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VICE News

De Tel-Aviv sur Seine à Gaza Plage

« Quand on va à la plage on est tous pareil. » VICE News était sur les quais de Seine ce jeudi.
Pierre Longeray
Paris, FR

Sur les quais de Seine, à quelques pas de l'Hôtel de Ville de Paris, se tenait ce jeudi un événement organisé par la mairie, dans le cadre de Paris Plages, baptisé Tel-Aviv sur Seine. Il s'agissait de faire découvrir aux Parisiens la capitale israélienne (reconnue comme telle par la communauté internationale) sous un angle culturel.

Un an après la dernière guerre de Gaza, l'idée n'a pas plu à tout le monde — notamment à des conseillers municipaux à la gauche de la gauche, et à des militants pro Palestiniens qui ont organisé ce même jour une manifestation baptisée Gaza Plage, à quelques mètres de là. Malgré la polémique qui enflait sur les réseaux sociaux ou dans la classe politique depuis vendredi dernier, et les risques de confrontation entre militants, la maire de Paris, Anne Hidalgo, a décidé de maintenir l'événement, se défendant de mettre en avant la politique d'Israël.

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Comme annoncé, le dispositif policier est impressionnant en arrivant sur les quais de Seine ce jeudi matin. Il est 10 heures, et Paris Plages vient de s'ouvrir au public. Il s'agit d'un événement culturel et ludique annuel qui aménage temporairement les quais du fleuve qui traverse Paris. Près de 500 policiers et gendarmes sont déployés sur ce petit périmètre qui allie parasols, transats et sable fin. Pour rentrer dans la partie réservée à l'événement Tel-Aviv sur Seine — qui occupe seulement 300 mètres sur les 2 kilomètres de Paris Plages — il faut passer un contrôle de police et vider ses poches.

Contrôle des sacs à l'entrée de Tel-Aviv sur Seine. (Etienne Rouillon/VICE News)

En début de matinée, la « plage » parisienne commence à se remplir. Il y a en revanche peu de gens qui viennent pour bronzer, mais surtout des journalistes dépêchés par leurs rédactions. Un représentant de la ville de Paris explique à VICE News, pour désamorcer la polémique, qu'il s'agit d'un événement « culturel, ludique et festif » — à l'image de Paris Plages. « C'est un événement anecdotique qui ne fait pas la promotion du gouvernement israélien, » précise le porte-parole de la mairie.

« Je suis Français et Israélien, » nous explique Mordékhaï, un retraité de 75 ans au teint hâlé. Pour lui, cet événement met autant en scène Tel-Aviv qu'Israël. Il revient tout juste d'Israël, mais ne quitterait la France pour rien au monde. Pour lui, le choix de la ville de Tel-Aviv pour cet événement est le bon, « C'est une ville où il y a de tout. Tout le monde est le bienvenu. » Pour Mordékhaï, c'était important de venir ce jeudi matin « Je suis ici pour montrer qu'on [la communauté juive] est là, qu'on n'est pas oublié. »

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Des jeunes filles bénévoles de l'opération jouent aux raquettes de plages au son d'une musique électronique, et arborent des tee-shirts qui portent l'inscription Tel-Aviv en français et en hébreu. Certains badauds sont installés sur des transats et portent des petits chapeaux blancs qui ont été distribués, sur lesquels est écrit « Israel : Land of Creation, » le slogan du pays développé par l'office du tourisme israélien.

Photo par Pierre Longeray / VICE News

Rapidement, la mairie de Paris va faire retirer ces chapeaux — qui mettraient en valeur le pays plutôt que sa capitale, comme cela était convenu. Tel-Aviv sur Seine est issu d'un partenariat entre deux villes, et pas deux États, nous explique-t-on du côté de la mairie. « Aucun représentant d'Israël n'est ici […] Par contre si certains visiteurs veulent tenir un discours politique en venant ici, ils sont libres. » On nous rappelle aussi qu'un événement semblable s'était tenu à New York et à Copenhague sans ce que cela ne déchaîne les passions.

Naomi, une jeune bénévole qui revient de vacances à Tel-Aviv, essaye justement de récupérer les chapeaux blancs, mais « les gens ne veulent pas vraiment les rendre. » Difficile de savoir qui les a apportés, la mairie de Tel-Aviv, qui avait envoyé d'autres « goodies » assure à la Mairie de Paris que cela ne vient pas d'eux.

« Quand on va à la plage on est tous pareil, » explique à VICE News, David, un informaticien de 50 ans qui se balade. Il aurait souhaité que ce soit l'occasion pour les pacifistes israéliens et palestiniens de se retrouver et de vivre ce moment ensemble. Mais d'après lui, les pro Palestiniens « refusent le dialogue » et préfèrent organiser leur manifestation de leur côté.

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En fin de matinée, les visiteurs sont de plus en plus nombreux à promener dans Tel-Aviv sur Seine. Le ratio journalistes/badauds s'équilibre puis se renverse. Jusqu'à 22 heures l'opération doit se poursuivre, avec notamment des DJs en début de soirée.

Gaza Plage

De l'autre côté du cordon de police, plus loin sur le quai, chez les militants pro Palestiniens, le thème de la plage n'est pas réellement synonyme de fraternité. « L'été dernier, les Israéliens massacraient des gens sur une plage de Gaza, à 50 kilomètres de Tel-Aviv, et aujourd'hui ils organisent leur plage ici, sur les bords de Seine ? » s'interroge Mahmoud, un Palestinien de 29 ans qui est arrivé en France il y a un an pour se marier avec une Française. Quatre enfants palestiniens avaient été tués en juillet dernier sur une plage de Gaza, par des missiles israéliens, alors qu'ils jouaient au football.

Mahmoud et sa femme, sur "Gaza Plage". Pierre Longeray / VICE News

À l'appel de plusieurs associations, dont Europalestine en tête de file, une petite centaine de personnes s'est retrouvée sur les coups de midi de l'autre côté du barrage humain créé par les CRS, pour organiser Gaza Plage. « C'était une exigence d'organiser cet événement face à la provocation que constitue Tel-Aviv sur Seine, » explique à VICE News, Nicolas, un cinquantenaire engagé pour la cause palestinienne et membre d'Europalestine.

Le 8 juillet 2014, Israël avait lancé l'opération Bordure protectrice, une offensive militaire dans la bande de Gaza, en réaction à des tirs de roquette du Hamas contre Israël. D'après l'ONU, 2 104 Palestiniens ont été tués au cours des deux mois qu'a duré l'offensive israélienne — dont 70 pour cent de civils. Pour nombre de militants présents sur les quais de Seine ce jeudi, la date choisie pour Tel-Aviv sur Seine tombe mal, c'est à la fois le triste anniversaire du conflit et la journée a lieu dix jours après la mort d'un bébé Palestinien, brulé vif après que sa chambre a été la cible de cocktails Molotov.

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« Tel-Aviv n'est pas Romorantin [Ndlr, une commune sans histoire du Loire et Cher]. C'est la capitale d'Israël, évidemment que c'est un événement politique, » explique Nicolas qui regrette que la mairie n'a pas organisé un événement pour les pacifistes des deux camps. En revanche, pour lui, il n'est pas question d'aller de l'autre côté, à Tel-Aviv sur Seine, « Je tiens à ma peau, » dit-il avec son tee-shirt vert, barré en lettres blanches par un slogan évocateur, Free Palestine.

La partie de Paris Plages rebaptisée "Gaza Plage". Pierre Longeray / VICE News

Le stand de produits dérivés pro Palestiniens est bien rempli avec des tee-shirts et sweatshirts « Boycott Israel, » des parapluies avec un imprimé imitation keffieh. Des enceintes crachent du rap palestinien et les gens dansent. Une dame âgée offre aussi des boules de falafel à ceux qui en veulent. « Là-bas [à Tel Aviv sur Seine] ils disent "Venez découvrir notre culture et manger des falafels." Mais c'est une arnaque. Le falafel c'est Palestinien et Libanais, » nous explique, Allah, un Tunisien de 35 ans.

Aissam a un drapeau de la Palestine attaché au cou, la casquette vissée sur la tête. Il s'est vu refuser l'entrée à Tel-Aviv sur Seine, alors qu'il était « habillé en civil ». Il est traiteur à Paris et habite Sarcelles, où il vit depuis près de 30 ans. « Là-bas il y a beaucoup de juifs, mais aussi beaucoup de pro Palestiniens et pour le coup ça s'est toujours bien passé. Un peu comme aujourd'hui. »

Suivez Pierre Longeray sur Twitter : @PLongeray