FYI.

This story is over 5 years old.

Tunisie

Cinq ans après la chute de Ben Ali, des détenus toujours torturés en Tunisie d’après Amnesty

Amnesty International épingle ce jeudi les forces de sécurité du pays qui continueraient à pratiquer la torture, alors que l’on fête le cinquième anniversaire de la révolution tunisienne qui a lancé la vague des Printemps arabes.
Pierre Longeray
Paris, FR
Des Tunisiens agitent lors des célébrations qui marquent le cinquième anniversaire de la révolution de 2011 en Tunisie, sur l'avenue Habib Bourguiba à Tunis, le 14 janvier 2016. (Photo de Zoubeir Souiss / REUTERS)

Alors que l'on fête ce jeudi les cinq ans de la révolution de jasmin en Tunisie, Amnesty International épingle les services de sécurité tunisiens dans un communiqué. Ils sont accusés par l'organisation de continuer à pratiquer la torture dans cette Tunisie de l'après-soulèvement contre Zine El-Abidine Ben Ali.

La torture et l'utilisation de la violence étaient des outils de l'État policier du dictateur déchu, contraint de fuir le 14 janvier 2011 vers l'Arabie saoudite, suite au soulèvement du peuple tunisien avide de démocratie. Ce que l'on a appelé « la révolution de jasmin » est né en décembre 2010, après qu'un jeune vendeur de fruits s'immole pour protester contre sa situation économique. La révolution a entrainé avec elle plusieurs nations dans cette vague dite des « Printemps arabes », une série de soulèvements populaires dans cette partie du monde.

Publicité

Si des avancées en matière de droits fondamentaux et de démocratie ont eu lieu en Tunisie, « c'est toujours l'ancien système qui persiste aujourd'hui au sein de la police, » estime ce jeudi Mondher Cherni, secrétaire général de l'Organisation contre la torture en Tunisie (OCTT). « Ce sont les mêmes lois et les mêmes personnes qui sont en place. Donc fatalement ce sont les mêmes habitudes qui ont cours » nous explique-t-il par téléphone depuis Tunis.

Lors d'une mission réalisée en Tunisie en décembre 2015, les enquêteurs d'Amnesty ont eu accès à plusieurs témoignages de détenus torturés et à six cas de décès suspects survenus en détention. Des faits de torture et des décès qui sont tous postérieurs à 2011 et la chute du régime de Ben Ali.

Contactés par VICE News ce jeudi matin, la présidence et le ministère de l'Intérieur tunisiens n'ont pas encore pu réagir aux déclarations d'Amnesty au moment où nous publions cet article. Ce jeudi, le 14 janvier, est férié en Tunisie — où l'on célèbre la fête de la Révolution et de la jeunesse, c'est-à-dire le jour du départ de Ben Ali qui se trouve toujours en Arabie saoudite.

Morts en détention

Amnesty évoque notamment le cas de Sofiene Dridi, arrêté à l'aéroport de Tunis le 11 septembre 2015, à son retour de Suisse. Recherché depuis 2011 pour agression violente, Dridi comparait en bonne santé le 15 septembre, puis est transféré à la prison de Mornaguia, dans la banlieue de Tunis. Le 18 septembre, la famille de Dridi est prévenue de son transfert à l'hôpital.

Publicité

Interdite de visite, sa famille va finalement apprendre par la voix du tribunal que Dridi serait mort d'un arrêt cardiaque. Mais après avoir vu son corps à la morgue, sa famille remarque notamment des hématomes sur son visage. Ses proches apprennent aussi que son certificat de décès est daté du 17 septembre, soit un jour avant avoir appris son transfert à l'hôpital. On ne sait toujours pas de quoi est mort Dridi.

Pour Mondher Cherni, le problème est que les forces de l'ordre tunisiennes « ne rendent pas compte ni pénalement, ni disciplinairement de leurs actes. »

Pourtant, la nouvelle Constitution tunisienne, adoptée en janvier 2014, « interdit toutes formes de torture morale et physique » et précise que l'État protège la dignité de l'être humain et son intégrité (Article 23). Mais comme le fait remarquer Cherni, les lois (et notamment le Code pénal) n'ont pas encore été amendées pour répondre aux nouvelles règles fixées par la Constitution. Ainsi, les policiers continuent de répondre à des lois qui datent de 1982.

Le terrorisme en toile de fond

Ce qui ressort aussi du communiqué d'Amnesty, c'est que les autorités tunisiennes se serviraient de la lutte contre le terrorisme comme prétexte pour pratiquer la torture.

En 2015, la Tunisie a effectivement été frappée à de multiples reprises par des attaques terroristes. Les plus meurtrières ont notamment été revendiquées par l'organisation État islamique (EI) : l'attaque du musée du Bardo en mars, le massacre de la plage de Sousse en juin et l'attentat contre la garde présidentielle en novembre. Les Tunisiens représentent aussi le plus gros contingent de djihadistes étrangers partis combattre dans les rangs de l'EI en Irak, en Syrie et en Libye — voisine de la Tunisie.

Publicité

Dans son communiqué, Amnesty relate les témoignages de Tunisiens et Tunisiennes qui auraient été torturés en 2015, après leur arrestation sur la base d'accusations de terrorisme. Certains auraient été « soumis à des décharges électriques notamment sur les parties génitales » et d'autres auraient subi la position du « poulet rôti » (poignets et chevilles attachés à un bâton) pour les « forcer à signer de faux aveux » dit le communiqué d'Amnesty.

« On observe une recrudescence de l'utilisation de la violence par les forces de sécurité depuis un an, à cause des attentats », explique ce jeudi à VICE News, Nina Walch, coordinatrice Crises à Amnesty International France.

Loi antiterroriste et état d'urgence

La nouvelle loi antiterroriste tunisienne adoptée en juillet dernier permet par exemple de prolonger de 6 à 15 jours la garde à vue, « ce qui augmente le risque de torture, » fait remarquer Walch. La spécialiste note aussi que la nouvelle loi donne « une définition trop large du terrorisme. Ainsi chaque manifestation qui déborde peut ainsi être qualifiée de terrorisme. »

La spécialiste pointe aussi le rôle néfaste de l'état d'urgence (déclaré après l'attentat de Sousse, puis levé pour être finalement remis en place après l'attentat de novembre) sur diverses libertés, notamment la liberté de la presse ou de réunion qui se trouvent mises à mal.

Cinq ans après, la Tunisie fait pourtant figure de la seule réussite relative du Printemps arabe — la Libye, l'Égypte, le Yémen, la Syrie ou le Bahreïn ont effectivement eu moins de succès. Le pays est parvenu à des avancées notables en matière de droits fondamentaux et de démocratie. Fin 2015, le prix Nobel de la paix était ainsi remis au quartet qui a mené le dialogue national en 2013 pour « sa contribution décisive dans la construction d'une démocratie pluraliste en Tunisie. »

« Pour que cela change vraiment, il faut que la Tunisie mène à bien les réformes du régime judiciaire pour rompre le cercle vicieux de ce sentiment d'impunité, » estime Nina Walch. « Il y a des auteurs d'homicides lors des manifestations de 2011 qui n'ont pas encore été jugés. »

Suivez Pierre Longeray sur Twitter : @PLongeray