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Charlie Hebdo

Lutte antiterroriste : ce que le gouvernement français a en tête

Deux semaines après la vague d’attentats qui a fait 17 morts en région parisienne, le premier ministre Manuel Valls a détaillé les mesures envisagées par le gouvernement en matière de lutte contre le terrorisme.
Photo via Flickr / CNNum

Deux semaines après la vague d'attentats qui a fait 17 morts en région parisienne, le premier ministre Manuel Valls a détaillé les mesures envisagées par le gouvernement en matière de lutte contre le terrorisme lors d'une conférence de presse à la sortie du Conseil des ministres. Le Premier ministre était entouré de plusieurs ministres, Bernard Cazeneuve (Intérieur), Christiane Taubira (Justice), Jean-Yves Le Drian (Défense) et Laurent Fabius (Affaires étrangères).

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Changement d'échelle

Le Premier ministre n'a pas dévoilé de mesures surprises, qui n'auraient pas été dans la ligne exposée la semaine précédente dans son discours à l'Assemblée nationale. Les points phares sont l'annonce d'un renforcement substantiel des moyens humains et matériels dans la lutte contre le terrorisme, avec une enveloppe de 425 millions d'euros pour les trois années à venir, budget qui ne prend pas en compte le coût des personnels. 2 680 emplois seront créés.

Manuel Valls a encore choisi ses mots avec soin. Il a répété que face à une situation « exceptionnelle » il fallait prendre des mesures « exceptionnelles » et non « d'exception » — il avait déjà fait cette nuance lors de son discours devant les députés du mardi 13 janvier. Elle peut être expliquée par une volonté d'éloigner l'image d'un Patriot act à la française

Il a justifié la mise en place de ces mesures par l'ampleur du « changement d'échelle » en matière de menace terroriste alors que les médias français font état ce jeudi de possibles nouveaux départs de Français candidats au djihad, et de la présence supposée de rares anciens militaires français sur les fronts djihadistes syriens ou irakiens.

« Aujourd'hui, il faut surveiller près de 1 300 personnes, Français ou étrangers résidant en France, pour leur implication dans les filières terroristes en Syrie et en Irak. C'est une augmentation de 130% en un an, » a détaillé le Premier ministre, qui a rappelé qu'il fallait ajouter à cela les personnes impliquées dans les filières djihadistes au Yémen ou au Sahel. « En tout ce sont près de 3 000 personnes à surveiller. Ce changement d'échelle est un défi redoutable pour notre pays et pour nos partenaires, notamment européens, » a-t-il expliqué.

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Renfort du renseignement

Les postes créés viendront renforcer les services de renseignement, dont les failles ont été pointées du doigt après les attentats et les prises d'otages de la mi-janvier. Les frères Kouachi, responsables de l'attaque de Charlie Hebdo étaient sur écoute jusqu'à l'été 2014. Dans son édition du 21 janvier, Le Canard enchaîné a également révélé qu'en décembre dernier, Amédy Coulibaly, le preneur d'otages de la porte de Vincennes, a fait l'objet d'un contrôle de routine. Comme il était inscrit dans un fichier de personnes recherchées pour son «appartenance à la mouvance islamiste», une interpellation aurait pu avoir lieu. Le terroriste n'avait alors pas été inquiété et avait pu rejoindre l'Espagne avec sa compagne, d'où elle s'était envolée pour la Turquie, puis la Syrie. Dans ces deux cas, politiques et experts ont pointé une mauvaise collaboration entre les services et un mauvais recoupement des fichiers.

Le Premier ministre a annoncé qu'une loi sur le renseignement serait portée devant le parlement au début du mois de mars. Elle est encore peu précise, mais Manuel Valls a insisté sur le fait que la dernière, qui date de 1991, avait été conçue avant l'arrivée d'Internet. Davantage de moyens devraient être mis en place pour dé-référencer les sites « illégaux », et pour surveiller les communications sur les réseaux sociaux avec l'action d'une « cyberpatrouille ». Il s'agit également de lutter contre « l'embrigadement djihadiste ». Il a annoncé que depuis deux semaines, la plateforme de signalement en ligne Pharos a reçu 30 000 signalements, trois fois plus qu'en temps normal.

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Enfin, comme cela avait été annoncé le 13 janvier, un fichier regroupant « toutes les personnes condamnées ou mises en cause dans des faits de terrorisme » sera mis en place, et les personnes y figurant devront justifier de leur lieu de résidence à intervalles réguliers.

Lutte contre la radicalisation en prison

Soixante aumôniers supplémentaires seront recrutés dans les prisons, où se sont radicalisés les terroristes. Ils viendront s'ajouter aux 182 déjà existants. D'autre part, le Premier ministre a confirmé que la stratégie d'isolement des détenus radicaux, testée à Fresnes depuis octobre 2014 serait étendue à « cinq quartiers » pénitentiaires sans préciser dans quelles prisons.

Manuel Valls - dont l'usage du mot « apartheid » la veille dans ses voeux à la presse pour qualifier la situation d'une partie de la population française a provoqué un tollé dans tous les bords de la classe politique qui aurait préféré un autre mot- a en revanche appelé à ce qu'il n'y ait « aucune précipitation sur les questions de principe, » c'est-à-dire les lois de déchéance de nationalité pour les binationaux, comme le demande l'opposition.

Le Premier ministre a rappelé que le Conseil Constitutionnel se saisirait sous peu d'une Question prioritaire de Constitutionnalité en la matière. La question de l'indignité nationale, que demandent une partie des députés PS, sur une suggestion de l'UMP — mais dont le président François Hollande ne veut pas — ne figurait pas non plus parmi les mesures annoncées par le Premier ministre. Il a appelé à la mise en place d'une réflexion « transpartisane » sur la question, pilotée au Sénat et à l'Assemblée nationale.

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Réactions politiques

Dans un communiqué, Marine Le Pen a accusé le Premier ministre d'avoir « fait un hors sujet magistral au regard de la gravité de la situation, en consacrant 30 minutes pour presque rien, » et regrette qu'il n'ait pas annoncé « l'arrêt de l'immigration » et la « restauration des frontières nationales ».

Éric Ciotti, député UMP et président de la commission d'enquête parlementaire sur la surveillance des filières et individus jihadistes a pour sa part salué les mesures annoncées mercredi matin, mais a regretté que la déchéance de nationalité ne soit pas prise en compte : « C'est dans la continuité de ce qui a été dit et de cette unité nationale que nous avons tous affichée […] Je suis déçu quant à la réponse symbolique, notamment sur la déchéance de la nationalité ou sur l'indignité nationale, que l'UMP par la voix de Nicolas Sarkozy a réclamées. »

Enfin, François de Rugy, coprésident des députés EELV a déclaré être « d'accord avec la démarche pragmatique » du gouvernement, mais met en garde contre « Des surenchères ou des gesticulations législatives et d'être prudent sur tout ce qui touche à l'indignité nationale ou à la déchéance de nationalité, parce que ce sont des symboles qui ne vont pas dissuader de passer à l'acte. » Il a ajouté qu'« Au-delà de la sécurité, d'autres réponses sont nécessaires même si elles sont de plus longue haleine et relèvent moins du domaine législatif. »

Plus tard dans la journée de mercredi, un conseil de Défense présidé par François Hollande a été réuni, il y a été décidé l'annulation de la suppression de 7 500 postes de la Défense.

Suivez Mélodie Bouchaud sur Twitter @meloboucho

Photo via Flickr / CNNum