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FRANCE

Des textos venus du Kremlin relancent la question des emprunts russes du FN

Le nom de la présidente du Front National, apparaît à plusieurs reprises dans les SMS d’un responsable de l’administration de Vladimir Poutine qui ont été rendus publics par des hackers russes.
Photo VICE News / Etienne Rouillon

Les 40 000 textos échangés par Timur Prokopenko, le chef adjoint du Département de Politique intérieur de Moscou entre 2011 et 2014 ont été publiés ce mardi par les « Anonymous International », un groupe de hackers russes. Le site d'information Mediapart révèle ce jeudi qu'une partie de ces textos a pour objet le soutien apporté par Marine Le Pen, la présidente Front National (FN) à la Russie en mars 2014, dans le contexte de la crise ukrainienne, notamment autour de la question de la Crimée. Le soutien financier d'origine russe au parti est également évoqué dans ces échanges. Quelques mois après cet appui du FN à la politique russe en Crimée, le parti français a reçu des prêts venus de Russie, pour un montant estimé d'environ 11 millions d'euros.

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Les rapports étroits entre le FN et le Kremlin ont été l'objet d'une attention médiatique soutenue en France, lorsque l'on a appris en décembre dernier que le FN avait obtenu un prêt de 9,46 millions d'euros de la First Czech-Russian Bank (FCRB), basée à Moscou. Cotelec, le microparti de Jean-Marie Le Pen, le fondateur du FN, avait reçu, en avril 2014, un prêt de 2 millions d'euros venus également de Russie pour financer les élections européennes. Au début des années 2010, le Front National a connu de graves crises financières, il était alors au bord de la banqueroute.

Marine Le Pen a expliqué ces prêts russes fin 2014 en indiquant, documents à l'appui, que son parti s'était tourné vers la Russie parce que les banques françaises refusaient d'octroyer des prêts au FN, affirmant que sa position sur la Crimée n'avait pas été dictée par la promesse ou l'obtention d'un prêt.

Le soutien à la Crimée

Le 16 mars 2014, 95 pour cent des électeurs de Crimée votent en faveur de leur rattachement à la Russie. Le président François Hollande qualifie ce référendum d'« illégal », à l'instar d'une grande partie de la communauté internationale et de la classe politique française. À contre-courant de cette position, le 17 mars 2014, Marine Le Pen déclare : « À mon sens, les résultats du référendum sont sans contestation possible. »

Le même jour, Timur Prokopenko aurait donc envoyé des SMS à ce sujet avec Konstantin Rykov, ou « Kostia », un blogueur pro-Poutine qui serait en contact avec le FN d'après ce que l'on peut lire dans les SMS. Les deux hommes se réjouissent de la déclaration de Marine Le Pen qui n'a « pas trahi leurs [nos] attentes » et se mettent d'accord pour, « d'une manière ou d'une autre remercier les Français. »

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D'après Mediapart, les échanges de textos transcrits par les pirates sont authentiques. L'une des personnes avec qui Prokopenko communique a confirmé sur Facebook que ces échanges avaient bien eu lieu.

Dans d'autres messages, datés du 11 mars 2014, Prokopenko demande à Kostia si Marine Le Pen peut venir en Crimée en tant qu'observatrice du référendum. La question de « financements » est également abordée dans les échanges :

15 h 17 : « Kostia, réponds. »

15 h 20 : « À propos de Marine, chez eux, il y a la campagne des municipales, elle est en tournée. Aujourd'hui-demain, le Front national prendra officiellement position sur la Crimée. Est-elle prête à venir (ce qui est peu probable) ou quelqu'un de ses adjoints. J'aurai des détails ce soir. »

15 h 22 : « Oh ! C'est super. Peut-être ils la convaincront. »

15 h 22 : « Sur les finances, non. »

15 h 23 : « Merci beaucoup, le MID [ministère des affaires étrangères russe] lui parlera. »

« Je ne sais absolument pas qui est ce monsieur »

D'après Mediapart, Aymeric Chauprade, aurait servi d'intermédiaire à Jean-Marie Le Pen pour le prêt accordé à son micro-parti. Interrogé ce vendredi par Le Monde, Chauprade a déclaré qu'il n'y avait « pas de lien entre son déplacement en Crimée et l'obtention du prêt ». Marine Le Pen a quant à elle déclaré ce vendredi au sujet de Kostia, « Je ne sais absolument pas qui est ce monsieur [Rykov] ». Konstantin Rykov n'a pas souhaité répondre à Mediapart.

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Contacté par VICE News ce vendredi, le trésorier du FN, Wallerand de Saint-Just, qui a signé le contrat de 9,46 millions d'euros avec la FCRB affirme qu'il ne lui semblerait pas « anormal qu'il y ait des contacts d'information » entre des hauts responsables russes et des membres du FN. Il explique cependant être « complètement incompétent en matière de politique internationale au FN. »

« Je ne sais pas s'il y a eu des négociations en amont, il y a eu des négociations avec la banque, » ajoute-t-il. « Personnellement, je n'ai jamais eu connaissance [du fait] qu'on voulait nous remercier dans cette affaire [NDLR, le soutien à la Crimée], je vous rappelle qu'on a un taux d'intérêt de 6 pour cent, on ne nous a pas fait de cadeau, » conclut Wallerand de Saint-Just.

Pour Florent Parmentier, maître de conférences à Sciences Po et contributeur du blog EurAsia Prospective, le Kremlin ne pouvait pas ignorer cette transaction. « Il y a un aval, implicite ou tacite [de Moscou], mais de là à dire que la reconnaissance de la Crimée a été faite sur commande en échange d'un prêt je n'ai pas de quoi le confirmer, » explique-t-il à VICE News ce vendredi.

Un socle idéologique commun

Pour le chercheur, « La Russie n'arrive pas à être mainstream, c'est son grand défaut. Par conséquent, il lui faut trouver des voies alternatives pour faire porter sa voix, comme des groupes politiques. Ce financement par la Russie du FN est assez cohérent, » analyse-t-il. Le FN est le seul parti politique français qui soutient son régime, même si, individuellement, certains hommes politiques comme François Fillon ou Jean-Pierre Chevènement ont une position favorable à la Russie.

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Le chercheur explique que la Russie cherche également des « passerelles » avec d'autres partis européens, comme l'Ukip de Nigel Farage, afin qu'ils pèsent pour mettre un terme aux sanctions économiques imposées à la Russie depuis le début de la crise ukrainienne. Lorsque, dans le cadre de ces sanctions, la France avait décidé de reporter la livraison de navires Mistral à la Russie, Marine Le Pen avait demandé que la France honore son contrat. Elle avait déclaré : « Nous ne sommes pas les caniches des États-Unis. »

Le FN est historiquement favorable à la Russie, et particulièrement à son dirigeant, avec lequel elle partage un certain socle idéologique — antiaméricanisme, nationalisme, autoritarisme — et des combats, comme la sortie de l'OTAN et l'éclatement de l'Union européenne. Marine Le Pen n'hésite d'ailleurs pas à qualifier Vladimir Poutine de « patriote », qui défend « les valeurs de la civilisation européenne ».

Le FN fait par ailleurs face, ce vendredi, à une crise familiale après que Jean-Marie Le Pen a déclaré qu'il maintenait ses propos sur les chambres à gaz comme étant un « détail de l'histoire de la Seconde Guerre mondiale ». Marine Le Pen s'est dit en « désaccord profond avec son père » et son entourage s'est publiquement écharpé avec l'ancien chef du parti, dont il est encore actuellement président d'honneur. Une enquête pour contestation de crime contre l'humanité a été ouverte par le parquet de Paris.

Suivez Mélodie Bouchaud sur Twitter : @meloboucho

Photo VICE News / Etienne Rouillon