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Crime

« Ceux qui arrivent ici veulent devenir des fantômes »: Le business des passeurs de Milan

VICE News est allé à la rencontre de migrants et de bénévoles aux alentours de la gare centrale de Milan — nouvelle plaque tournante du business des passeurs.
Photo par Matteo Congregalli

La gare de Milan-Centrale — un énorme bâtiment de 65 000 mètres carrés derrière une majestueuse façade de pierre — peut se vanter d'être l'un des principaux centres ferroviaires en Europe. Plus de 300 000 personnes passent chaque jour sous les arcs de son grand hall.

Aujourd'hui, mélangée aux hordes de touristes et de banlieusards, une autre sorte de voyageur remplit la gare. À mi-chemin entre la côte libyenne et l'Europe du Nord, Milan est devenu une escale importante pour les migrants et un marché florissant pour les passeurs.

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Les trains et les bus relient la ville au sud de l'Italie, où les centres d'accueil débordent de migrants à peine débarqués. En même temps, la France, l'Allemagne et l'Autriche sont à quelques heures de voyage en train ou en voiture. Un billet de train de Milan à Paris coûte à peine 40 euros et un trajet vers Munich, environ 100 euros. Mais pour les réfugiés qui fuient la guerre en Syrie et en Libye, la dictature en Érythrée ou la violence en Somalie, ces destinations pourtant proches paraissent inaccessibles.

L'Allemagne vient de renforcer ses dispositifs de sécurité à la frontière avec l'Autriche. Depuis que l'Allemagne a suspendu les accords de Schengen, la police fait des descentes dans les trains et surveille les postes frontaliers afin de réduire le flux de migrants venus des Balkans et de la Méditerranée. D'après le ministère de l'intérieur Italien, 116 149 migrans et réfugiés sont arrivés en Italie au cours des huit premiers mois de l'année.

Un groupe de migrants venus de Syrie, de la bande de Gaza et d'Irak posent pour une photo au 'Hub.' Le Hub est une clinique de premiers soins près de la gare de Milan-Centrale. Ici, les migrants reçoivent de l'aide avant d'être dirigés vers des centres d'hébergement provisoire. Photo de Matteo Congregalli.

Le nombre important de migrants, ainsi que les obstacles de plus en plus nombreux sur la route de l'Europe de l'ouest, créent les conditions du développement de méthode de passage de frontières alternatives. Les passeurs sont plus que ravis de pouvoir proposer leurs services. À quelques centaines de mètres de la Stazione Centrale se trouve une clinique de premiers soins, où des volontaires distribuent des habits propres et de la nourriture aux migrants. L'endroit a été surnommé le "Hub" par la municipalité.

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Devant le Hub se trouve une pancarte où l'on peut lire "Emergenza Migranti" – Urgences Migrants. D'ici, les migrants sont envoyés vers des centres d'hébergement provisoires, où ils passent généralement quelques nuits avant de repartir.

Une atmosphère de peur et de confusion règne. Certains migrants ont la peau brûlée pour avoir été trop longtemps au soleil lors de leur traversée de la Méditerranée. Ils ont peur d'être arrêtés, identifiés et qu'on relève leurs empreintes digitales. Cela les soumettrait au règlement de Dublin, qui stipule que les migrants doivent déposer leur demande d'asile dans le pays par lesquels ils sont entrés en Europe. Mais la plupart des migrants ne veulent pas rester en Italie qui, « malheureusement a très peu ou rien à leur offrir, »selon Fulvia, l'une des volontaires de Hub.

Les migrants veulent être le moins visible possible. « Ceux qui arrivent ici veulent devenir des fantômes, » explique Ariam, un Italien dont la famille est originaire d'Érythrée. « Ils veulent partir d'ici, et vite. »

Les gens hésitent sur la méthode à choisir pour atteindre leur destination finale. Ahmal, un quadragénaire Syrien nerveux et crispé, est au téléphone près d'une fenêtre, loin des autres. Les bénévoles de Save The Children s'occupent de ses enfants, sa femme se repose. Le voyage pour arriver ici a été épuisant. Ahmal nous explique qu'il cherche désespérément à quitter la ville. Un ami sert d'interprète. « Combien coûte un billet d'avion pour aller en Allemagne ? » me demande-t-il.

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Je gribouille « 600 euros » sur mon carnet : un chiffre approximatif. Il répond en arabe, me demande si je peux acheter les billets pour lui. Mais ses compagnons de voyage l'interrompent pour lui rappeler qu'il n'a pas de visa.

Une famille syrienne se repose dans un centre d'hébergement temporaire, à Milan. Photo de Matteo Congregalli.

Avec peu d'options mais une détermination inébranlable, les migrants comme Ahmal font appel aux passeurs pour rejoindre les pays comme la Suède ou l'Allemagne. La plupart des migrants que nous avons rencontré au Hub ont déjà payé 2 000 euros pour traverser la Méditerranée à bord d'embarcations dangereuses et bondées.

Masood, qui vient d'Irak, nous explique qu'il a fui Mosoul lorsque la ville a été capturée par l'État Islamique. Il s'est d'abord rendu en Égypte, avant de rejoindre la Sicile. « Il y avait 450 personnes sur le bateau. Le moteur est tombé en panne au milieu de la mer. » Ils ont passé neuf jours à la dérive, avant d'être secourus par les garde-côtes italiens.

Une fois arrivé à Milan, les travailleurs humanitaires lui ont déconseillé de faire appel à un passeur et lui ont recommandé de prendre le premier train vers le nord. « Mais c'est très difficile, il y a la police dans les trains, » nous explique-t-il. « Si je ne trouve pas de solution pour partir, je chercherai un passeur qui puisse m'emmener en voiture. »

Ici, trouver un passeur est facile. La plupart du temps, c'est le passeur qui trouve ses clients. Les passeurs s'infiltrent au sein de la communauté et même parfois dans les centres d'accueil, d'après les travailleurs humanitaires à qui nous avons parlé. « C'est assez facile d'entrer dans un centre d'accueil. Il n'y a pas tellement de contrôles, » explique une bénévole, qui a choisi de garder l'anonymat. « Tout ce qu'il faut pour entrer, c'est un bout de papier avec votre nom dessus. Techniquement, si vous donnez votre papier à quelqu'un d'autre et en demandez un nouveau, ce 'quelqu'un d'autre' peut accéder au centre sans que personne ne le sache. »

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Aidés par les forces de sécurité italiennes, les centres d'accueil font de leur mieux efforts pour mettre fin aux pratiques agressives des passeurs. Massimo Chiodini dirige un centre d'hébergement temporaire qui accueille aujourd'hui des centaines de migrants d'Érythrée, de Syrie et d'Afrique subsaharienne. « L'année dernière, c'était fou, »se souvient-il. « Quand le centre était plein, on avait des camions juste devant nos portes qui attendaient pour récupérer nos résidents et les conduire en Allemagne. Les passeurs négociaient dans la rue d'en face. »

Les bénévoles enregistrent le nombre et la nationalité des résidents dans un centre d'accueil de Milan. Photo de Matteo Congregalli.

Mais c'est au sein des communautés immigrées locales que les passeurs affichent leurs services. « Quand on pense au trafic [d'êtres humains] en Italie, on pense tout de suite à la mafia, » explique Giampaolo Musumeci, journaliste et autour du livre, Trafiquants d'hommes. « En réalité, quand vous avez déjà parcouru des milliers de kilomètres et traversé deux continents, vous allez faire confiance à l'un de vos compatriotes syrien, érythréen ou ougandais pour vous amener à votre destination finale. Pas a un homme blanc sicilien. »

On devient passeur assez naturellement et les trafiquants sont généralement des membres des communautés immigrées. « Au départ un passeur est tout simplement quelqu'un cherche à aider ses compatriotes, » explique Musumeci. « Il ne le fait pas pour se faire de l'argent. Mais à un moment donné, il commence à recevoir des dons de ceux qu'il a aidés. Il y a un déclic. Il s'aperçoit qu'il peut se faire énormément d'argent. »

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Le manque d'argent renforce l'incertitude dans laquelle vivent les réfugiés. Beaucoup des migrants rencontrés par VICE News se sont retrouvés coincés à Milan par manque de fonds.

Ce sont généralement les familles des migrants qui financent leur voyage à l'aide de virements électroniques. « Mais il y a un plafond pour ces virements, » note Salvatore, qui travaille pour une organization bénévole qui porte assistance aux réfugiés érythréens. « Il y a un système bien rodé qui repose sur des destinataires factices. »

Les familles font des virements multiples à plusieurs personnes en ville. Ces faux bénéficiaires prennent une première commission sur le virement. Le propriétaire du magasin, lui, facture sa part au client. « Tu vois? C'est un vrai business, » explique Salvatore. « Imagine le nombre de migrants qui passent chaque jour par Milan. Si tu touches même 5 pour cent de [ce que] chacun d'entre eux [dépense], tu seras vite riche. »

Des migrants syriens luttent contre l'ennui en jouant aux cartes dans un centre d'accueil de Milan. Photo de Matteo Congregalli

Le mois dernier, la police italienne a démantelé un énorme réseau de trafiquants au sein de la communauté érythréenne de Milan et a procédé à l'arrestation de 25 personnes. L'opération — nommée Sahel — a mis au jour un réseau extrêmement efficace de trafiquants érythréens, s'étendant de la Sicile jusqu'à Milan et au-delà.

Les trafiquants infiltraient des centres d'accueil en Sicile et transportaient les migrants d'Italie du Sud jusqu'à la gare Stazione Centrale de Milan en moins d'une journée, à bord de bus ou de trains. À leur arrivée, les migrants repartaient ensuite vers l'Allemagne ou dans le reste de l'Europe, à bord de voitures ou de camions.

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Des cafés internet et des bars du quarter de Porta Venezia, à Milan servaient d'écran aux opérations des trafiquants. Surnommé la Petite Érythrée, le quartier de Porta Venzia est au coeur de la communauté érythréenne installée à Milan. Au début du mois, Interpol et Europol se sont engagés ensemble à « endiguer les groupes criminels qui introduisent et distribuent les migrants dans toute l'Europe, » selon le directeur d'Europol, Rob Wainwright.

En 2015, Europol a identifié près de 30 000 trafiquants d'êtres humains présumés. « Une grande partie de notre mission concerne ce que nous appelons la distribution secondaire de migrants et de réfugiés, » a dit Wainright, lors d'un entretien avec la station radio irlandaise NewsTalk. Il a ajouté que cette mission s'inscrivait dans le cadre plus large de la lutte contre le trafic terrestre. Selon Wainwright, Europol et Interpol sont confrontés à des organisations toujours plus sophistiquées et de moins en moins scrupuleuses. Ces organisations, note-t-il, sont de plus en plus agiles, internationales et innovantes et ont maîtrisé l'utilisation de nouveaux outils, tels que les réseaux sociaux.

Quelques semaines plut tôt, le quotidien britannique The Guardian avait révélé que des trafiquants érythréens menaient leurs opérations à quelques centaines de mètres du bureau d'Europol à Catane. Malgré l'acharnement des autorités, le trafic d'êtres humains en Italie ne semble pas près de s'arrêter. Pour Alessandro Giuliano, directeur de l'Opération Sahel, « Il ne suffit pas d'arrêter 25 personnes. Il n'y a pas de dirigeants. On arrête les membres mais le mécanisme continue de fonctionner. »

Toutes les photos sont de Matteo Congregalli

Suivez Matteo Congregalli sur Twitter : @MattCngr