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Crime

Le chagrin et la colère après l'attentat d'Ankara

Des milliers de personnes se sont rassemblées ce dimanche à Ankara pour rendre hommage aux 97 personnes qui ont perdu la vie dans un attentat qui avait visé une manifestation pour la paix, ce samedi dans la capitale turque.
Photo de John Beck/VICE News

La colère s'est mêlée au chagrin ce dimanche dans la capitale turque d'Ankara, lors d'un rassemblement organisé en hommage aux victimes de l'attentat de ce samedi qui a fait près de 100 morts.

Des milliers de personnes s'étaient donné rendez-vous sur la place Sihhiye pour rendre un dernier hommage à ceux qui ont péri dans les deux attaques simultanées de la veille, perpétrées lors d'une manifestation organisée en réaction aux combats entre les forces de sécurité turques et le PKK. L'attentat de ce samedi matin est le pire de l'histoire turque.

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Le bureau du Premier ministre avait fait savoir ce samedi soir que 95 personnes avaientt été tuées et que 294 autres avaient été blessées — dont 48 gravement. Un bilan depuis relevé à 97 morts. Le Parti démocratique des peuples (HDP), à l'origine du rassemblement visé de ce samedi, avec d'autres groupes de gauche, a annoncé 128 décès.

L'ambiance était lourde ce dimanche sur la place d'Ankara. Certains brandissaient dans le silence des signes de paix, d'autres se laissaient tomber dans les bras de compagnons, rongés par le chagrin. « Nous honorons toujours ceux qui sont tombés, surtout de cette manière, » explique à VICE News un manifestant. « On ne croit pas toujours à la vie après la mort, mais on sait honorer nos morts. »

Derrière le chagrin, on pouvait sentir poindre la colère. De nombreux manifestants ont accusé — directement ou indirectement — le président turc Recep Tayyip Erdogan et son parti (l'AKP) d'être derrière l'attentat. La foule rassemblée ce dimanche a repris en coeur « Voleur, meurtrier Erdogan. » Le poing levé, les milliers de personnes scandaient « L'État meurtrier sera mené devant la justice. »

Quelques échauffourées ont eu lieu quand la police a empêché les manifestants — notamment des membres du HDP — de déposer une couronne en hommage aux victimes sur le lieu de l'attaque. Le HDP a fait savoir dans un communiqué que quelques-uns de ses membres avaient été blessés lors de cet incident.

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Des manifestants font le signe de la paix à Ankara. (Photo de John Beck/VICE News)

Le gouvernement s'est férocement défendu d'avoir quoique ce soit à voir avec l'attaque de ce samedi. Le maire d'Ankara, Melih Gokcek, membre du parti d'Erdogan (AKP), a même suggéré que l'attaque avait été organisée par le PKK ou une de ses ramifications, pour booster le soutien du HDP lors des élections surprises qui se tiendront le 1er novembre.

Le Premier ministre turc, Ahmet Davutoglu, a quant à lui émis l'hypothèse que l'attaque pourrait être du fait de l'organisation terroriste État islamique (EI) ou des rebelles kurdes — sans offrir aucune preuve. Nul n'a revendiqué l'attaque à l'heure où nous publions cet article.

S'exprimant devant la foule ce dimanche, le vice-président du HDP, Selahattin Demirtas a exprimé son chagrin et a présenté ses condoléances aux victimes. « Ils étaient tous venus à Ankara avec l'espoir de la paix, mais nous n'avons pas été capables de les protéger, » a déclaré Demirtas depuis le toit d'un bus. « Nous sommes désolés pour cela, nous les renvoyons dans des cercueils. Mais nous allons garder la tête haute, nous allons continuer à chanter nos chansons de liberté et danser l'halays [ndlr, une danse folklorique]. »

Demirtas s'est aussi directement adressé à Erdogan, déclarant que le président « nous menace avec son pouvoir médiatique. »

« Il ne peut pas nous faire peur, » a expliqué Demirtas à propos d'Erdogan. « Nous sommes unis. Peu importe notre identité ou nos croyances. Cet État, cette terre, ce pays, c'est le nôtre. On ne laisse personne s'emparer de notre liberté. Nous sommes nombreux et nous souhaitons faire trembler les fenêtres du Palais présidentiel, si on s'y prend tous ensemble. »

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Des manifestants tiennent des drapeaux ce dimanche à Ankara. (Photo de John Beck/VICE News)

Demirtas a ajouté que le HDP allait se venger, sans violence mais dans les bureaux de vote — faisant référence aux prochaines élections.

Après Demirtas, un député du parti d'opposition (CHP), Musa Cam, a décrit l'attaque comme une démonstration « clairement fasciste ».

« Nous devrions nous battre côte à côte en vertu de la fraternité et de la vie, » a expliqué Cam, « l'AKP sera mené devant la justice, et il [Erdogan] sera envoyé en prison directement depuis son palais. »

L'attaque avait eu lieu sur les coups de 10 heures du matin ce samedi près de la gare centrale de la ville. Des témoins ont expliqué que deux explosions simultanées ont eu lieu alors des jeunes gens chantaient et dansaient. Deux des candidats du HDP aux prochaines législatives, Abdullah Erol et Kubra Meltem Mollaoglu, ont été tués dans la double explosion.

Nombre de ceux qui étaient présents ce dimanche étaient aussi là la veille. « Il devait y avoir une manifestation pour la paix, » explique un manifestant, qui se fait appeler Ferdany. « On était venu pour ça, mais ils ont tué une centaine de personnes. On est là pour condamner [Erdogan]. »

Mehmet, un autre manifestant, explique qu'il est venu pour exprimer son mécontentement dirigé contre Erdogan. « Cela va être terrible pour la Turquie si on n'arrive pas à se débarrasser de ce type. Nous voulons un avenir radieux pour ce pays. C'est un meurtrier en Syrie, et dans son propre pays, » lance Mehmet, faisant référence à l'action du gouvernement d'Erdogan en Syrie.

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La police scientifique fait le tour de la scène de crime de samedi à Ankara. (Photo de John Beck/VICE News)

L'attaque de ce samedi rappelle celle qui avait fait 30 morts parmi les militants pro-Kurdes, à la frontière, dans la ville de Suruc, en juillet dernier. L'opposition a remarqué aussi des similitudes avec une autre explosion survenue lors d'un meeting électoral du HDP, en juin dernier.

L'AKP a lancé une double « guerre contre le terrorisme » depuis juillet : à la fois contre l'EI et contre le PKK. Mais depuis 3 mois, ce sont principalement les militants kurdes qui semblent subir les attaques turques. La Turquie bombarde les camps d'entraînements du PKK dans le sud turc et le nord de l'Irak — faisant des centaines de victimes. Le PKK avait réagi en perpétrant plusieurs attaques sanglantes contre les forces de sécurité. Certains craignent un retour du conflit pour l'autonomie des Kurdes qui a duré près de 3 décennies et fait 40 000 morts en Turquie.

Quelques heures après l'attaque de ce samedi, le PKK a demandé à ses troupes d'arrêter toutes ses opérations en Turquie, sauf si elles sont confrontées à une attaque. Le PKK a aussi assuré qu'il éviterait les actions qui pourraient mettre en péril « des élections justes et loyales. » Mais l'armée turque a fait savoir ce dimanche que ses avions continuaient à frapper le PKK en Turquie et en Irak.

Suivez John Beck sur Twitter: @JM_Beck