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FRANCE

Comment va fonctionner le centre pour SDF dans le XVIe arrondissement de Paris

Deux cents personnes sans-abri seront logées dans quelques semaines dans un centre d’accueil d’urgence, en plein cœur du très chic XVIe arrondissement de Paris. Explications avec le responsable du projet, Eric Pliez.
Le centre d'accueil en construction. (Photo via Aurore)

Mise à jour 17 octobre à 13h33 : Ce lundi matin, le futur centre pour SDF du XVIe arrondissement a été touché par un départ d'incendie. Du « liquide inflammable » a été retrouvé sur place.

Nous republions notre interview (datée du 20 septembre dernier) d'un responsable du projet qui nous explique comment fonctionnera ce lieu qui devrait ouvrir à la date prévue.


C'est un projet qui a soulevé de nombreux fantasmes et la colère de riverains du XVIe arrondissement de Paris : l'installation pour trois ans d'un centre pour sans-abri dans le Bois de Boulogne.

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L'idée soutenue par la mairie a été validée par le Conseil de Paris en décembre 2015. L'arrondissement cossu ne compte alors que huit places d'hébergement d'urgence. L'endroit retenu — pour édifier le projet porté par l'association Aurore qui vient en aide aux personnes précaires — se trouve à la lisière du Bois de Boulogne, allée des Fortifications, le long des Boulevards des Maréchaux.

Organisés en association, des riverains très remontés avaient laissé éclater leur colère, le 14 mars, lors d'une réunion d'information qui avait été écourtée, tant l'ambiance était électrique, sur fond de crise migratoire.

Le tribunal administratif a débouté le 22 avril les opposants qui exigeaient la suspension immédiate du projet. Sur place, la structure prend forme. Les premiers arrivants doivent poser leurs valises dès la fin du mois d'octobre.

Au 1er décembre, l'ensemble des places disponibles sera occupé.

Nous avons rencontré Eric Pliez, directeur général de l'association Aurore, pour comprendre le projet dans le détail.

VICE News : Pouvez-vous nous décrire ce centre d'accueil d'urgence ?

Eric Pliez : Dans ce centre du XVIe arrondissement, il y aura 200 personnes accueillies, dont 100 personnes isolées et 100 personnes en famille. Ce qui représente une bonne trentaine de familles. La structure des bâtiments permet à chaque famille d'avoir un lieu autonome. Il s'agit de petits logements de 25m2, avec salle de bains et WC. Les personnes isolées partagent à deux la même surface.

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Les repas sont pris en commun, dans une salle à manger qui est aussi un lieu où il y a le Wi-Fi, où les gens peuvent se retrouver. À chaque niveau, on a prévu des espaces de respiration où les habitants peuvent se détendre et se rencontrer.

Les modules ont été fabriqués par un constructeur de bateau, le Vendéen Bénéteau. Le bois est le matériau essentiel des structures, ce qui place le bâtiment dans le respect de toutes les normes environnementales.

Ces modules sont installés sur trois niveaux. Comme l'exigeait le cahier des charges, selon une condition imposée par la commission des sites, les modules sont installés à environ 30 cm de hauteur. Ils sont posés et non pas vissés dans le sol. Ce sera non seulement plus facile de les démonter, mais surtout, ils ne détérioreront pas le sol durant leur présence. Les modules sont reliés entre eux sur une longueur d'environ 170 mètres et 13 mètres de largeur.

(VICE News via Google Maps)

Qui va habiter dans ce centre ?

On sait qu'il y a aujourd'hui environ 80 SDF dans le XVIe qui ne quittent pas l'arrondissement. Ils sont connus des équipes de maraude et il s'agit petit à petit de les amener au centre, en leur proposant de venir laver du linge, boire un café, voir un médecin.

On espère qu'ils finiront par demander une chambre, ici ou ailleurs. Ce n'est pas nous qui décidons de qui vient, mais le SIAO. Le Service intégré d'accueil et d'orientation reçoit toutes les demandes d'hébergement, via le 115 notamment. L'objectif de ce type de centre est de pouvoir orienter ensuite ces personnes vers des logements plus pérennes, et de les faire progresser vers plus d'autonomie.

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Il n'y aura pas de migrants hébergés dans ce centre ?

Aujourd'hui, pour arriver dans l'hébergement il y a deux circuits. Celui que je viens de décrire, mais aussi le circuit des camps évacués, où on trouve essentiellement des demandeurs d'asile. Ce centre n'est pas un centre destiné aux demandeurs d'asile, ce qui ne veut pas dire qu'il n'y aura pas de migrants.

On est dans un projet qu'on appelle classiquement « centre d'hébergements d'urgence », avec projet d'insertion et tout public. Ce qui n'interdit pas à un migrant, ou à des familles de migrants, d'y être logées. En ce moment beaucoup de familles arrivent de Tchétchénie, de Géorgie, d'anciennes républiques soviétiques… Oui, il y aura très certainement des migrants dans ce centre. Mais ils ne seront pas là en tant que demandeurs d'asile.

La réunion d'information pour les riverains qui a eu lieu en mars s'est extrêmement mal passée. Elle a rapidement été interrompue. Que retenez-vous de cet épisode ?

On s'attendait à une réunion houleuse et difficile, mais j'ai rarement vu des représentants de l'État se faire insulter de cette manière. J'avais l'impression d'être dans une cour d'école maternelle, mais avec des enfants très méchants.

Je n'ai jamais entendu des propos aussi haineux.

D'ailleurs, beaucoup d'habitants du XVIe m'ont dit ensuite que cette minorité avait pris le pouvoir dans l'assemblée mais qu'elle ne reflétait pas la majorité, qui elle, avait vraiment envie de débattre.

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Certains opposants ont proféré des menaces à votre encontre. Craignez-vous les actes de vandalisme ?

Au quotidien, on ne voit plus les opposants au centre, espérons que cela dure. Ils ne se sont pas manifestés durant le chantier, hormis trois panneaux brûlés avant l'installation des modules.

Depuis l'arrivée des premiers modules, il y a un gardien sur place.

Et d'un point de vue juridique, on en est où ?

Le premier recours suspensif a été rejeté en avril. C'est la raison pour laquelle on a décalé les travaux et attendu la décision du tribunal administratif.

Ensuite, un recours sur le fond devrait être jugé dans les semaines à venir. Quelle que soit la décision, l'une ou l'autre des parties fera appel. Il était important pour nous de gagner la première étape, le recours suspensif. Nos adversaires n'ont plus vraiment d'arguments supplémentaires pour ce deuxième recours. S'ils parviennent à bloquer le projet on fera appel, il y aura un nouveau jugement, on ira en cassation, etc.

Je pense qu'on sera parti avant que la justice ne rende une décision définitive et je pense que tout le monde le sait.

Pour se faire accepter on compte s'appuyer sur le bénévolat local. On a reçu beaucoup d'appels de jeunes étudiants de l'Université Paris Dauphine, d'associations, de particuliers, des gens du XVIe qui se sont proposés pour des sorties, des accompagnements périscolaires, etc.

On va utiliser ces bénévoles pour s'implanter sur le territoire. Cet appui sur les bonnes volontés locales qui permettra l'ouverture sur l'extérieur ,et le fait que nos modules ne nuisent pas à l'environnement et ne laisseront pas de traces, ce sont des arguments forts pour se faire accepter.

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Les rapports que nous avons avec la mairie du XVIe sont historiquement excellents. On coordonne des équipes de maraudes et aujourd'hui, on prépare l'ouverture du centre ensemble. Le maire du XVIe [Ndlr, qui s'est opposé au projet] a toujours salué le travail d'Aurore, sans jamais le remettre en cause. Ce qu'il remet en cause — je pense qu'il soutient au moins intellectuellement le recours — c'est le lieu de l'installation, mais pas le travail qu'Aurore accomplit.

Le centre est prévu pour durer trois ans. Que va-t-il se passer ensuite ?

Ce qui est clair c'est que nous sommes engagés pour trois ans et qu'ensuite on partira. C'est l'engagement qu'on a pris vis-à-vis du ministère de l'Environnement et de la commission des sites : que ce site redevienne un site boisé. Je ne sais pas où nous partirons, mais la ville de Paris nous cherche d'autres sites. On installera nos modules ailleurs.

Finalement, vous vous attendez à une ouverture sereine à la fin du mois d'octobre ?

On l'espère mais on ne sait jamais. 150 personnes arriveront fin octobre, 50 fin novembre. On fera arriver les gens par petits groupes sur plusieurs jours. On sait gérer ces entrées et on pense que ça devrait bien se passer. On a tout de même reçu des paroles menaçantes. Ça peut s'arrêter là.

Mais vous savez, à Forges-les-Bains, Emmaüs avait fait un gros travail avec les élus locaux et les habitants mais ils ne s'attendaient pas à ce que le centre [Ndlr, pour migrants] soit brûlé. Par les temps qui courent, il est important de rester vigilant.

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Dans un article publié dans Le Parisien, des SDF interrogés étaient critiques par rapport au site. Certains considéraient qu'il était trop loin, d'autres qu'ils ne seraient pas à leur place « avec les riches ». Que leur répondez-vous ?

La situation géographique est idéale. On n'est pas hors du monde. Le métro Ranelagh est à cinq, peut-être sept minutes à pied. Les bus passent quasiment au pied du centre.

On a raconté que les gens allaient être très isolés, c'est complètement faux. On disait aussi que les personnes accueillies n'auraient pas les moyens de se payer à manger dans le coin, mais elles sont logées et nourries. Elles n'ont pas besoin d'acheter à manger. Il y a beaucoup de fantasmes nourris autour de ce centre.

Et pour ceux qui craignent de ne pas être à leur place dans ce quartier huppé ?

Parmi les personnes sans domicile, quand on rompt les liens sociaux, il y a un temps nécessaire de remise en confiance. Ce temps sera d'autant plus efficace si ce qu'on offre, c'est du durable. Les SDF qui sont hébergés une nuit, repartent le lendemain, doivent refaire le 115, se découragent. Là, ce qu'on propose, c'est un projet d'insertion.

Le meilleur moyen qu'on aura pour convaincre, c'est l'ouverture qu'on aura en journée : des SDF accompagnés pourront venir prendre une douche, laver du linge, voir un médecin. Plus on reste dans la rue, plus on a du mal à en sortir. Notre boulot c'est de les aider à sortir de la rue. On met en place une structure digne, respectueuse, qui va les y aider. Il faudra faire preuve de conviction, c'est le boulot des équipes de rue.

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Qui participera au fonctionnement du centre ?

On est une équipe de 25 personnes professionnelles, salariées d'Aurore, présente 24 heures sur 24 sur site. Dans ces 25 personnes se trouvent cinq travailleurs sociaux.

Les autres sont des veilleurs de nuit ou des personnes qui, en journée, vont assurer l'accueil et le petit hôtelier, comme la préparation des repas, le service, l'entretien, parfois de l'animation. Et bien sûr, du contact avec les personnes accueillies.

On proposera toute la journée un certain nombre d'activités et de l'individuel avec les travailleurs sociaux. Il s'agit de prendre en compte les besoins de la personne et d'entamer, s'il y en a besoin, un travail sur l'insertion professionnelle.

Un conseiller en insertion professionnelle animera des ateliers. Le but n'est pas de tout proposer en interne mais plutôt d'orienter les gens vers le droit commun et les services existants. Démarche administrative, santé, insertion, c'est sur ces trois points que portera essentiellement notre travail. Les personnes sont là pour des séjours longs, trois, à six mois. Ce qui nous laisse le temps de travailler sur l'insertion, l'axe majeur de ce projet.

Et les enfants ?

Les enfants sont à l'école, on fait un travail pour les inscrire dans les écoles de proximité. Une trentaine d'enfants sera scolarisable sur le site. On aura aussi beaucoup de petits. On mettra en place des modes de garde classiques ou, pourquoi pas, on fera appel à la solidarité entre les parents.

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Comment tout cela est-il financé ?

La ville de Paris met 800 000 euros, dans le cadre des aides à la pierre, comme elle le fait pour la construction de logement social.

Aurore finance l'achat des modules, soit 4,8 millions, par fonds propres mais essentiellement par emprunt, auprès de la caisse des dépôts. Cet emprunt sera remboursé dans le cadre de ce que l'on appelle le prix de journée, financé exclusivement par l'État. Il est de l'ordre de 40 euros par jour et par personne, soit le prix moyen des centres d'hébergement d'urgence.

La force de ce centre d'accueil d'urgence, c'est l'accueil sur du long terme. Cela peut-il devenir une norme ?

On a vu une grosse révolution, après l'occupation du Canal Saint-Martin par les Enfants de Don Quichotte, même si cela est battu en brèche avec les campements de migrants. Tout de même, beaucoup de centres se sont humanisés et proposent du long séjour et de l'individuel, à la différence des anciens grands centres dortoirs.

Le gouvernement a créé beaucoup de places d'urgence durant la mandature. Mais reste toujours le problème de la sortie, du logement social accessible. Là, il faut accélérer.


Propos recueillis par Dorothée Duchemin.

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