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FRANCE

Des djihadistes français pourraient avoir été tués en Syrie par l’armée de l’air française

Le bombardement d’un camp d’entrainement de djihadistes ce vendredi en Syrie pourrait avoir fait des victimes françaises. Cela pourrait ouvrir la voie à un débat sur les exécutions extrajudiciaires semblables à celui qui a cours aux USA.
Chammal : raid contre un centre d’entraînement de Daech en Syrie dans la nuit du 8 au 9 octobre (État-major des armées / armée de l'air)

Des djihadistes français et francophones pourraient avoir été tués par des frappes françaises réalisées sur un camp d'entraînement de djihadistes la semaine dernière, dans la nuit de jeudi à vendredi, dans les environs de la ville de Rakka en Syrie, a indiqué une source gouvernementale à l'AFP, ce lundi.

D'autres médias français avaient d'abord donné ce lundi matin le chiffre de six victimes, citant là aussi des informations venant de proches du gouvernement.

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La source de l'AFP qui s'exprimait en marge du déplacement du Premier ministre français Manuel Valls à Amman en Jordanie est venue nuancer ces premières informations. Elle ne confirme pas le chiffre de 6 djihadistes tués, ce chiffre a « probablement » été fourni par « une ONG syrienne ». Le Premier ministre est en visite ce lundi sur une base militaire jordanienne, d'où décollent les avions français qui frappent la Syrie et l'Irak.

Contacté par VICE News ce lundi en fin de matinée, l'État-major des armées nous a indiqué n'avoir pour le moment « aucun élément » à apporter pour confirmer le nombre de djihadistes tués. L'armée française nous a toutefois expliqué que les frappes visaient « un centre d'entraînement dédié aux opérations suicides dans le sud ouest de Rakka, »

Il s'agissait de la deuxième action de ce type en Syrie après un premier raid réalisé le 27 septembre au sud de Deir Ezzor, dans l'Est de la Syrie.

Exécutions extrajudiciaires

Contrairement aux États-Unis et au Royaume-Uni qui ont déjà franchi le pas, la France n'a jamais, du moins officiellement, opéré des assassinats ciblés de ressortissants français. Et même si le gouvernement ou l'armée française venait à reconnaître officiellement le décès de français dans ces dernières frappes, les autorités françaises pourraient ne pas considérer cela comme une première pour la France.

En effet, depuis plusieurs jours, la ligne tenue par les autorités est la suivante : les Français ne sont pas directement ciblés, c'est toute l'organisation État islamique qui est visée, français ou pas français.

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Questionné à la mi-septembre, le ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian avait justifié ainsi l'action de l'armée, en éludant la question : « Nous ne ciblons personne en particulier. Nous combattons non des individus mais un groupe terroriste composé de ressortissants de différentes nationalités, dans le respect du droit international humanitaire. »

Le Premier ministre français Manuel Valls a quant à lui déclaré ce dimanche : « Nous ne demandons pas le passeport à telle ou telle personne mais nous frappons ceux qui préparent les attentats contre la France. »

Le pays semble vouloir couper ainsi court à tout débat sur les exécutions extrajudiciaires qui ont cours aux États-Unis, ou au Royaume-Uni qui avait annoncé le 7 septembre dernier avoir éliminé deux semaines plus tôt 2 citoyens britanniques en Syrie — avec un drone de la Royal Air Force (RAF). Ils auraient préparé un attentat contre laReine d'Angleterre. Cette exécution extrajudiciaire, puisque effectuée sans jugement préalable, était une première pour un pays européen.

En 2011 aux États-Unis, la mort d'un imam islamiste de nationalité américaine, tué par un drone américain au Yemen, avait créé la polémique aux États-Unis. Selon certains défenseurs des droits de l'homme, cet imam aurait dû bénéficier du droit inscrit dans la Constitution des États-Unis, qui garantit à tout citoyen américain un procès. En 2013, une note du ministère de la Justice américain développait les arguments juridiques permettant ce type d'exécution, en s'appuyant sur la notion très large de « menace imminente ».

Paul Tavernier est professeur de droit et directeur du Centre de recherches et d'études sur les droits de l'Homme et le droit humanitaire (CREDHO). Il nous explique que si « Sur le plan de la morale, on peut s'interroger sur la légitimité d'attaques contre des ressortissants français [par l'État français], » en revanche sur le plan du droit pur « S'il est prouvé qu'il y a des attaques provenant de camps de djihadistes pesant sur la France, alors le fait qu'il y ait des ressortissants français ne change pas grand-chose » à la légalité des frappes.

Un constat partagé par Didier Maus, professeur de droit constitutionnel à l'Université d'Aix-Marseille, interrogé par France 24 il explique « Il n'existe aucune interdiction légale, aucun argument juridique dans ce type de conflit armé très particulier, […] qui interdit à un gouvernement de viser ses propres ressortissants considérés comme dangereux. »

Dans une interview accordée au Monde fin septembre, Patrick Baudouin, avocat et président d'honneur de la Fédération internationale des droits de l'homme (FIDH), avait déclaré que des familles françaises dont un membre serait tué dans des bombardements effectués en Syrie par la France pourraient envisager de porter plainte pour assassinat en considérant que le pays va trop loin dans sa lecture de l'article 51 de la Charte des Nations Unies. Cet article autorise la « légitime défense […] dans le cas où un Membre des Nations Unies est l'objet d'une agression armée ».

Suivez Lucie Aubourg sur Twitter : @LucieAbrg