur terre sont neuf membres d'Al-Qaïda, et Assata Shakur, » a écrit l'éditorialiste David Love dans un article de The Grio. « En retirant Cuba de la liste des terroristes, les États-Unis doivent aussi enlever Shakur de cette liste. »

Suivez Alice Speri sur Twitter: @alicesperi