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Crime

Comment une famille américaine s’est retrouvée affamée dans la ville assiégée de Madaya, en Syrie

Heba se souvient très bien de la dernière fois qu’elle a vu le verger familial, dans la banlieue de sa ville natale de Madaya. C’était le 17 juin dernier — le jour où la ville et ses alentours ont été déclarés « zone militaire. »
Photo via EPA

Heba se souvient très bien de la dernière fois qu'elle a vu le verger familial, dans la banlieue de sa ville natale de Madaya. C'était le 17 juin dernier — le jour où les forces du Hezbollah ont déclaré la ville et ses alentours « zone militaire. »

Deux semaines plus tard, la milice libanaise — qui est soutenue par l'Iran et se bat aux côtés de forces défendant le régime de Bachar al-Assad — avait mis en place son blocus brutal de la ville.

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Des dizaines de milliers de civils et un petit groupe de rebelles anti-régime se sont ainsi retrouvés piégés à l'intérieur de Madaya.

"Quitter [la ville] n'était pas une option," nous explique Heba, jointe par téléphone ce mercredi. Heba fait parti des millions de Syriens dont la vie a été bouleversée par la guerre civile qui déchire la Syrie depuis près de cinq ans.

Pour Heba, le contraste entre la destruction qui l'entoure et les banlieues endormies de la Pennsylvanie est flagrant. Même si elle n'est pas américaine, Heba a vécu six ans près de Philadelphie. Ses trois enfants sont nés là-bas.

"La vie était complètement différente là-bas," se souvient-elle. "Tellement plus tranquille et tellement plus sûre."

Perchée dans la montagne à 45 kilomètres au nord-ouest de Damas, la ville de Madaya est aujourd'hui une prison à ciel ouvert. Lorsque les combats se sont intensifiés dans la région, le Hezbollah a évacué les habitants des villages voisins pour les installer à Madaya. Aujourd'hui, la ville compte 42 000 habitants, soit deux fois plus qu'avant la guerre.

La ville manque de vivres et de médicaments mais ceux qui tentent de fuir se heurtent aux mines et aux check points.

Heba et son mari Tamir essayent désespérément de faire intervenir les États-Unis pour aider leur famille à quitter la ville.

« Si on reste ici, » nous dit-elle, « j'ai l'impression qu'il n'y aura pas de fin à la souffrance. »

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À lire, notre article sur la situation à Madaya : "Les enfants mangent les feuilles des arbres"

Même si quelques convois humanitaires ont pu atteindre la ville au cours des derniers mois, la Croix Rouge, Médecins Sans Frontières et la Syrian American Medical Society (Société médicale syro américaine) ont tous confirmé à VICE News que la ville est toujours en proie à une terrible famine.

Selon des travailleurs humanitaires, 32 personnes seraient mortes de faim au cours du mois écoulé et les aliments de base se font de plus en plus rares. Un seul biscuit coûte aujourd'hui 14 euros.

« Vous ne pouvez pas vous imaginer à quel point c'est difficile quand votre enfant de trois ans a faim et qu'il pleure et qu'il vous réclame à manger et que vous ne pouvez pas le nourrir, » nous explique Heba. « Tout le monde nous a oubliés. »

Heba est arrivée aux États-Unis en 2000 pour rejoindre son mari Tamir, un ressortissant syro-américain. Tamir vivait alors à Allentown, où il travaillait comme chef de cuisine dans un restaurant grec. Tamir est le petit-fils d'un sujet ottoman qui a émigré aux États-Unis en 1907 et s'est battu pour les États-Unis lors de la Première Guerre mondiale. Le grand-père de Tamir et sa tante ont tous deux été naturalisés aux États-Unis.

Après la guerre, le grand-père de Tamir est reparti en Syrie et une partie de sa famille vit aujourd'hui à Madaya.

Heba est né à Madaya et y a passé sa jeunesse. Elle n'est pas citoyenne américaine, mais a donné naissance à trois enfants pendant son séjour aux États-Unis. L'aîné, qui a aujourd'hui 15 ans, a fait l'école primaire à Allentown. Les enfants, nous dit-elle, sont toujours en contact avec leurs camarades aux États-Unis, lorsque la connexion Internet le permet.

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Lorsque la tante de Tamir est tombée malade en 2006, la famille a décidé de revenir à Madaya pour s'occuper d'elle. Ils ont acheté un verger pour y faire pousser des pommes pour l'exportation. Mais les troubles politiques ont anéanti ces projets. Le verger est à quelques pas du barrage militaire du Hezbollah.

La ville rebelle de Madaya est un haut lieu de la résistance anti-Assad depuis les premières manifestations qui ont éclaté en 2011, dans le contexte du Printemps Arabe.

La plupart des combattants rebelles piégés à Madaya font partie du groupe Ahrar Al-Cham, qui encercle lui-même deux villages pro-Assad plus au nord — Al Foua et Kefraya.

Depuis six mois, le sort de Madaya et de la ville voisine de Zabadani est étroitement lié à celui de d'Al Foua et de Kefraya. En effet, le Hezbolla n'autorise les livraisons humanitaires à Madaya et Zabadani que si une aide est également acheminée à Al Foua et Kefraya.

Selon les habitants, il n'y aurait que 300 combattants rebelles au sein d'une population de 42 000 personnes retenues en otage. Heba ne s'intéresse pas vraiment à la politique. Elle n'a pas pris part aux manifestations contre le régime et n'a exprimé ni sympathie ni mépris pour les combattants rebelles retranchés dans la ville.

"Nous n'avons rien à voir avec cette guerre," dit-elle. "Mais c'est nous qui payons."

Au début du siège, Heba et sa famille ont commencé à rationner les denrées alimentaires et ne manger qu'un seul repas par jour.

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"Quand on a épuisé [les rations], on a récolté de l'herbe du jardin et on l'a mangée," nous dit-elle. Les herbes mélangées à de l'eau chaude sont souvent le seul repas disponible.

Lorsque le Hezbollah a resserré son siège en octobre, Tamir a contacté l'ambassade des États-Unis à Beyrouth. VICE News a obtenu une copie de l'email envoyé par Tamir par le biais de son cousin, Hussein Assaf. Hussein est un ressortissant syro-américain qui vit à Philadelphie et qui essaye d'attirer l'attention du gouvernement sur les souffrances endurées par sa famille.

« On est coincés, on essaye de sortir d'ici mais on ne peut pas il n'y a aucune issue possible, et la vie ici est impossible il n'y a rien à manger et pas de médicaments et aucun des besoins humains n'est satisfait, » écrit Tamir le 17 octobre. « Nous sommes presque morts à cause de tout ,s'il vous plaît nous avons besoin de votre aide au plus vite. »

Tamir a joint à l'email son numéro de sécurité sociale pour confirmer sa nationalité.

L'ambassade des États-Unis lui a envoyé une réponse standardisée, que VICE News a pu vérifier. « Cher Monsieur, » a répondu l'ambassade. « Malheureusement, nous ne sommes pas en mesure de vous venir en aide et nous vous invitons à explorer d'autres options. »

VICE News a également eu accès à des documents qui confirment la nationalité de Tamir ainsi que celle de ses trois enfants et de sa tante qui a été aveuglée en Août par des éclats de verre, à la suite d'un bombardement.

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VICE News a contacté le Département d'État des États-Unis pour leur demander des commentaires sur la situation.

« Les considérations relatives à la protection de la vie privée ne nous autorisent pas à parler de cas particuliers, » a répondu le Département d'État. « À travers notre puissance protectrice tchèque, nous ne ménageons aucun effort pour venir en aide aux ressortissants américains qui souhaitent quitter la Syrie."

Mais Heba explique que les diplomates de l'ambassade tchèque de Damas — qui sert parfois d'intermédiaire aux États-Unis — lui ont assuré qu'ils ne peuvent rien faire.

Hussein, lui, est furieux que le gouvernement américain refuse de reconnaître la situation dans laquelle se trouvent les membres de sa famille. Selon lui, les États-Unis auraient dû considérer sa famille au même titre que les détenus américains en Iran, dont la libération a été négociée récemment.

"Ça m'a vraiment foutu la rage," dit-il. "Il semblerait qu'on ne soit pas assez américains pour eux."


Suivez Avi Asher-Schapiro sur Twitter: @AASchapiro