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« C’est très difficile » : des centaines de migrants réfugiés dans une église au Maroc après une opération de police

Expulsés la semaine dernière d’un quartier de Tanger, ils se sont réfugiés dans une église espagnole de la ville. Sur place, un responsable de la paroisse nous décrit une situation précaire pour les migrants et ceux qui les aident.
Clocher de l’église espagnole Del Espiritu Santo à Tanger. Photo via le site du diocèse de Tanger.

Une semaine après une opération de police qui les a délogés d'un quartier de Tanger —pointe nord du Maroc, non loin de l'enclave espagnole de Ceuta — ce sont près de 600 migrants venus d'Afrique subsaharienne qui seraient toujours sans abri et presque sans ressources, massés autour d'une église espagnole de la ville.

Certains d'entre eux, notamment des femmes et des enfants, ont trouvé refuge, suite à cette opération, à l'intérieur même de l'Iglesia del Espiritu Santo (« église du Saint-Esprit »). Ils s'y trouvent encore ce lundi.

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VICE News a contacté en fin de matinée, le frère Antonio Alcade Contreras, qui est le gardien de cette église espagnole à Tanger. Joint par téléphone il nous explique qu'« Il y a une quarantaine de personnes à l'intérieur de l'église aujourd'hui. Les autres sont dans la rue, beaucoup restent autour de l'église ».

Antonio Alcade Contreras a par ailleurs indiqué que l'église avait sollicité l'aide du diocèse de Rabat (la capitale du Maroc) afin de trouver une solution « le plus vite possible. » C'est la nourriture et l'eau qui manquent le plus, alors que la température à Tanger était encore de 35 degrés ce lundi.

Il explique que pendant plusieurs jours, les migrants étaient beaucoup plus nombreux à l'intérieur du bâtiment en journée, devant cohabiter dans des conditions de vie extrêmement précaires.

Les hommes devaient trouver un autre endroit où passer la nuit, faute de place dans l'église. En revanche, les femmes seules ou enceintes pouvaient et peuvent toujours dormir à l'intérieur. Selon certains témoignages de migrants, il n'y avait ce week-end, qu' « une seule douche pour 600 personnes ».

Ce lundi, d'après le frère Antonio Alcade Contreras, il est difficile d'estimer le nombre de migrants qui ont besoin d'aide, car les groupes se sont depuis dispersés dans et autour de la ville. Certains médias marocains évoquent par exemple la présence de migrants aux abords de l'aéroport Ibn Batouta, à moins d'un kilomètre du quartier évacué la semaine dernière.

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Une opération policière visant ces migrants avait débuté le 29 juin dernier avec l'évacuation du quartier de Boukhalef et s'était poursuivie vendredi dernier dans le quartier d'Al Irfane à l'ouest de la ville. Tanger est une étape sur le parcours de nombreux migrants qui désirent atteindre l'Europe en traversant la mer Méditerranée, plutôt qu'en tentant de passer par-dessus les barrières des enclaves espagnoles proches de Tanger.

Regardez le reportage de VICE News - Les grilles de l'Espagne

Face à l'occupation massive de certains immeubles de Tanger par les migrants, le ministère de l'Intérieur marocain avait sommé les « ressortissants subsahariens » d'évacuer « immédiatement » les appartements occupés de manière illégale. 24 heures plus tard, le 30 juin, les policiers marocains auraient évacué 85 appartements. Les autorités ont déclaré avoir saisi « des canots pneumatiques, des moteurs et des rames utilisés dans les opérations d'émigration clandestine. »

En marge de l'opération — qui aurait mobilisé près de 2 000 policiers — deux hommes venus de Côte d'Ivoire sont décédés. Pour l'un d'eux, la mort semble avoir été causée par un « objet tranchant ». Contacté par VICE News ce lundi , le gouvernorat de Tanger-Tétouan a confirmé pour ce cas, l'ouverture d'une enquête interne, sans apporter d'autres précisions. En ce qui concerne la deuxième personne qui semble avoir été victime d'une chute, le gouvernorat n'a pas souhaité commenter pour le moment.

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Le ministère de l'Intérieur a déclaré dans un communiqué datant du 2 juillet que les évacuations s'étaient déroulées « de manière humaine » et dans des conditions « normales ».

Ce n'est toutefois pas l'avis du Groupe antiraciste de défense et d'accompagnement des étrangers et migrants (Gadem), une ONG marocaine basée à Rabat qui a dénoncé le caractère « haineux » des expulsions, parfois effectuées « à la demande des voisins ». Le Gadem dénonce également la montée d'un « climat d'intolérance et de haine raciale » dans le pays.

L'atmosphère s'est tendue ces dernières semaines dans cette ville au nord du Maroc. La presse espagnole rapporte qu'à Tanger, la « coexistence est presque impossible » entre les migrants et les riverains marocains. Une manifestation en vue de « chasser les Noirs hors du quartier » aurait eu lieu ce samedi, visant également les subsahariens qui disposent d'un contrat de location.

D'autres manifestations — parfois violentes — ont déjà éclaté le mois dernier, comme celle du 21 juin lors de laquelle des habitants du quartier Boukhalef auraient saccagé plusieurs appartements habités par des migrants.

L'Église du Saint-Esprit mène depuis plusieurs mois un combat pour aider les migrants et améliorer leur statut au sein de la société marocaine. Nommé archevêque de Tanger par le Pape Benoit XVI en 2007, Santiago Agrela Martinez avait déjà condamné les « tragédies » observées aux abords de l'enclave espagnole de Ceuta, et plus particulèrement la mort de 14 migrants venus d'Afrique subsaharienne qui s'étaient noyés après avoir reçu des tirs de balles en caoutchouc provenant de la garde civile. Des concerts et une exposition sur le phénomène migratoire avaient notamment été organisés par l'église.

Signataire d'un accord d'association avec l'Union Européenne, le Maroc s'engage depuis plusieurs années à accepter sur son territoire le retour des candidats à l'immigration illégale. Le royaume lutte également contre les filières d'immigration illégales avec ses propres moyens. En contrepartie, l'Union Européenne verse 180 millions d'euros par an au pays dans le cadre d'un plan de développement.

Depuis l'été 2014, les garde-côtes espagnols font face à une affluence majeure de migrants qui tentent de gagner l'Europe à bord des « carretas del mar » (littéralement les « charrettes de la mer »), des embarcations fragiles et souvent bondées.

Suivez Pierre-Louis Caron sur Twitter : @pierrelouis_c

Clocher de l'église espagnole Del Espiritu Santo à Tanger. Photo via le site du diocèse de Tanger.