FYI.

This story is over 5 years old.

FRANCE

Attaque du train Amsterdam - Paris : Des médailles et des questions

Trois Américains et un Britannique ont été décorés de la Légion d'honneur par François Hollande, ce lundi matin à Paris, alors que l’enquête se poursuit et que le débat public se saisit des questions sécuritaires soulevées par l’attaque de vendredi.
Le président François Hollande et les 4 "héros" (Photo via Présidence de la République)

Trois Américains et un Britannique ont été reçus et médaillés par le président français François Hollande, ce lundi matin à Paris. Ces quatre hommes, présentés dans les médias comme les « héros du train », ont empêché Ayoub El-Khazzani — un Marocain de 25 ans lourdement armé — d'attaquer les passagers d'un train Thalys reliant Amsterdam à Paris vendredi soir. Une intention que le suspect de l'attaque nie. Dans ses premières déclarations faites aux enquêteurs et à son avocat il maintient une autre version : sans domicile fixe, il aurait trouvé son arme par hasard dans un parc, et aurait décidé de l'utiliser pour braquer les passagers du train.

Publicité

« Votre héroïsme doit être un exemple pour beaucoup, » a déclaré François Hollande ce lundi à l'attention de Spencer Stone, Alek Skarlatos — deux militaires en vacances —, leur ami Anthony Sandler, tous trois américains, et de Chris Norman, un citoyen britannique. Ils ont conjointement empêché l'attaque, désarmant puis frappant l'assaillant jusqu'à ce qu'il perde connaissance pour ensuite le ligoter. Avant de remettre la Légion d'honneur — la plus haute distinction civile du mérite en France — à ces quatre hommes, François Hollande est brièvement revenu sur le déroulé des événements.

François Hollande remet la Légion d'honneur à Alek Skarlatos (c) Présidence de la République

« Il [Ayoub El-Khazzani] avait suffisamment d'armes et de munitions pour provoquer un véritable carnage, » a déclaré le président français, « et c'est ce qu'il aurait fait si vous ne l'aviez pas maîtrisé en prenant tous les risques. »

Le président français a également tenu à « saluer » un autre passager — un Français désirant conserver l'anonymat — qui aurait été le premier à s'interposer face au terroriste présumé. Deux autres Français, des employés de la Société nationale des chemins de fer (SNCF) devraient eux aussi recevoir la Légion d'honneur prochainement.

La sécurité dans les trains en question

Ce lundi, l'incident a été largement commenté par les politiques et les acteurs de la société civile française. La polémique grandit autour du sujet de la sécurité dans les transports. Bertrand Monnet, directeur de recherche à l'École des hautes études commerciales (EDHEC) de Roubaix (Nord de la France) est spécialiste en management des risques criminels. Il explique ce lundi à VICE News pourquoi la France a, selon lui, « quatorze ans de retard en matière de sécurité ferroviaire ».

Publicité

D'après Monnet, la SNCF et l'État français doivent « inventer leurs propres méthodes de sécurité, comme l'ont fait les professionnels du secteur aérien. L'aérien a dépensé beaucoup de temps et d'argent dans la sécurisation des aéroports, dans la formation du personnel, tout cela depuis le 11 septembre 2001. » Pendant ce temps, rien ou presque n'a été fait pour les lignes ferroviaires françaises estime Monnet, « Les trains circulaient-ils sur une autre planète que la nôtre ? » se demande le spécialiste.

Le président de la SNCF, Guillaume Pepy, a déclaré ce dimanche que la mise en place de systèmes similaires à ceux des aéroports n'était « pas une piste sur laquelle il faut compter ». À la place, il a promis plusieurs mesures, comme la création d'un numéro d'urgence et davantage de messages incitant à la vigilance en gare.

Selon Monnet, il faudrait réfléchir à un « système [de sécurité] mixte », qui allierait des dispositifs de vidéosurveillance couplés à des équipes sur le terrain capables d'intervenir très rapidement. « Il n'y aura pas de portiques à l'entrée de chaque train, c'est techniquement impossible. » Pour le reste des méthodes, tout reste à inventer d'après le spécialiste qui parle d'un « véritable mont Everest en matière de sécurité ».

« Dans les jours qui viennent, les autorités vont très certainement placer des policiers en civil dans les trains, multiplier les contrôles ciblés, même si cela n'est pas annoncé, » estime Bertrand Monnet. Mais pour le chercheur, ces « mesures d'urgence » posent problème, alors que les autorités françaises sont déjà très sollicitées dans le cadre de l'opération Sentinelle (le plan de sécurité national déclenché suite à l'attaque contre Charlie Hebdo et l'Hyper Cacher en janvier dernier).

Publicité

Dans un communiqué publié au lendemain de l'attaque déjouée, le syndicat de police Alliance Police nationale a proposé une autre solution. Le syndicat demande que « les policiers en service mais également hors service puissent accéder gratuitement à tout type de transport en commun, » et plaide pour un assouplissement des restrictions concernant les armes de service, « afin d'assurer au policier de bonnes conditions d'intervention quelles que soient les circonstances. »

Le point sur l'enquête

Ce lundi après-midi, le suspect de l'attaque du Thalys de vendredi dernier, Ayoub El-Khazzani, est toujours en garde à vue à Levallois-Perret (banlieue parisienne) dans les locaux de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI). Le parquet antiterroriste français avait été saisi dès vendredi soir, mais El-Khazzani continue de réfuter le caractère terroriste de son action. Sa garde à vue peut durer jusqu'à ce mardi soir.

Il ressort des auditions d'El-Khazzani — fiché dans quatre pays (France, Belgique, Allemagne et Espagne) pour ses liens avec la mouvance islamiste radicale — qu'il voulait simplement détrousser les passagers du train. Il a expliqué aux enquêteurs qu'il aurait trouvé une kalachnikov dans un parc bruxellois, où il avait pour habitude de dormir.

El-Khazzani, 25 ans, est originaire de Tétouan au Maroc. À ses 18 ans, il était venu s'installer en Espagne avec sa famille. En 2010, il emménage à Algésiras, une ville d'Espagne près du détroit de Gibraltar, où il commence à fréquenter une mosquée classée comme radicale. Les services de renseignement espagnols lancent alors une surveillance rapprochée. Entre 2009 et 2013, il sera interpellé 3 fois par les autorités espagnoles pour trafic de drogue.

En février 2014, Ayoub El-Khazzani est embauché par une compagnie de téléphonie, Lycamobile, pour travailler en France (en Seine-Saint-Denis). Les services français rédigent alors une fiche « S [sûreté de l'État] » sur lui — cela ne signifie pas pour autant qu'il est directement surveillé, mais en cas de contrôle il peut faire l'objet d'un rapport discret. Rapidement, il se fait licencier et à partir de là ses trajets sont plus flous. Il serait parti en Syrie selon El Pais — ce que le suspect nie. À son retour de Syrie, début 2015, il se serait installé en Belgique. On retrouve ensuite sa trace le 10 mai 2015 à Berlin, alors qu'il embarque pour Istanbul en Turquie. Ensuite, plus de nouvelles de lui, jusqu'à vendredi dernier.

Suivez Pierre-Louis Caron et Pierre Longeray sur Twitter : @pierrelouis_c et @PLongeray