Calais : Une journée dans la classe des enfants migrants
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Calais : Une journée dans la classe des enfants migrants

Le centre d’accueil Jules-Ferry, qui jouxte la « Jungle », a ouvert il y a trois semaines une classe dédiée aux enfants et adolescents migrants.
Pierre Longeray
Paris, FR

Pour la plupart des écoliers de France, le mois de juin est généralement synonyme de fin d'année scolaire. Mais ce mardi matin, dans la salle de classe du centre de réfugiés calaisien Jules-Ferry, il règne une ambiance de rentrée.

Posé au coeur de la zone du centre réservée aux femmes et aux enfants, non loin de la sordide « Jungle », on trouve un double modulaire qui fait office de salle de classe. Il accueille depuis le 23 mai une petite cinquantaine d'écoliers venus du monde entier. Ce mardi, ils sont une dizaine — principalement érythréens et soudanais — à arriver en classe sur les coups de 11 heures.

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Si la classe commence plus tard à Jules-Ferry, c'est que les enfants et leurs parents passent la plupart de leurs nuits à essayer désespérément de se frayer un chemin jusqu'en Angleterre, en faisant appel à un passeur, ou en essayant de monter dans un camion qui s'apprête à s'engouffrer dans le tunnel sous la Manche.

« Et ça, c'est quoi ? En anglais, on appelle ça un "monkey", » lance Constance, la trentaine. C'est l'une des deux enseignants de cette classe polyglotte. Elle pointe du doigt une carte pleine d'animaux dessinés. « Un singe, » répondent en coeur les élèves assis autour d'elle sur de petits bancs gris.

Dans la classe de Constance et Sylvain (l'autre professeur de 51 ans), recrutés par l'Éducation nationale, on parle le français le plus possible. Mais on s'appuie parfois sur l'anglais pour se faire comprendre des enfants qui parlent une multitude de langues ou de dialectes, mais qui maîtrisent tous l' « anglais de la Jungle » comme le résume Sylvain.

« Ces enfants sont des éponges »

Une fois que tout le monde est arrivé, les élèves âgés de 6 à 12 ans se présentent un par un, en français, devant leurs camarades. « Je m'appelle Idris*Je suis Érythréen, j'ai 8 ans, je suis un garçon, » débite un petit bonhomme rieur, debout au milieu de ses camarades.

Puis c'est au tour des professeurs de se présenter. « Je m'appelle Constance et je suis un tigre, » dit la maîtresse. Les écoliers se regardent bizarrement, puis crient en coeur « Non ! C'est une fille » après un petit temps d'hésitation et un peu d'aide de Sylvain.

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En à peine trois semaines de cours, entre 11 heures et 15 heures 30 du lundi au vendredi, ces enfants qui ne connaissaient pas un mot de français font des progrès impressionnants, note au fond de la classe, Stéphane Duval, le patron du centre Jules-Ferry, que les migrants surnomment affectueusement « Big Boss ».

« Ces enfants sont des éponges, » nous explique Sylvain, qui s'étonne encore de la facilité avec laquelle ses élèves s'approprient le français et les autres langues. « Après l'école, quand les enfants jouent ensemble, ils se parlent en grec, » nous fait remarquer un éducateur de La Vie Active, l'organisme qui gère le centre Jules-Ferry.

En effet, la plupart des enfants de Jules-Ferry sont passés par la Turquie puis par la Grèce pour atteindre l'Europe, où ils ont parfois été périodiquement scolarisés. Depuis un récent accord signé entre l'Union européenne et la Turquie, la majorité des nouveaux arrivants sont eux passés par la voie libyenne, risquant une traversée mortelle de la Méditerranée sur des canots de fortune.

Retrouver un rythme de vie

« Adam*, tu te calmes, » dit fermement Constance à l'adresse d'un élève un peu turbulent qui ne tient plus trop en place après une demi-heure de cours de français. « L'idée est de les traiter comme des élèves normaux peu importe les traumatismes qu'ils ont connus. Tout le monde est traité de la même manière, notamment au niveau du comportement. Cela permet d'insuffler de la normalité dans une situation qui ne l'est pas, » nous confie Constance.

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Retourner à l'école permet à ces enfants de retrouver un cadre, un rythme de vie, qui leur fait terriblement défaut depuis le début de leur périple. « Avant le début de la classe, les enfants jouaient souvent dehors la nuit et dormaient la journée. Résultat, ils étaient totalement décalés, » se rappelle une éducatrice de La Vie Active. « Avec le début de la classe, c'est un peu en train de changer. »

Après une petite heure de français et de mathématiques, les élèves passent dans la salle d'à côté et doivent dire si les phrases projetées sur le mur sont vraies ou fausses. « Christine est dans la classe, » s'affiche en lettres blanches sur un fond bleu.

Christine c'est l'inspectrice qui observe les professeurs depuis le fond de la classe. Les écoliers confondent « dans » et « danse ». Le quiproquo invite Christine à improviser une petite danse sur l'air du Pont d'Avignon avec Sophia*, une jeune Érythréenne de 12 ans. Sylvain joue de la flûte.

L'ambiance est détendue, les enfants semblent oublier leur situation quand ils sont dans la classe. Mais une autre réalité de leur quotidien n'est jamais bien loin. Ce mardi matin, des confrères d'une chaîne de télévision française sont aussi présents dans la salle de classe. Quand ils sortent leur caméra, les enfants remettent tous leurs capuches, se tournent et demandent à ne pas être filmés.

Comme leurs parents, les enfants ont intégré le fait que la protection de leur identité est un véritable enjeu. En effet, pour espérer passer dans un autre pays, il ne faut pas que les autorités bénéficient de preuves — comme une photo ou une vidéo — qu'ils ont mis le pied en France. « Pour la classe, on demande seulement les prénoms, mais pas les noms de famille, » indique Sylvain.

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Une classe unique en France

À 12 heures 30, Constance indique qu'il est l'heure d'aller manger. « Oh no, » lâchent quelques enfants qui auraient bien voulu rester encore un peu en classe. Alors que les petits vont rejoindre leurs mamans dans cette zone du camp réservée aux femmes, les professeurs rejoignent les éducateurs de La Vie Active.

Dans cette étonnante salle des profs, on discute de lait premier âge pour une résidente du camp qui a accouché récemment, mais aussi de la difficulté d'évaluer la progression des élèves et de créer des programmes adaptés à cette classe « unique en France », comme le note Constance.

« On est un cas particulier parmi des cas déjà particuliers comme celui des élèves d'allophones [Ndlr, des enfants qui ne parlent pas français récemment arrivés en France], » résume Sylvain. « Pour moi, c'est comme enseigner à une grande famille, certains avancent plus vite que d'autres. On peut imaginer que les plus grandes [Ndlr, les élèves les plus âgées de la classe sont des filles] pourront aider les plus petits, mais pour le moment elles veulent apprendre pour elles-mêmes, ce qui est normal. »

Vers 13 heures 30, les enfants du matin reviennent en classe, accompagnés de deux mineurs isolés afghans de 14 ans, qui résident dans le camp des conteneurs ouvert en janvier dernier, suite à l'évacuation d'une partie de la Jungle. « Généralement il y a plus d'ados, » note Sylvain. Mais pour les ados, l'école n'est pas facile d'accès, puisqu'ils doivent être accompagnés d'un éducateur pour rentrer dans la zone réservée aux femmes et aux enfants, où se trouve l'école.

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Fête de la Musique oblige, des percussions résonnent au loin, alors que la classe reprend. Sylvain dicte en anglais une phrase que les élèves doivent écrire en français, un drôle d'exercice de gymnastique linguistique. « An apple is a fruit, » lance Sylvain. Les regards se croisent, les sourcils se froncent. Une minute plus tard, un petit réussi l'exercice et lâche un grand « Yes ! » de soulagement.

Après plusieurs exercices de français, la session de l'après-midi se finit sur un exercice de mathématiques, emprunté à l'émission Des Chiffres et des Lettres. Il s'agit d'arriver à un chiffre en multipliant, additionnant ou divisant cinq autres. Les deux ados afghans, c'est leur deuxième jour en classe, y arrivent rapidement et viennent écrire la solution au tableau.

Il est 15 heures 30, c'est la fin de la journée d'école. Les enfants traînent un peu, et les professeurs soufflent. « Il faut avouer que physiquement c'est éprouvant, il faut être sans cesse pertinent pour ne pas perdre leur attention, » explique Constance. « C'est pour ça qu'on leur offre des petits moments de folie comme quand on chante et on danse. »

Les enfants partis, Sylvain et Constance ferment leur double salle de classe et rejoignent leurs voitures en réfléchissant à l'un des plus grands défis de leur mission ici : comment faire progresser une classe dans laquelle les élèves peuvent arriver et partir du jour au lendemain ?

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« Le plus important c'est d'avoir un petit noyau dur comme celui qu'on a aujourd'hui, » explique Constance. « Cela permet d'intégrer plus facilement les nouveaux élèves dans la classe. »

Tout au long de la journée, un détail sémantique marque. Au centre d'accueil Jules-Ferry, on ne parle pas d' « école » mais de « classe », comme le rappelle Constance. Comme le centre d'accueil, la classe a effectivement une vocation « transitoire » pour accompagner ceux qui y passent, en espérant qu'ils trouvent une situation, et une « école », plus pérennes.

* Les prénoms ont été changés

Toutes les photos sont de Pierre Longeray.

Suivez Pierre Longeray sur Twitter : @PLongeray