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FRANCE

Après les attentats, des lycéens ont le droit de fumer dans des lycées

VICE News a rencontré des élèves parisiens pour qui les pauses cigarette se font désormais à l’intérieur de l’établissement pour des raisons de sécurité. Cette mesure « tolérée » par les autorités fait grincer des dents les anti-tabac.
Image via Pixabay / Kruscha

Ce jeudi matin, il n'est pas encore 9h00 mais les élèves du lycée Voltaire (XIème arrondissement de Paris) se pressent déjà contre la grande porte bleue pour échapper au froid. Devant cet établissement situé à quelques rues du Bataclan, des flocons de neige commencent à tomber sur les retardataires.

Parmi eux, un garçon termine sa cigarette, qu'il écrase à quelques mètres de l'entrée avant de s'engouffrer dans l'embrasure de la porte. Même si c'est illégal en France, les autres lycéens fumeurs attendront eux d'être rentrés dans l'enceinte du lycée pour allumer leur première cigarette de la journée.

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« Il y a déjà quelques semaines que nous pouvons fumer à l'intérieur », nous raconte Anne, une lycéenne de 18 ans en classe de Terminale, que l'on rencontre ce jeudi matin. Elle qui dit fumer « deux à trois cigarettes par jour » ne voit pas ce qui pose problème dans le fait d'inviter les élèves à ne pas fumer devant l'établissement mais à l'intérieur, dans un espace spécifique. « Avant, il y avait beaucoup de petits groupes rassemblés, franchement, ça faisait une cible facile pour un attentat. »

À côté d'elle, Lucas, élève de Terminale et fumeur lui-aussi, approuve ce constat d'un hochement de tête. « C'est plus sécurisant pour nous, après les attaques, et puis ça reste dans un endroit aéré donc on ne pollue pas toute la cour non plus. » nous dit-il.

Loi Évin et attentats

Comme de nombreux autres lycées de la région parisienne, le lycée Voltaire autorise ses élèves fumeurs à s'allumer une cigarette dans une zone désignée, à l'intérieur de l'une des cours de cet établissement — qui accueille près de 1 800 élèves. Une autorisation qui se fait malgré la loi Évin de 1991 — qui interdit la consommation de tabac à l'intérieur des lieux à usage collectif en France.

Quelques jours après les attentats du 13 novembre, le ministère de l'Éducation nationale a envoyé la circulaire n°206 aux proviseurs et directeurs. Cette circulaire autorise l'aménagement de « zones spécifiques au sein des établissements […] pour éviter que les élèves ne sortent du lycée pendant les interclasses. » Des proviseurs ont alors demandé si cela leur permettait de contourner la loi Évin. La demande a été rejetée par la direction générale de la Santé. La situation reste pour le moment dans le flou.

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« Suite aux attentats, il existe une crainte des parents, des élèves, et des professeurs » nous a dit une porte-parole du ministère de l'Éducation nationale, jointe par téléphone ce mercredi après-midi. « Pour éviter les attroupements devant les lycées, certains chefs d'établissement autorisent exceptionnellement les élèves à fumer dans l'enceinte des établissements, dans des lieux délimités et en plein air. »

« La décision revient au chef d'établissement — en fonction des habitudes de son lycée », nous a-t-elle précisé, en évoquant une certaine « tolérance » du ministère, même si ce dernier est « très investi dans la lutte contre les addictions et le tabagisme » a-t-elle ajouté.

« Tout cela est très encadré et s'applique pour une durée déterminée, circonscrite à l'actualité », a conclu cette porte-parole.

125 000 lycéens morts de la cigarette dans trente ans

« Cela va avoir des conséquences désastreuses », estime le Dr Alain Rigaud, président de l'Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie (ANPAA), lors d'un entretien téléphonique ce mercredi soir.

Pour ce médecin, la cigarette est en train d'effectuer « une nouvelle conquête de territoire, malgré la loi ».

« Le tabac concerne déjà près d'un tiers des lycéens français, et si les fumeurs reviennent dans les cours de récréation, des habitudes vont être prises, sans parler du risque que d'autres élèves les rejoignent », nous a expliqué ce médecin. « D'après les témoignages que nous avons reçus, il y aurait déjà une trentaine de lycées d'Île de France qui autorisent la cigarette, c'est beaucoup trop » a-t-il déploré.

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Reçu ce lundi au cabinet de la ministre de l'Éducation, Najat Vallaud-Belkacem, le Dr Rigaud nous a indiqué être ressorti « sans promesse concrète » de la part des autorités. « La cigarette est pourtant un fléau important, qui tue un fumeur sur deux à terme », s'est-il insurgé.

« D'ici trente ans, cela représente environ 125 000 lycéens français d'aujourd'hui qui mourront du tabac, c'est énorme comparé aux attaques terroristes », estime-t-il.

Haute surveillance

En France, les établissements scolaires sont sous haute surveillance depuis les attaques revendiquées par le groupe terroriste État Islamique (EI), qui ont fait 130 victimes à Paris et Saint Denis en novembre dernier. Les enseignants français ont notamment fait l'objet de menaces, en étant qualifiés de « corrupteurs » devant être « tués », dans le magazine de propagande de l'EI, Dabiq.

De nombreux lycées et collèges à Paris et en région ont par ailleurs été évacués ces dernières semaines — certains plusieurs fois en l'espace de quelques jours — suite à des menaces téléphoniques et de fausses alertes à la bombe.

À lire : Fausses alertes à la bombe dans les lycées : des infographies pour comprendre où en est l'enquête

Les chefs d'établissements inquiets

Pour le proviseur du lycée parisien Victor-Duruy, Philippe Tournier, secrétaire général du Syndicat national des personnels de direction de l'éducation nationale (SNPDEN), l'autorisation de fumer à l'intérieur du lycée relève surtout de la « nécessité ».

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« Vous devez imaginer que chaque jour, à travers toute l'Île de France, il y a des dizaines de milliers de lycéens qui sortent devant les lycées aux alentours de 10h30, ce sont des cibles faciles et spectaculaires », nous a-t-il dit ce jeudi. Suite aux attaques du 13 novembre, le SNPDEN avait informé le gouvernement de ses craintes relatives à la sécurité des élèves.

« Nous avons été entendus, mais il y a un problème de coordination qui subsiste entre les ministères de l'Intérieur, de l'Éducation et de la Santé », déplore-t-il. « C'est une mésentente au niveau de l'État. »

Interrogé sur le renforcement des mesures d'accompagnement des jeunes fumeurs — comme cela est demandé par certaines associations comme l'ANPAA —, Philippe Tournier émet de sérieuses réserves.

« Cela impliquerait de grandes réformes, car je ne sais pas comment on peut lutter contre le tabagisme quand on a une infirmière pour 300 élèves », a-t-il déploré. « De plus, pour une partie des lycéens, nous n'avons aucun droit de les retenir, s'ils veulent fumer dehors ils le feront de toute façon. »


Pierre Longeray a participé à la rédaction de cet article.

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