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Suisse

Pourquoi la bourse suisse vient de s’effondrer

Sans prévenir personne, la Banque Nationale Suisse a abandonné un outil de contrôle de la variation de la valeur de sa monnaie. L’affaire est technique, mais les conséquences sont limpides.
Pierre Longeray
Paris, FR
photo via Flickr / Martin Abegglen

L'affaire est technique, mais les conséquences sont limpides, ce jeudi 15 janvier la Banque Nationale Suisse (BNS) a annoncé qu'elle mettait fin à un dispositif de contrôle de la valeur de sa monnaie. Concrètement, la valeur de la monnaie suisse a pris en un instant 30 %, pour un pays qui dépend beaucoup de ses exportations (qui ne se limitent pas au chocolat et aux montres) c'est un mauvais signe. Si le chocolat suisse vaut 30% plus cher, vous en achèterez probablement moins. Ce noir scénario a fait plonger la bourse du pays de près de 12 pour cent, le cours s'est depuis un peu repris.

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Pour comprendre ce qu'il s'est passé, il faut remonter plusieurs années en arrière. À l'été 2011 l'économie européenne est plongée dans la crise, les marchés financiers, alors très instables, se précipitent sur le franc suisse qui fait office de « valeur refuge ». La spéculation sur le franc suisse commence. À l'époque la parité franc suisse - euro était régulièrement atteinte. Cette ruée sur la monnaie helvète fait alors mécaniquement monter le cours du franc suisse et c'est toute l'économie suisse qui risque d'en pâtir. Les entreprises suisses fonctionnent principalement grâce aux exportations : avec un franc suisse fort, les entreprises ne sont plus compétitives parce que trop chères.

Estimant que la crise va durer, la banque centrale helvète met en place en septembre 2011 ce « taux plancher » pour protéger son économie et empêcher les mouvements spéculatifs. Ce mécanisme fonctionne de la manière suivante : la BNS va artificiellement empêcher le franc suisse de « s'apprécier » par rapport à l'euro en bloquant les mécanismes de marché qui sont généralement responsables de l'oscillation des cours des monnaies. Ainsi, pendant 3 ans l'économie suisse se trouve protégée : le prix des marchandises « made in Switzerland » reste stable, le cours du franc suisse permet ainsi aux entreprises de rester compétitives.

La BNS avait annoncé dès 2011 que ce dispositif monétaire serait temporaire et a décidé d'y mettre un terme ce jeudi 15 janvier. C'est une surprise totale selon l'économiste Vincent Giret qui s'exprimait ce matin sur France Info. Les marchés ne s'y étaient pas préparés, ce qui n'a pas adouci la chute du cours de la Bourse zurichoise. La confiance des marchés dans les entreprises suisses est au plus bas. Puisque le franc suisse s'est apprécié de près de 30% suite à la décision de la BNS, les prix à l'exportation des biens produits par les firmes helvètes sont mécaniquement 30% plus chers.

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Pendant plus de 3 ans, 1 euro valait au minimum 1,20 franc suisse. Vendredi 16 janvier, au lendemain de l'abandon de ce dispositif, la parité a quasiment été atteinte, 1 franc suisse suffit désormais pour « acheter » 1 euro.

Contactée par VICE News, Agnès Bénassy-Quéré professeure d'économie à l'École d'économie de Paris (PSE), note que « Le marché a réagi immédiatement, en réalité le franc suisse était sous-évalué », par rapport au niveau auquel il était maintenu par le taux plancher. La BNS a tenté un pari raté en pensant que la monnaie suisse n'était plus surévaluée. « La zone euro est encore aux prises avec de graves incertitudes, le franc suisse retrouve alors sa place de monnaie refuge, » explique l'économiste.

De son côté, Henri Sterdyniak, économiste à l'OFCE, explique à VICE News que le yen japonais connait régulièrement des crises semblables, « La monnaie nippone s'apprécie très fortement par rapport au dollar puis la situation revient peu à peu à la normale. »

Agnès Bénassy-Quéré explique que tout le monde n'est pas forcément perdant, « Les consommateurs suisses vont pouvoir profiter d'importations moins chères, et certains secteurs d'activité qui fonctionnent grâce à l'importation et vendent sur le marché intérieur vont pouvoir bénéficier de cet envol du cours de la monnaie suisse. Cela dépend vraiment des secteurs d'activité. »

Une source helvète proche du dossier contactée par VICE News a confirmé que la décision de mettre fin au taux plancher a été prise à cause des disparités entre les politiques monétaires. Aux États-Unis, l'économie est de plus en plus robuste et la Fed (la banque centrale américaine) a fait augmenter ses taux d'intérêt. Au contraire, la Banque Centrale européenne (BCE) cherche un assouplissement en injectant plus de liquidités dans le marché européen alors que les taux d'intérêt de la BCE sont déjà à quasi 0%. Cette source affirme par ailleurs que dans ce contexte, le taux plancher n'est plus l'instrument adéquat pour remplir la mission première de la BNS : la stabilité des prix pour les Suisses.

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L'économiste Henri Sterdyniak estime que « 1 euro à 1,15 franc suisse est tenable pour l'économie suisse, mais la parité actuelle est létale. »

Conséquence plus étonnante de ce raté de la BNS, des pays comme la Pologne et la Croatie souffrent de la fin du taux plancher. Bénassy-Quéré explique : « Les Polonais et les Crotates se sont endettés en francs suisses parce que les taux d'intérêt étaient plus bas. Avec la revalorisation de la monnaie suisse, ils se trouvent mis sous pression. »

Les Français frontaliers qui travaillent en Suisse et sont payés en francs suisses peuvent eux se féliciter de la hausse soudaine de leur pouvoir d'achat.

Pour en savoir plus sur le poids de la devise Suisse sur les relations avec les frontaliers français, regardez ce reportage du Point Quotidien, l'émission de VICE et France 4.

La Suisse « zéro frontalier »

Le Point Quotidien, tous les soirs de la semaine sur France 4.

À revoir : tous les épisodes du Point Quotidien sur VICE.

Suivez Pierre Longeray sur Twitter @PLongeray

Photo via Flickr / Martin Abegglen