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VICE News

« Je vais rester ici » : témoignage d'un habitant de Diffa qui est face à Boko Haram

VICE News s’est entretenu avec le responsable d’une ONG qui nous a raconté les dernières heures, marquées par plusieurs attaques de Boko Haram.
Pierre Longeray
Paris, FR

Ce lundi 9 février, l'Assemblée nationale nigérienne réunie dans la capitale Niamey va se prononcer sur l'envoi de son armée au Nigeria voisin, pour combattre le groupe islamiste Boko Haram. Au petit matin de ce lundi, les islamistes ont attaqué — sans succès — la prison de la ville de Diffa au Niger, à quelques kilomètres de la frontière nigériane. Depuis le vendredi 6 février, Boko Haram tente de s'infiltrer au Niger par les villes frontalières de Bosso et Diffa, où se trouvent des militaires français.

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Le groupe veut mettre à mal les positions tenues par une armée nigérienne épaulée par de nombreuses troupes tchadiennes déployées le long de la frontière. L'attaque de cette nuit s'inscrit dans une série d'attaques sur la ville de Diffa, situé à l'extrême sud-est du Niger, dans la région du même nom. Depuis vendredi dernier, les militants du groupe islamiste ont redoublé leurs efforts, multipliant les attaques sur le pont de Doutchi. Ce pont est la porte d'entrée dans Diffa par le sud, il permet de traverser la rivière Komadougou Yobé, frontière naturelle entre le Niger et le Nigeria.

Au petit matin, lundi, des assaillants ont essayé de prendre la prison civile de Diffa mais ont été stoppés par les forces armées nigériennes. Selon des sources humanitaires citées par l'AFP, les assaillants auraient été repoussés, mais des échanges sporadiques de tirs continuaient de rythmer la vie à Diffa ce lundi matin.

La veille, le matin du 8 février, Boko Haram a pilonné la ville de Diffa à coups d'obus et un attentat à la bombe dans le Marché aux poivrons de la ville aurait fait au moins un mort et une dizaine de blessés selon les autorités locales. Quelques minutes plus tard, dans la matinée de ce dimanche, le ministre de la Défense nigérien Mahamadou Karidjo, en déplacement à Diffa, se serait retrouvé sous le feu de Boko Haram sur le fameux pont de Doutchi.

Lors de la seule journée de vendredi, pendant laquelle Boko Haram avait tenté de pénétrer dans les villes frontalières de Bosso et Diffa, 109 assaillants du groupe islamiste ont été tués a annoncé Mahamadou Karidjo lors d'une allocution à la télévision publique. Le ministre a aussi précisé que quatre militaires avaient été tués sans dévoiler leurs nationalités, et qu'un civil avait péri dans les combats.

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Depuis la semaine dernière, la menace de Boko Haram se répand dans la région. Mercredi 4 février au petit matin, la secte islamiste s'était introduite au Cameroun voisin, avant d'être finalement repoussée par l'armée tchadienne, présente en appui des Brigades d'intervention camerounaises.

Dans le même temps, la riposte régionale s'organise. Réunis à Yaoundé samedi 7 février, les représentants de la force multinationale mixte (la FMM, composée du Bénin, Cameroun, Niger, Nigeria et Tchad) montée pour lutter contre Boko Haram se sont accordés sur la mobilisation de 8 700 hommes (militaires, police et civils) — une décision qui doit être maintenant validée par le Conseil de sécurité de l'Union Africaine puis de l'ONU.

En milieu de journée ce lundi, Abubkar Shekau, le chef de Boko Haram, s'est moqué dans une vidéo de cette coalition régionale qui « ne mènera à rien » selon ses dires.

Sur les coups de 14h30 ce lundi, nous avons joint un Nigérien d'une quarantaine d'années, éducateur pédagogique, membre d'une ONG, il vit et travaille à Diffa. Il est revenu sur les événements de ces dernières heures sous couvert d'anonymat pour des raisons de sécurité.

VICE News : Comment décririez-vous la situation ce lundi après-midi ?

Cela s'était un peu calmé ce midi. Les gens ressortaient dans la rue. On vient d'entendre une grosse explosion du côté de la gare et on voit de la fumée. La situation est très critique depuis vendredi. Les gens sont inquiets, certains partent vers l'Ouest — surtout les jeunes — mais cela reste une petite minorité. Personnellement, je vais rester ici et j'essaye d'encourager les gens à en faire de même. Si nous partons, on facilite le travail de Boko Haram.

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Y a-t-il des sympathisants de Boko Haram dans cette région du Niger ?

Oui, côté nigérien il y a beaucoup de personnes qui sont pro-Boko Haram. En réalité, tout ce qui se passe au Nigeria est facile à transporter au Niger. Les deux peuples ont énormément de choses en commun — une même ethnie, la même religion, les mêmes activités socio-économiques et la même culture — ce qui rend la frontière très poreuse. Les islamistes de Boko Haram ont un mode opératoire bien particulier : infiltrer la population pour sortir collectivement et mener une attaque. Un peu comme ils l'ont fait cette nuit quand ils ont essayé de prendre la prison. N'ayant pas pu accéder à la ville par le pont, gardé par un important dispositif, ils se sont infiltrés.

Que pensez-vous de la mobilisation nationale et régionale pour combattre Boko Haram ?

Malheureusement, l'armée nigérienne n'est pas très puissante et ne peut certainement pas déstabiliser Boko Haram seule. La population souhaite avant tout chose que notre armée défende nos frontières avant d'aller combattre Boko Haram sur ses terres. La vraie nécessité maintenant c'est d'obtenir le soutien de la communauté internationale et d'obtenir un soutien en matière de logistique et de renseignement. Quoi qu'on en dise, les Occidentaux sont indispensables pour le renseignement. Selon moi la coalition de pays africains [de la FMM] ne sera pas suffisante.

Suivez Pierre Longeray sur Twitter : @PLongeray