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La signature de contrats miniers juteux pourrait profiter de la crise politique haïtienne

Au risque de payer le prix fort du point de vue environnemental, le Président Michel Martelly pourrait faire passer unilatéralement un projet de loi minier qui débriderait l’exploitation de gisements de minerais dans le pays.
Photo via AP / Dieu Nalio Chery

La Banque mondiale, le gouvernement haïtien et des compagnies minières internationales empruntent le hall d'entrée d'un hôtel pour discuter du futur de l'exploitation minière en Haïti. Devinez qui n'est pas convié ? Tout le reste des Haïtiens.

Ce n'est pas une blague, mais la place donnée à la société civile dans le prologue de discussions à venir dans un pays appauvri, disposé à recevoir des investissements étrangers massifs, employés dans un secteur qui n'est pas franchement connu pour son respect des normes environnementales ou des droits de l'homme. Une réunion de deux heures s'est donc tenue dans un hôtel luxueux en juin dernier, dans la capitale de Port-au-Prince, pour évaluer un document juridique de 100 pages, écrit en français. Le texte est un brouillon de projet de loi minière indiquant comment le gouvernement haïtien entend se comporter avec les entreprises qui veulent entamer l'extraction de gisements d'or et de métaux qui pourraient se trouver dans des montagnes dans le nord du pays. La valeur des gisements est estimée à 20 milliards de dollars.

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Ce projet de loi favorable à ceux qui veulent investir dans des projets miniers pourrait facilement devenir loi. Le Président Michel Martelly peut désormais décider d'en faire une loi de son propre chef, puisque le mandat du Parlement haïtien est arrivé à échéance il y a seulement quelques jours. Le texte remplacerait un traité vieux de plusieurs dizaines d'années, qui faisait obstacle à des activités étrangères sur les gisements non exploités.

Le document va dans le sens du slogan du gouvernement Martelly : « Haïti est ouvert au business », lui qui accueille ainsi un afflux de capitaux étrangers. Les revenus tirés des taxes sur ces activités sont plus qu'attendus, tout comme de nouveaux emplois dans un pays qui a des difficultés économiques. Tout ceci pourrait se payer au prix fort sur le plan social et sur le plan environnemental.

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Cette esquisse de loi minière a été écrite avec le concours de la Banque Mondiale. Elle soutient, via la Société financière internationale (une de ses structures, dédiée aux investissements privés) le programme minier en Haïti de la compagnie canadienne Eurasian Minerals. La Banque Mondiale s'est impliquée dans la refonte de la convention minière haïtienne en 2013, et a travaillé à l'époque en collaboration étroite avec des compagnies minières d'Amérique du Nord qui se sont déjà assurées d'avoir des permis d'exploitation dans le pays.

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Vue sur une ferme dans le nord-ouest d'Haïti, là où des compagnies minières ont lancé des recherches de gisements de métaux précieux. (Photo de Ellie Happel)

Un groupe appelé le Conseil de la transparence, qui est lié à la New York University School of Law's Global Justice Clinic, a publié une copie de ce projet de loi sur son site Internet en juillet dernier. Le groupe représente les intérêts d'une union d'organisations de la société civile haïtienne qui a déposé une plainte dans les règles il y a deux semaines devant le World Bank's Inspection Panel, qui se définit comme « un mécanisme indépendant de traitement des plaintes venues des personnes et communautés qui pensent qu'elles ont été, ou qu'elles pourront être négativement touchées par un programme financé par la Banque Mondiale. » La plainte fait état des inquiétudes partagées de citoyens « pour qui l'implication de la Banque Mondiale dans le secteur minier haïtien représente ou représentera un préjudice. »

Le document montre une volonté de rationaliser les injections de capitaux étrangers. Le texte fait état de nombreuses dispositions qui, selon les Haïtiens, pourraient aggraver la marginalisation des communautés les plus touchées par les activités minières dans le Nord. Par exemple la proposition de loi veut entériner une période de 10 ans de confidentialité concernant « Tous les rapports, documents et données relatifs aux résultats des travaux effectués en vertu d'un titre minier. » Ce qui inclut les découvertes géologiques ou les informations topographiques glanées pendant les opérations minières.

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Certaines communautés sont particulièrement inquiètes du fait que le projet de loi facilite l'expropriation des terres susceptibles d'accueillir des installations minières, si ces exploitations sont considérées comme allant dans le sens de l'« intérêt général ». Dans la plainte on peut lire « En outre, le Projet de Loi minière prévoit un processus d'indemnisation à verser aux propriétaires fonciers individuels, mais ne précise pas si les propriétaires fonciers et les utilisateurs des terres ont le droit de refuser que les compagnies minières entrent sur leurs terres et les utilisent. »

« L'idée qu'un État qui n'a pas atteint un stade pleinement fonctionnel en termes de contrôle soit capable en l'état de cadrer et surveiller une industrie aussi dangereuse par essence me semble douteux. »

Les opposants ont aussi avancé le fait que les dispositions avancées par le projet de loi sont à côté de la plaque par rapport aux garde-fous de la Banque Mondiale en termes d'impact environnemental, c'est-à-dire l'équilibre entre destruction de l'espace naturel et avantages tirés du projet. D'après le projet de loi, le ministre haïtien de l'Environnement aura 180 jours pour évaluer l'impact environnemental d'un projet minier en vue d'une délivrance de permis d'exploitation. Six mois, cela semble être un laps de temps raisonnable, mais les plaignants opposent l'inefficacité de la bureaucratie gouvernementale haïtienne qui ne colle pas avec la temporalité de ces évaluations. Ils ont peur que ce décalage ne compromette l'autorité du ministre, et inhibe la capacité critique en ce qui concerne les préoccupations environnementales.

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Passés les six mois, on considèrera automatiquement qu'il n'y a pas d'objection. Ce qui autorisera la mise en place des activités minières, quels que soient les dangers potentiels. L'union des plaignants regrette le manque de clarté autour de la question de l'autorité du ministère de l'Environnement, et s'interroge sur le bien-fondé des mesures définies par le projet de loi.

La politique de mise en oeuvre de la Banque Mondiale impose une discussion avec « des groupes touchés par le projet, et des organisations non gouvernementales à propos des aspects environnementaux du projet. » De la documentation doit être produite suffisamment en avance, dans une forme et dans une langue « compréhensible et accessible ». De 90 à 95 pour cent des Haïtiens ne parlent que le créole, donc les documents en Français ne servent à rien pour favoriser le débat public. La plupart des communautés touchées sont en grande partie composées de fermiers autosubsistants, qui n'ont ni adresse email ni accès à Internet. Le grand public n'est au courant de rien, ce qui fait qu'on est loin de satisfaire les demandes de la Banque Mondiale.

« On ne nous a rien dit. Rien du tout, » raconte à VICE News Nixon Boumba, un des organisateurs du Mouvman Demokratik Popilè (MODEP). Le MODEP est l'une des six organisations représentant la société civile qui compose le Kolektif Jistis Min an Haïti (Le Collectif pour une Justice Minière en Haïti) et qui a déposé la plainte. Ce qui inquiète le plus le collectif, c'est le manque de consultations publiques lors de l'écriture du projet de loi.

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Boumba est allé à Port-au-Prince, pour la réunion de juin. Des invitations avaient été envoyées par email, en français, et Boumba a remarqué que l'hôtel qui accueillait le tour de table n'était pas accessible en transports en commun. Parmi les participants au meeting, les représentants des compagnies minières étaient venus en nombre, on comptait aussi le Bureau des Mines et de l'Énergie, le ministre de l'Économie et des Finances. Boumba a compté sept membres de la société civile, dont lui. On ne leur a donné que 45 minutes pour réagir à la centaine de pages du document, écrit selon Boumba dans un « jargon de législateur ».

« Si vous voulez l'avis des gens, il faut le leur demander sur quelque chose qu'ils peuvent comprendre, » dit-il.

« J'ai fini par comprendre qu'ils n'étaient pas venus pour bâtir quoi que ce soit avec les gens du coin. »

Predolus Predolis est un fermier qui habite dans la commune de Baie-de-Henne, dans le nord-ouest de Haïti. Il a travaillé avec une compagnie arrivée en 2010 à la recherche de nouveaux minerais. Il était payé 5 dollars de la journée pour creuser des trous pendant des heures tout l'été. Il indique à VICE News qu'il a à de nombreuses reprises tenté d'en savoir plus sur le projet auprès de la compagnie.

« J'ai demandé à des responsables pourquoi ils étaient là. J'ai posé plein de questions, » dit Prédolis. Il a 41 ans et c'est aussi un enseignant dans une école du coin. « J'ai fini par comprendre qu'ils n'étaient pas venus pour bâtir quoi que ce soit avec les gens du coin. »

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« Le problème c'est que la compagnie est arrivée et n'a partagé aucune information avec les propriétaires terriens du coin, » continue-t-il. « Ils se sont simplement mis à prendre des échantillons des terres de tout le monde ». Predolis se souvient qu'au début, les membres de la communauté étaient plutôt excités par les boulots de prospections et par l'argent que le projet pourrait leur rapporter. « Maintenant que les gens autour de moi connaissent l'impact des mines, on ne va pas autoriser la compagnie à revenir. »

Sauf que ce n'est pas eux qui vont décider. C'est du ressort d'un gouvernement qui est en train de se débattre avec une grave crise politique - sa capacité de contrôle des activités minières est au mieux incertaine.

« C'est une industrie qui pose des problèmes, même à des pays très développés comme les États-Unis » nous dit Meg Satterthwaite, une avocate et professeure à l'Université de New York, qui a aidé le collectif à déposer sa plainte. « L'idée qu'un État qui n'a pas atteint un stade pleinement fonctionnel en termes de contrôle soit capable en l'état de cadrer et surveiller une industrie aussi dangereuse par essence me semble douteux. »

Le collectif espère que ses craintes et doutes sur la capacité du gouvernement à surveiller de façon adéquate le secteur minier poussera le World Bank's Inspection Panel à enquêter sur le non respect des règles qui auraient dû commander la rédaction du projet de loi.

« Nous avons bon espoir que le comité d'inspection de la Banque Mondiale impose un changement dans les méthodes de celles-ci, qu'il remédie à cette situation, qu'il soulève les points cachés, et qu'il empêche des infractions futures, » dit la plainte. « La Banque Mondiale devrait arrêter de travailler sur le projet de loi minière ou sur tout autre projet de développement du secteur minier haïtien. La Banque Mondiale devrait demander au gouvernement haïtien de suspendre le vote de la loi, tant qu'il ne revient pas à un processus de décision démocratique. »

Interrogé sur ce sujet par VICE News, Dilek Barlas, le secrétaire de direction du World Bank's Inspection Panel à qui la plainte a été adressée, a indiqué que son bureau était en train de statuer sur le caractère recevable de la plainte. Elle a confirmé l'avoir lue, mais s'est refusée à tout commentaire plus avant. La Banque Mondiale dispose d'encore une quinzaine de jours ouvrés pour renvoyer une première réponse, elle décidera par la suite si les problèmes soulevés par la plainte nécessitent ou non une enquête.

Sarah Françoise a participé à ce reportage

Suivez Claire Ward sur Twitter: @thementalward