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Crime

Des paramilitaires éradiquent les plantations illégales de cannabis en Californie

Des forces de sécurité privées traquent les plantations de cannabis hors-la-loi dans la région californienne du « triangle d’émeraude ».
Photo via lostcoastoutpost.com

La région californienne dite du « triangle d'émeraude » est mondialement connue pour ses plantations de cannabis. Le bourdonnement des hélicoptères qui passent au peigne fin les montagnes faiblement peuplées pendant la période de récolte de l'herbe a de quoi rendre parano.

Cette année ne fait pas exception. Au cours du mois dernier, les forces de police locales, ainsi que la police fédérale, ont mené des raids à travers le triangle d'émeraude (comprenant les trois comtés californiens de Humboldt, Mendocino et Trinity) en utilisant un énorme ancien hélicoptère militaire siglé d'un blason élimé de l'US Air Force pour éradiquer des dizaines de milliers de plants. Mais cette année, on rapporte que les forces de police ont davantage visé des petits cultivateurs ayant moins de cinquante plants, qui étaient donc en règle vis à vis des législations locales d'après Tim Blake, qui dirige la compétition annuelle de cannabis Emerald Cup.

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En plus de l'activité croissante des forces de l'ordre, une nouvelle source d'inquiétude a émergé pour les cultivateurs d'herbe : une entreprise paramilitaire privée de sécurité appelée LEAR Asset Management Corp. Opérant avec un hélicoptère - le même que celui des policiers d'après Tim Blake - les escadrons d'agents de sécurité en tenue de camouflage et fusil d'assaut AR 15 ont été largués sur des terrains privés, éradiquant les plantations illicites de cannabis.

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Jusqu'à maintenant, LEAR a été engagé, ou du moins a obtenu le consentement des propriétaires fonciers pour s'attaquer aux plantations « intrusives », que les cultivateurs installent sur des terrains qui ne leurs appartiennent pas, au fin fond de montagnes ou de forêts du triangle d'émeraude.

« Les forces de l'ordre n'ont simplement pas les moyens de s'occuper [des plantations intrusives] », a déclaré à Talking Points Memo Paul Trouette, fondateur et PDG de LEAR. « C'est dans ces conditions qu'on a apporté une réponse, selon moi, à la question de savoir comment mettre en place une entreprise privée de sécurité cohésive, légale et organisée qui gère ce type de problèmes ».

Paul Trouette n'a pas donné suite à nos nombreuses demandes de commentaire.

« Si vous êtes un grand propriétaire foncier avec 2000 ou 5000 hectares, que vous ne pouvez pas gérer les plantations intrusives, et que la police ne peut ou ne veut pas le faire, quelle autre option vous avez ? » s'est interrogé Tim Blake au micro de VICE News. « Vous allez devoir vous tourner vers LEAR. Ce que ces milices armées font est un mal nécessaire, et si ce que Paul dit est vrai, il semble qu'ils ne touchent pas aux plantations légales ».

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Sans oublier, ajoute Tim Blake, que LEAR n'aurait aucune motivation financière à conduire des raids de type de ceux des forces de l'ordre, le coût horaire de ceux-ci s'élevant probablement de mille à deux mille dollars.

Les plantations intrusives peuvent se développer dans le triangle d'émeraude parce que la région est encore rurale, avec une basse densité de population, et qu'il est difficile pour les propriétaires de surveiller de grandes zones de terrain. En conséquence, cela fait des décennies que les plantations intrusives prospèrent, selon Chuck Morris, commissaire de l'agriculture de Mendocino.

Les plantations intrusives sont particulièrement dangereuses pour les propriétaires fonciers parce qu'elles sont le plus souvent gérées par des mafias italiennes, chinoises, ukrainiennes et mexicaines, selon des sources de VICE News qui sont familières avec cette activité illégale. Souvent gardées par des hommes de main bien armés, les cultivateurs intrusifs posent aussi des pièges, chassent les animaux sauvages, et causent d'énormes dommages à l'environnement à cause des pesticides qu'ils utilisent.

Ce n'est pas facile de faire face aux plantations intrusives, compte tenu du manque de moyens du gouvernement, d'après Jason McDaniel, professeur en sciences politiques.

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« On aimerait qu'il n'y ait pas de sécurité privée du tout, la police devrait être capable de le faire », a-t-il confié à VICE News. « Mais cela demanderait un énorme effort concerté de la part du FBI, de la DEA [Drug Enforcement Administration] pour éliminer le problème en totalité - souvenez-vous des confrontations du FBI avec la mafia dans le passé ».

Jason McDaniel voit le créneau de LEAR comme un exemple classique de citoyens mettant leurs ressources en commun lorsqu'un problème évolue au delà de la capacité de l'administration locale ou de l'état à le résoudre.

« Il n'y a aucune organisation fédérale prévue pour s'occuper des propriétaires. Nous avons une longue histoire de service privé, particulièrement dans les zones rurales, mais il y a des compromis que l'on est obligé de faire. En terme de sécurité privée, souvenez-vous de Blackwater [société militaire privée responsable de nombreuses bavures en Irak]. Il n'y a pas de responsabilité si vous vous mettez dans de mauvaises situations », analyse-t-il.

Les experts de la police auxquels nous avons parlé ont reconnu que les opérations d'éradication de LEAR pouvaient avoir des conséquences imprévisibles. Une source (qui a commenté anonymement, parce qu'elle n'est pas le porte-parole désigné par son département de police) a déclaré : « Les flics ne tiennent pas en estime les mecs des entreprises de sécurité. Ces gars sont des mercenaires ».

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Il y a des vraies préoccupations pour la sécurité des agents de sécurité privée qui se rendent sur les plantations intrusives, qui sont souvent piégées et protégées par des gardes lourdement armés, a prévenu VICE News Walter Lamar, ancien agent du FBI. Walter Lamar, qui a servi dix-neuf ans pour le FBI dirige maintenant une entreprise de consulting en sécurité.

« Vous avez des agents de sécurité armés vadrouillant dans les bois, si il n'y a pas d'effort coordonné, et que les forces de l'ordre rencontrent un contingent armé [de LEAR], il pourrait y avoir une confrontation malheureuse ».

La coordination entre les forces de l'ordre locales de l'État et celles des forces fédérales sont les bonnes pratiques de cette industrie, assure Walter Lamar. « D'un coté il est compréhensible que les propriétaires fonciers se tournent vers une sécurité privée si il n'y a pas assez d'effectifs policiers pour patrouiller. Mais une coordination rigoureuse est nécessaire ».

Une des raisons à cela, a-t-il expliqué, est que si les contacteurs privés éradiquent eux-même une plantation, il est possible qu'ils courent le risque de perturber une enquête fédérale ou locale en cours. « Il y a la possibilité qu'ils détruisent des preuves ».

Au mépris des risques, LEAR s'attaque aux nombreuses conséquences environnementales que les plantations intrusives génèrent inévitablement, conséquences qui sont devenues galopantes en deux décennies et qui demeurent non maîtrisées, selon Chuck Morris, le commissaire à l'agriculture du comté de Mendocino.

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« Il y a beaucoup de pesticides illégaux autour de ces plantations », affirme-t-il à VICE News. « Non seulement, les plantations sont complètement illégales, mais une bonne partie [des cultivateurs] saigne à blanc la faune, tue des cerfs, des ours et d'autres animaux pour la nourriture et pour protéger leurs plants de marijuana. Il y a aussi la pollution de l'eau, le détournement d'eau, plus les déchets humains, ce qui comprend les excréments et les ordures ».

Dans une vidéo postée par la fondation Jere Melo, on peut voir des agents de sécurité de LEAR nettoyer toutes sortes de déchets dans une plantation intrusive abandonnée sur les terres de la Mendocino Redwood Company.

Chuck Morris indique que son administration a initialement consulté Trouette concernant les différents pesticides utilisés dans les plantations intrusives, dont aucun d'entre eux n'a été certifié par la Food and Drug Administration (FDA) comme étant sans danger pour une utilisation sur le cannabis, en grande partie parce que la drogue reste illégale au regard des lois fédérales.

Au delà des coûts environnementaux des plantations intrusives que Morris qualifie « d'incroyablement hors-normes », il s'inquiète des conséquences sur la santé des pesticides toxiques utilisés. Le Carbofuran est l'un des produits utilisés couramment sur les plantations intrusives. C'est un insecticide qui est absorbé par la plante via ses racines, et interdit par la FDA pour toute culture destinée à la consommation humaine. Le Carbofuran est pourtant régulièrement utilisé par les cultivateurs intrusifs, et comme la plante l'absorbe, il est susceptible d'être encore présent lorsque le cannabis est consommé, prévient Chuck Morris.

À l'inverse, les conséquences potentielles sur la santé de ces plantations intrusives constituent un argument en la faveur d'une légalisation fédérale. Avec force de surveillance, d'imposition et de réglementation, il est probable que le marché noir du cannabis recule, voire disparaisse carrément, selon Amanda Reiman, de la Drug Policy Alliance.

« En réglementant où le cannabis peut être cultivé, nous gagnons un contrôle sur les sites de production puisqu'ils doivent être habilités » écrit-elle dans un courriel. « On ne constate pas les mêmes problèmes de plantation intrusive dans d'autres industries comme celle du vin ».

Suivez Max Cherney sur Twitter :@chernandburn

Toutes les photos sont de Lost Coast Outpost.