Jozsef Farkas devant l'entrée du bidonville Samaritain, en région parisienne. (Etienne Rouillon / VICE News)
VICE News s'est rendu ce mercredi matin dans le bidonville Samaritain, caché entre une voie ferrée et l'autoroute A86, à la Courneuve, une ville au nord immédiat de Paris. Depuis près de 8 ans — ce qui vaut à l'endroit d'être surnommé « le plus vieux bidonville de France », notamment par les ONG qui y travaillent — 80 familles roms, venues de Roumanie ou de Hongrie, s'y sont installées dans des conditions plus que précaires.Depuis le 15 août et une décision des autorités, ces familles peuvent être expulsées à tout moment. Elles expliquent qu'aucune solution ne leur est proposée. En d'autres termes, une expulsion pour eux cela signifie être jeté à la rue. L'un des 300 habitants de ce bidonville nous a invités au Samaritain pour nous parler de son combat pour annuler cette évacuation, mais aussi de ses rêves d'intégration et de réussite dans la chanson.« Voilà la première rue, il y en a trois ici, » nous explique Jozsef Farkas. Ce jeune Rom de 17 ans, venu du nord de la Roumanie habite dans ce bidonville depuis presque trois ans. C'est lui qui mène la mobilisation contre l'expulsion du Samaritain. Une semaine avant l'annonce des autorités, Jozsef avait lancé une pétition en ligne expliquant au monde entier les risques qui pèsent sur son bidonville, demandant à la mairie de considérer un projet alternatif. Deux semaines plus tard, ce mercredi, la pétition réunit plus de 37 000 signatures.Derrière Jozsef, s'ouvre une des « rues » du bidonville, c'est-à-dire un chemin recouvert de tapis et de carrés de lino, qui traverse une rangée d'abris de fortune, sur lesquels promènent de jeunes enfants, il y en a 106 au Samaritain. Sous les tapis que balaient des femmes, la terre est gorgée d'eau, l'endroit est insalubre. Au fond du bidonville, des rats énormes gambadent sur un immense tas de déchets.Sans eau ni électricité, les habitants gardent leur nourriture dans des frigos débranchés, pas pour la garder au frais mais « pour empêcher les rats et les insectes de tout manger,» nous explique Jozsef. Dégager le tas d'ordure et assainir l'endroit est l'un des points centraux du projet alternatif proposé par Jozsef aux autorités qui veulent les expulser.Jozsef est né d'un père hongrois et d'une mère roumaine, tous deux issus de la communauté Rom — qui est dispersée à travers toute l'Europe et qui fait l'objet de discriminations dans de nombreux pays de l'U.E. Jozsef habitait en Roumanie avant d'arriver en France. Il a appris le français en écoutant les gens qui achetaient les objets trouvés par ses parents dans les poubelles de Paris et revendus dans des marchés de « biffins », nom donné à ceux qui vendent ces menues trouvailles dont personne ne veut plus. Il explique qu'il n'est pas venu ici par plaisir mais à cause des persécutions que sa communauté subissait en Roumanie.Aujourd'hui Jozsef parle six langues dont le français, l'anglais, le romani et le hongrois. Il commence à se débrouiller en allemand et sait chanter en italien. « Grâce à ça, je suis traducteur et je fais un service civique [Ndlr, un dispositif qui propose aux jeunes de s'engager dans des initiatives d'intérêt général] chez les Enfants du Canal, une association qui vient en aide aux sans-abri, » nous explique-t-il, tout en saluant des voisins assis devant leur logement fragile.Lorsqu'il évoque son futur, Jozsef est soudainement enthousiaste. « Je vais participer à The Voice ! » s'exclame-t-il. Il nous raconte qu'il a été sélectionné pour chanter l'année prochaine dans le cadre de ce concours musical télévisé, le tout grâce à une vidéo postée sur Internet. Car si Jozsef rêve dans l'immédiat d'une vie meilleure, c'est-à-dire ne pas se retrouver à la rue le jour de l'expulsion, d'être « intégré en France », il a aussi des projets qui dépassent les murs de son bidonville.« Je voudrais aller à New-York, voir un concert de Beyoncé, » nous confie-t-il, « une amie m'a dit que je pourrai la rencontrer. » Lors de son passage dans l'émission The Voice, Jozsef espère être sélectionné par Mika, son « juré préféré ».En Roumanie, le jeune homme chantait comme soliste lors de cérémonies religieuses et à des mariages. « Quand je suis arrivé dans le village, j'étais déjà un peu comme une star, » nous raconte-t-il à l'intérieur de l'église du bidonville, une baraque plus longue que les autres, joliment décorée. « Maintenant je chante toujours, dans l'église. »Le bidonville du Samaritain tient son nom de cette église pentecôtiste, érigée par les habitants lors de leur arrivée.« On n'est pas des chiens. »Désormais autorisée par la préfecture de Seine Saint-Denis, l'évacuation du bidonville était réclamée depuis 2013 par le maire de la Courneuve, Gilles Poux (Parti communiste français).« C'est un maire communiste qui met des gens dehors, » s'étonne Jozsef. « Il y a des gens qui travaillent ici, des bébés, des handicapés, » s'insurge-t-il. « On n'est pas des chiens. »Dans sa pétition Jozsef et ses soutiens mettent l'accent sur un projet alternatif qui joue sur deux plans : améliorer la vie quotidienne en assainissant le bidonville et intégrer les habitants dans la société française — par l'emploi et la scolarisation. Deux organisations, la fondation Abbé Pierre ainsi que Médecins du monde, soutiennent notamment ce projet qui serait auto-financé à hauteur de 400 000 euros, selon les termes employés dans la pétition.Parmi les nombreux problèmes que rencontrent les habitants de ce bidonville, il y a par exemple l'impossibilité d'obtenir un certificat de domiciliation. « C'est pourtant le premier papier qui donne accès à tous les autres, » nous explique Pierre Chopinaud, porte-parole de l'association La Voix des Roms. Il est présent sur le bidonville pour assister les habitants dans leurs démarches. « Les enfants sont refusés dans les écoles du quartier, il est très difficile pour ces familles d'accéder aux soins et aux services de l'État, » déplore-t-il.En plus des associations, de nombreux habitants de la Courneuve soutiennent le combat de Jozsef et ses voisins. « Beaucoup de gens d'ici sont des descendants d'immigrés, » nous explique Chopinaud, « et ils se sont rendu compte du fait que certains de leurs propres parents avaient vécu dans des bidonvilles similaires. »Du côté de la mairie de la Courneuve, l'incertitude est palpable. « Le dossier est entre les mains de la préfecture, » explique à VICE News un porte-parole de la mairie joint par téléphone ce mercredi après-midi. Concernant la procédure d'expulsion, cet employé municipal préfère rester prudent. « C'est pour bientôt, » indique-t-il, « même si nous n'avons aucune garantie que cela aura effectivement lieu. »Contactée par VICE News ce mercredi, la préfecture de Seine Saint-Denis n'a pas été en mesure de nous donner davantage de précisions sur la date et les modalités de l'évacuation de ce bidonville installé sur un terrain qui appartient à la collectivité locale.« Nous ne le faisons pas de gaieté de coeur, » nous indique le porte-parole de la mairie, « mais il est hors de question que la Courneuve pérennise un bidonville sur son territoire, » explique-t-il quand on l'interroge sur le projet alternatif défendu par Jozsef et les habitants. « Tout ne sera pas financé par les associations, » estime le porte-parole, en ajoutant que « la Courneuve n'a pas les moyens de nettoyer ce site. » Ce plan alternatif est perçu comme une pérennisation du bidonville dont la mairie ne veut pas être responsable.« Si nous sommes expulsés, alors nous prendrons nos affaires, bien sûr, mais nous n'avons nulle part où aller, » explique Jozsef. « Nous voulons dire au maire que nous ne sommes pas des animaux, mais des êtres humains, » répète-t-il.Dans le bidonville, Jozsef est écouté, respecté. Par la force des choses, le jeune chanteur est devenu la voix de sa communauté.En pleine discussion avec un groupe d'habitants, il traduit du romani au français les doléances de ses voisins. Au cours de la discussion, Stefan, 32 ans, s'emporte contre ce qu'il juge être du « racisme » contre les Roms. « Pourquoi les autres [minorités] ont le droit à des aides et pas nous ? » demande-t-il, « Nous aussi nous voulons participer et payer des impôts, mais pour ça il nous faut une première chance. »Stefan explique qu'il travaille actuellement pour un exploitant agricole en région parisienne, « dans la transformation des raisins, » précise-t-il. Il a la mine sombre.Jozsef, lui, a encore l'âme à plaisanter. « Nous prions tous les soirs pour que le maire change d'avis, et moi je vais écrire une chanson romantique pour sa femme et lui, » déclare-t-il en riant.Suivez Pierre-Louis Caron sur Twitter : @pierrelouis_cSuivez Étienne Rouillon sur Twitter @rouillonetienne
Publicité
Publicité
Publicité
Publicité
Publicité
Publicité