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FRANCE

Dans les jardins d’Éole, où des centaines de migrants survivent grâce aux riverains et aux associations

Alors que la maire de Paris a annoncé la création prochaine d’un camp humanitaire dans la capitale, 800 à 1 200 migrants sont dans une situation d’urgence dans un square du nord de la ville.
Les jardins d'Éole à Paris, le 2 juin (Solenn Sugier / VICE News)

VICE News regroupe ses articles sur la crise migratoire mondiale sur son blog « Migrants ».


Les tentes, serrées les unes contre les autres, ont été installées jusque sur les trottoirs qui jouxtent la route. Pour les protéger de la pluie incessante, quelques bâches ont été accrochées aux arbres. Le sol est recouvert de boue. Il est jonché de barquettes de repas à moitié vides, de chaussures égarées ou de couvertures. Nous sommes en plein Paris, aux jardins d'Éole, là où des centaines de migrants survivent dans un campement de fortune formé depuis quelques semaines.

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Ce n'est pas le premier dans la ville. Depuis le démantèlement du camp de la Chapelle en juin 2015, les évacuations se sont enchaînées. Dernièrement, des personnes réfugiées dans un lycée parisien en travaux ont été délogées. Avant ça, les autorités ont évacué plusieurs campements situés sous la station du métro aérien Stalingrad, dans le nord de Paris, installé à seulement quelques rues des jardins d'Éole.

Pour remédier à la formation de ces installations de fortune, la maire de Paris Anne Hidalgo a annoncé lors d'une conférence de presse ce mardi la création d'un camp humanitaire dans le nord de la ville, d'ici un mois et demi. Inspiré par celui qui a été construit à Grande-Synthe, non loin de Calais, il devra être « conforme aux normes de l'ONU et du HCR ». « L'Europe n'est pas à la hauteur de son histoire et notre pays non plus », a assuré la maire, citée par Libération. « Dans dix ans, quinze ans, je veux pouvoir me regarder dans la glace et ne pas me sentir coupable de non-assistance à personne en danger. »

À lire : Dans le premier camp humanitaire de France : un « anti-Calais » en construction

En attendant l'ouverture de ce camp humanitaire, entre 800 et 1 200 personnes, selon les associations et les collectifs, survivent tant bien que mal dans le camp de fortune des jardins d'Éole. Des hommes majoritairement, mais aussi des femmes et des mineurs, originaires du Soudan, d'Afghanistan et d'Érythrée.

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Hissan (le nom a été changé à sa demande) y vit depuis le tout début, il y a deux ou trois semaines. La trentaine, il est emmitouflé dans sa veste pour se protéger du froid, il ne quitte pas sa capuche, qui dissimule des cheveux teints en blond platine. « Au début, il n'y avait que huit petites tentes », raconte-t-il. Après avoir été une première fois évacués par la préfecture et placés dans des centres, les hommes sont revenus dans le square. « On préfère rester là. Le centre, c'était un endroit pourri. Tu vas devenir fou si tu restes là-bas. Il n'y a rien à faire, un peu comme la prison. Ici, les associations nous donnent à manger. On mange mieux ici. »

Les jardins d'Éole à Paris, le 2 juin (Solenn Sugier / VICE News)

Plusieurs associations oeuvrent sur le camp pour aider les réfugiés. Emmaüs Solidarité leur donne des cours de français et les oriente sur les procédures à suivre pour obtenir des papiers. Médecins du monde les soigne et s'occupe essentiellement des femmes enceintes qui vivent dans le camp. L'Armée du Salut distribue des repas froids, une fois par jour, pris en charge par la mairie de Paris. Le stock est passé rapidement de 350 à 500 repas distribués chaque soir.

Mais, au quotidien, ce sont les riverains qui assurent le fonctionnement du camp. « C'est nous qui fournissons les tentes, les vêtements. On les emmène à l'hôpital, aux douches. Certains riverains accueillent des personnes chez eux », nous explique Loïc, un graphiste qui vit dans le quartier. Organisés en collectifs ou pas, les habitants forment des groupes hétéroclites, qui parfois s'échangent simplement les informations via les réseaux sociaux. « On fait tout ça à nos frais », assure Loïc. « Certains magasins de bricolage acceptent de nous faire des prix », pour permettre d'installer les tentes.

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Une réponse dans l'urgence

Le riverain bénévole confie son désarroi face à la gestion de cette situation de crise. Il cite notamment les « associations complètement débordées » ou le service de voirie qui refuse de nettoyer le camp. « Ils ont mis trois semaines à amener les toilettes. À ce moment-là, ils étaient déjà 500 », affirme-t-il, en désignant les trois sanisettes à l'entrée du camp. « On fait de plus en plus un boulot nécessitant d'être fait par des professionnels. » Pour certains bénévoles sur place, la création d'un camp humanitaire « c'est un coup de com'politique ».

Pour lui, le blocage se fait au niveau de l'État. « La création d'un camp humanitaire, c'est la décision d'Anne Hidalgo. Mais il n'y a pas d'échange avec l'État », lance-t-il. À la suite de l'annonce de la maire de Paris, le ministère de l'Intérieur a assuré que cette initiative relevait « de la libre administration des collectivités locales ». Le lendemain, dans un communiqué, Bernard Cazeneuve a notifié que, dans le cadre des engagements européens pris par la France, « 97 réfugiés supplémentaires sont arrivés en France en provenance de Grèce et d'Italie » et que « dans la semaine du 9 juin, 253 autres personnes arriveront sur notre sol depuis la Grèce ». Il a ajouté qu'il serait désormais « proposé chaque mois à la Grèce de relocaliser 400 personnes sur notre territoire ». De son côté, la maire de Paris s'est dite prête à se passer du soutien de l'État et à « prendre les devants ».

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Des membres de l'association France Terre d'asile, présents sur le camp, estiment que les délais de traitement des dossiers par la préfecture participent à la formation de ce type de camp. « Les migrants qui arrivent doivent passer par notre association pour prendre un premier rendez-vous à la préfecture. Le délai légal est de trois jours, dix en cas d'affluence. Aujourd'hui, il est de quatre mois. Les migrants doivent donc attendre, en situation irrégulière, sans avoir accès à leurs droits », affirment les membres de l'organisation. Nous avons demandé une réaction à la Préfecture de police qui n'a pas pu nous répondre dans les délais de parution de cet article.

Le directeur général de France Terre d'asile assure lui que cette décision d'Anne Hidalgo « contribue à faire bouger les lignes ». « Je ne fais pas partie de ceux qui se réjouissent de la création d'un camp dans la capitale de la sixième puissance mondiale, mais en même temps, il y a urgence », nous explique-t-il. Il affirme qu'aujourd'hui, 14 000 demandes d'asile sont enregistrées à Paris chaque année, alors qu'il faudrait en inscrire 30 000 pour répondre aux besoins. Pour lui, l'État doit reprendre en mains la situation. Il propose notamment d'installer « des structures de transit dans toutes les capitales régionales, où les personnes seraient accueillies, identifiées et redirigées vers les structures adéquates. »

Du côté de l'Armée du Salut, on tire les mêmes conclusions. « On ne peut que soutenir cette décision qui est une réponse à une situation dramatique immédiate », nous assure Perrine Dubois, en charge du secteur « inclusion sociale ». « Elle doit être temporaire. Il faudrait une plus grande organisation des services de l'État, au niveau européen, pour anticiper le nombre de personnes arrivant sur le territoire, et ainsi nous permettre d'anticiper les réponses. »

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Dans le square des jardins d'Éole, l'urgence se fait sentir et la tension est palpable. « Il y a beaucoup de bagarres, à cause de la nourriture ou des tentes », raconte Hissan. Les riverains distribuent tentes et couvertures la nuit, pour éviter les conflits. La veille, un groupe de migrants, excédé par leurs conditions de vie, a bloqué les rues et refusé la nourriture de l'Armée du Salut. « Rooms, no food », ont-ils clamé.

Certains habitants et commerçants expriment aussi leur ras-le-bol face au troisième camp qui se forme dans leur quartier. « Ce n'est pas de leur faute, on ne va pas s'en prendre à des gens dans la misère. Mais ça fait un an que ça dure », nous lance un homme qui vit dans la rue, en face du square. « Là, c'est le parc de nos enfants quand même, qui maintenant pue la pisse. Des gens pensent à déménager. »

Des rumeurs de démantèlement sont parvenues aux oreilles des bénévoles et des migrants ces derniers jours. Mais aucune information précise ne leur a été rapportée. Si une évacuation a lieu, Hissan se rendra dans un nouveau camp. Il voudrait rester en France, un pays dont il parle la langue et où il rêverait de devenir cuisinier. Mais pour le moment, il envisage son avenir difficilement. « Ça sera quoi le futur pour moi ? », lance-t-il. Il ajoute, en montrant le camp qui s'étale derrière lui : « Ça, ça doit être la honte pour la France. »


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