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Crime

"Stupide": des militants syriens dénoncent un tract gore anti-EI, largué en Syrie par les USA

Cet outil de propagande a été conçu par un service spécial du Pentagone, consacré à la guerre de l'information et à la guerre psychologique.
Image via Department of Defense

L'armée américaine ne fait pas que larguer des bombes au-dessus de Racca. Elle lâche aussi des caricatures sanglantes qui ont pour but de sensibiliser les Syriens aux dangers de l'organisation État Islamique, de les dissuader de grossir ses rangs. Racca est devenue de-facto la capitale de l'EI.

Plus tôt, au mois de mars, l'armée de l'air américaine a largué 60 000 tracts illustrés d'un dessin, dans le sud-ouest de la ville.

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Sur le dessin, on trouve une ligne de jeunes hommes qui font la queue devant "le bureau de recrutement de Daesh" — utilisant l'acronyme arabe qui définit le groupe islamiste, qui peut également être nommé avec celui d'ISIS ou d'ISIL. En haut, dans le coin à droite, on peut lire " Au tour du client n°6 001". Un homme, en première position dans la file, fait tomber son ticket, numéro 6 001. Il vient de découvrir avec horreur que les hommes de l'EI jettent les candidats dans une sanglante machine à faire de la viande hachée.

Cette campagne de propagande entend capitaliser sur et faire fructifier les divisions au sein du bastion de l'EI pour saper sa capacité à enrôler des combattants depuis Racca. Le tract a été imaginé par le Military Information Support Operations, un service spécial du Pentagone consacré à la guerre psychologique et à la guerre de l'information. Une manière d'essayer d'atteindre l'EI par d'autres moyens que les frappes aériennes sur des cibles militaires stratégiques.

"Le message de ce tract, c'est que si vous vous laissez être recruté par Daesh, vous vous retrouverez dans un hachoir à viande," a expliqué un porte-parole du Pentagone à la presse, le colonel Steve Warren. "Ce n'est pas bon pour votre santé."

Il est possible que l'opération ait été motivée par le besoin de répondre à des rapports selon lesquels les frappes de la coalition commandée par les États-Unis, sur Racca et d'autres zones tenues par l'État islamique, auraient eu un effet non-souhaité : booster le recrutement de l'EI, les civils étant excédés d'être sous le feu des bombes.

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"La plupart des gens de Racca sont contre l'EI," nous avait expliqué l'automne dernier Abu Ibrahim Raccawi, un militant du groupe "Racca est massacrée en silence", qui documente les atrocités commises par l'EI. "Après les attaques, d'autres ont dit 'Je vais rejoindre l'EI après ces attaques'. Mais la plupart des gens qui vivent ici veulent juste que [l'EI] parte. Ils sont simplement fatigués."

— ????????????…? (@Raqqa_Sl)March 26, 2015

Les militants de "Racca est massacrée en silence" ont posté en ligne des photos des tracts trouvés à Racca. Mais lorsque l'on a appelé Raccawi (son surnom fait référence aux habitants de Racca), pour parler de l'impact de cette campagne de propagande, il nous a dit que la majorité des habitants de Racca n'avait pas vu les tracts.

"Ils n'ont eu aucun impact,' a dit Raccawi. "L'EI les a retirés de la rue tout de suite."

Il a jugé que ces tracts étaient "stupides" et a dit des initiatives de propagande de l'armée américaine qu'elles étaient peu judicieuses.

"Ils pensent que Racca est du côté de l'EI, et ce n'est pas vrai," dit-il. "Les gens rigolent de leur bêtise."

Bien que la ville soit dirigée par des combattants étrangers, que ses habitants soient sous la coupe des chefs de l'EI, Raccawi insiste sur le fait qu'il n'y a qu'un petit groupe de citoyens de Racca qui soutient les combattants de l'EI. La plupart en revanche sont opposés aux bombardements.

"Ils disent, 'Pourquoi ne bombardent-ils pas Assad ?', " explique Raccawi.

D'autres experts s'interrogent sur la pertinence et l'efficacité de la stratégie du Pentagone. Ils pensent que ceux qui rejoignent l'EI sont soit forcés de le faire, soit attirés par la perspective d'un salaire, quand d'autres options pour gagner sa croûte viennent à manquer, soit ils adhèrent déjà entièrement à son idéologie, et sont donc de fait immunisés contre la propagande américaine.

"Ils sont coincés entre le régime [d'Assad], l'EI, et les frappes aériennes de la coalition qui essaie désormais de les décourager de rejoindre ses ennemis, " explique à Al-Jazeera Faysal Itani, un membre de l'Atlantic Center à Washington, expert de la guerre civile syrienne. "Vu qu'ils vivent dans ces conditions, dans un environnement pareil, c'est une façon de faire désagréable et absurde que de vouloir les décourager de rejoindre l'EI en liant ce groupe à des morts violentes."

Suivez Alice Speri sur Twitter: @alicesperi